Pour le leadership du futur, il faudrait compter avec ce jeune dont l’expérience fait rêver plus d’un nigérien au regard de sa diversité et sa promesse pour le Niger de demain. Abdoul Salam Bello a déjà fait les rouages de la BID, le NEPAD et travaille présentement au Bureau de l’Administrateur du Groupe de la Banque mondiale à Washington. Dans cette interview, il nous parle de sa très précoce ascension et riche expérience, de son livre ‘’La régionalisation en Afrique’’ publié aux Editions L’Harmattan et des questions brulantes d’actualité nationale et internationale.
Niger Inter : Présentez-vous à nos lecteurs et internautes
Abdoul Salam Bello : Je vous remercie de me donner l’opportunité de me présenter à vos lecteurs et internautes que je sais très nombreux. Je m’appelle Abdoul Salam Bello. Je suis nigérien. Je suis l’aîné d’une famille de cinq enfants. J’ai débuté ma carrière internationale en 2007 à la Banque islamique de développement (BID) à Djeddah grâce au Programme des jeunes professionnels, me spécialisant dans les opérations et l’évaluation. Entre 2012 et 2014, j’ai travaillé pour l’Agence du NEPAD, en Afrique du Sud. Depuis 5 ans, je travaille pour le Groupe de la Banque mondiale en tant que Conseiller de l’Administrateur du Groupe Afrique II à Washington. Ce Groupe rassemble 23 pays d’Afrique subsaharienne, dont le Niger.
Pouvez-vous nous parler de votre cursus scolaire ?
Abdoul Salam Bello : Après l’obtention d’un baccalauréat scientifique, j’ai intégré l’Université de Toulon, en France, où j’ai obtenu un diplôme d’ingénieur en télécommunications. J’ai voulu diversifier mon champ de connaissances. D’abord, à l’Ecole des hautes études commerciales de Paris ou j’ai obtenu un Master en gestion des risques internationales. J’ai également obtenu, en parallèle, un Master en gestion des affaires internationales de l’Université Lyon III et un certificat en stratégie de l’Ecole militaire de Paris. L’attrait pour la diplomatie m’a amené à passer un Master en diplomatie et négociations stratégiques. Plus récemment, j’ai suivi un programme exécutif pour hauts fonctionnaires à la « Kennedy School of Government » de l’Université de Harvard, aux Etats-Unis.
Quelles difficultés avez-vous rencontré dans vos études et comment les aviez-vous surmontées ?
Abdoul Salam Bello : Étudiant à l’étranger, il faut très souvent mener de front les études et assumer un travail pour se financer car le plus souvent, on ne peut pas faire autrement. Cela prend beaucoup de temps et exige une bonne organisation. Pendant longtemps j’ai donné des cours de mathématiques et de physique couplé avec des emplois d’été. Grâce à mon entrée à la HEC, j’ai pu contracter un prêt bancaire étudiant pour financer une partie de mon cursus.
Cette période fût une expérience très enrichissante pour moi. Vous apprenez l’organisation, la gestion, patience, la résilience, la détermination, le sens des valeurs, des relations et de l’amitié. Au-delà de toutes les vicissitudes, le plus important est de garder le cap. La pratique religieuse et la lecture m’ont beaucoup apporté.
Quelles sont les personnes qui vous ont inspirées ?
Abdoul Salam Bello : Dans le cercle familial, j’ai été privilégié d’avoir été proche de mon grand-père ; un homme exceptionnel d’humanité et de sagesse, d’une intelligence du cœur sans pareille et d’un optimisme invétéré. Je voyais la manière dont il traitait les gens : toujours de l’empathie, de l’humilité, de l’intelligence, de l’humour, de la culture, de la finesse et de l’élégance. D’un autre côté, il était exigeant envers lui-même.
J’ai beaucoup appris de lui sur la vie, l’empathie, la condition humaine mais aussi sur l’histoire du Niger, de l’Afrique et du Moyen Orient. Il me parlait de Diori Hamani, de Boubou Hama, de Diallo Telli, d’Amadou Hampathé Ba. Il me parlait de ses différentes missions au moyen orient, des rencontres avec les rois Fayçal, et Hassan II ou de Sadate et Kadhafi qu’il a bien connu. Je pense que mon grand-père a été mon principal modèle à bien des égards.
En sortant du cercle familial, jeune, j’ai vu des personnalités comme Idé Oumarou et Hamid Algabid comme des modèles à suivre. Idé Oumarou, grand ministre des affaires étrangères était secrétaire général de l’OUA. Hamid Algabid, après avoir été premier ministre était Secrétaire général de l’OCI.
Naturellement, Nelson Mandela, Thomas Sankara m’ont aussi beaucoup inspiré. J’ai eu l’opportunité de visiter la maison de Madiba à Soweto en 2013. Avec le recul, vous prenez la mesure de l’idéal, de la force de caractère et de conviction de ces personnalités qui nous ont laissé des repères mais également quelque part une vison et une mission.
Vous travaillez présentement au Bureau de l’administrateur de la Banque Mondiale. C’est quoi en fait le Bureau de l’administrateur de la Banque Mondiale et en quoi consiste votre travail ?
Abdoul Salam Bello : Le Groupe de la Banque mondiale a deux objectifs : mettre fin à l’extrême pauvreté et promouvoir une prospérité partagée de façon durable. A ce titre, le Groupe de la Banque mondiale est l’une des principales sources de financement et de savoir pour les pays en développement. Il se compose de cinq institutions engagées en faveur de la réduction de la pauvreté, d’un plus grand partage de la prospérité et de la promotion d’un développement durable.
La Banque mondiale est semblable à une coopérative, dans laquelle les actionnaires sont ses 189 pays membres, dont le Niger. Ces actionnaires sont représentés par un Conseil des Gouverneurs -en général les ministres des finances ou du développement des pays membres, qui est l’organe de décision suprême de la Banque. Les gouverneurs délèguent certains aspects de leur mandat à 25 Administrateurs en poste au siège. L’Afrique sub-saharienne est représentée par 3 Administrateurs. L’Administrateur a double rôle. D’un côté, il représente « ses pays » au Conseil. De l’autre, il est garant de la responsabilité fiduciaire du Groupe de la Banque mondiale.
En tant que Conseiller, j’appuie l’Administrateur dans ces multiples activités et dans son rôle de représentation et de conseille tant au siège que lors de visites de terrains afin de mieux appréhender et refléter les problématiques de nos pays, favoriser le dialogue et assurer une représentation efficace et un partenariat équilibré.
Sur quels projets le Niger travaille avec la Banque mondiale en ce moment ?
Abdoul Salam Bello : Le Groupe de la Banque mondiale est un partenaire privilégié du Niger avec un portefeuille d’opérations qui s’élève à environ 1,4 milliards de dollars. La stratégie de coopération entre le Niger et la Banque mondiale pour la période 2018-2022 vient d’être approuvée. Elle s’aligne sur le deuxième Plan de développement économique et social (PDES) établi par le Gouvernement nigérien dans le cadre de sa Vision 2035. L’objectif de la Stratégie est d’aider à préserver et accélérer le développement économique et social, en s’attaquant aux obstacles à la croissance et aux facteurs émergents de fragilité.
Dans ce cadre, la Banque mondiale promeut, entre autres : une agriculture innovante pour améliorer la productivité et la résilience du secteur agricole ; l’accès à l’électricité dans les zones rurales et périurbaines ; la protection sociale et la promotion du travail et l’autonomisation des femmes et des adolescentes ; une éducation de qualité et le renforcement de capacité des jeunes, peu ou pas scolarisés ou au chômage. La Banque mondiale est également fortement impliquée dans la mise en œuvre du Programme Kandadji. Ce programme est stratégique pour notre pays car, une fois réalisé, il permettra au Niger d’assurer, non seulement, sa sécurité énergétique mais également sa sécurité alimentaire et ainsi, contribuer à l’accélération de l’initiative 3N.
Vous avez également travaillé au NEPAD. Pouvez-vous nous parler de votre expérience au sein de cette institution ?
Abdoul Salam Bello : J’ai rejoint l’Agence du NEPAD en tant que Directeur de cabinet du Secrétaire exécutif. Travailler pour une personnalité de la stature d’Ibrahim Mayaki a été un privilège. A ses côtés, j’ai appris que réduire la précarité exige de se concentrer sur un objectif vital, le développement économique. A mon arrivée, l’Agence du NEPAD était dans un processus d’harmonisation avec la Commission de l’Union africaine. Mon expérience a donc été riche et multiple. Elle touchait aussi bien à la gestion des activités du NEPAD en conformité avec sa mission stratégique, à la formulation de stratégies politiques et à leur mise en œuvre effective, à la coordination du processus de gestion intégrée et des mécanismes qui permettent l’exécution du mandat de l’Agence, à la mise en œuvre des activités opérationnelles, aux questions de ressources humaines et gestion du personnel, au dialogue avec le pays hôte, à la communication et à l’image de l’organisation qu’aux négociations avec les partenaires et autres parties prenantes.
Le NEPAD m’a permis de comprendre le fonctionnement du ‘’multilatéral africain’’, ses dynamiques internes, ses forces, ses faiblesses et ses enjeux. Ses enjeux exigent de nous tous : vision, pragmatisme, créativité et courage.
Avant toute chose peut-être, ses enjeux exigent de notre part, aujourd’hui plus que jamais auparavant, une volonté de coopération et un attachement à un multilatéralisme véritable afin d’atteindre notre objectif commun qu’est la paix et la prospérité en Afrique.
Vous êtes auteur du livre ‘’La régionalisation en Afrique’’ publié aux Editions L’Harmattan. Quel est votre message principal à travers cet ouvrage ?
Abdoul Salam Bello : L’idée de cet ouvrage est le prolongement d’un long intérêt aux problématiques d’intégration régionale. Elle s’est inscrite dans la continuité de mon expérience au sein des banques de développement, dans le financement de projets d’une part ; et dans l’évaluation des stratégies de politiques publiques. De manière plus prosaïque, mon livre est une réflexion du citoyen africain que je suis sur l’intégration régionale après mon passage au NEPAD.
Dans cet ouvrage, j’essaye de voir les origines de la question de la régionalisation, des processus, des mutations politiques et idéologiques. Je pense que pour réussir une mise en œuvre véritable d’une intégration efficace et durable, il nous faut des institutions régionales -et continentales- mieux outillées et structurées pour jouer pleinement leurs rôles de stratège, de pilote et de coordonnateur des politiques d’intégration régionale sur le continent.
Je crois que les modèles régionaux doivent être plus inclusifs et participatifs. En effet, la réussite du projet régional doit reposer sur une meilleure intégration des peuples. Dans tous ces processus, il faut garder à l’esprit que c’est l’Homme que nous devons placer au centre. Car in fine, la seule lutte qui vaille, c’est celle de l’Homme. C’est l’homme qu’il s’agit de sauver, faire vivre et développer dans un environnement sain et prospère.
Aujourd’hui on tend vers la zone de libre échange en Afrique (Zlecaf). Quels sont les défis et avantages de la Zlecaf ?
Abdoul Salam Bello : La création de la Zlecaf a lieu dans un contexte international marqué par une crise du multilatéralisme. Dans ce contexte, il a fallu de la vision, du courage politique et de la détermination à l’Afrique. La signature en mars 2018 de l’accord-cadre suscite donc de nombreuses attentes, notamment l’augmentation du commerce intrarégional. La Zlecaf pourrait être le plus grand accord de libre-échange depuis la création de l’Organisation mondiale du commerce. Il comprendra plus d’un milliard de personnes pour un PIB cumulé pouvant atteindre 3 000 milliards de dollars.
Cependant les défis sont nombreux. Avec seulement 18% du total des échanges, l’Afrique a le plus bas niveau de commerce intracontinental au monde. Par ailleurs, le développement et la création de nouvelles routes commerciales et de nouveaux partenariats seront essentiels à sa mise en œuvre. Or selon la Banque africaine de développement, les besoins en infrastructures du continent s’élèveraient à 130-170 milliards de dollars par an. Les Etats sont encore dans les processus de ratification. Lors du Sommet de l’Union africaine, le Président de la République du Niger en sa qualité de champion du processus pour la Zlecaf a déroulé les prochaines étapes en vue d’une mise en œuvre de la Zlecaf. La création du marché intérieur africain et du secrétariat de la Zlecaf seront critiques pour garantir une libre circulation des personnes, des biens et des capitaux. Il faudra également se pencher sur le financement à long terme de la Zlecaf. Aujourd’hui, environ 60% des prêts en Afrique sont à court terme et moins de 2% des prêts ont une échéance supérieure à dix ans.
Quel pourrait être l’apport de la Zlecaf au Niger ?
Abdoul Salam Bello : La création de la Zlecaf fait ressortir de nouveaux enjeux et défis pour des économies comme celle du Niger, dont la capacité commerciale reste précaire en comparaison à d’autres économies plus intégrées au commerce global. Dans le même temps, une évaluation récente de la Commission économique pour l’Afrique souligne qu’au-delà des considérations techniques, les petites économies, en particulier, seraient celles qui enregistreraient la plus forte augmentation des exportations intra-africaines de produits industriels si la Zlecaf venait à se matérialiser.
La Zlecaf devrait permettre au Niger de mieux valoriser ses avantages comparatifs. Le pays est connu pour ses produits agricoles tels que l’oignon violet de Galmi ou la filière animale (viande, cuirs et peaux). Le Klichi qui est déjà un produit d’exportation dans la sous-région pourrait bénéficier d’une exposition beaucoup plus large sur le marché africain. Naturellement, des investissements seront nécessaires pour la définition de produits de type appellation d’origine contrôlée (AOC), le développement des secteurs porteurs, la création de valeur ajoutée, le renforcement des capacités, la certification des produits, la gestion des stockages, et l’aide à l’exportation. Mais le pari peut être gagné.
Quelle est votre opinion sur la tendance du Niger notamment sur le plan économique ?
Abdoul Salam Bello : Il faut rappeler le contexte dans lequel se trouve le pays, marqué par un contexte sécuritaire hostile, le changement climatique et la faiblesse des prix de l’exportation de l’uranium. Toutefois, les perspectives du pays sont bonnes avec un taux de croissance qui devrait atteindre 6,5 % en 2019 grâce aux résultats agricoles, au démarrage de plusieurs grands projets (cimenterie, projets dans le cadre du MCC, développement de capacité supplémentaire de production pétrolière, construction d’un oléoduc, etc.) et aux investissements liés à la tenue du sommet de l’Union africaine (hôtellerie…). La croissance économique pourrait atteindre 7 % en moyenne annuelle au cours des cinq prochaines années, grâce à l’appui des efforts de réforme structurelle déployés par le gouvernement et les grands projets d’investissement. Cette croissance pourrait être plus forte et soutenable si les ces grands projets pouvaient entraîner un cercle vertueux de développement du secteur privé local. Pour le développement à plus long terme, il sera important de continuer de prêter attention aux questions relatives à l’égalité des genres, ainsi qu’aux objectifs démographiques.
L’économie devrait poursuivre son rythme de croissance rapide en 2019 grâce à l’investissement infrastructurel, au secteur agricole. Le soutien financier international, au travers des Banques multilatérales de développement, devrait permettre à l’investissement public de contribuer largement à la croissance à travers le financement de nombreux projets, notamment dans les secteurs de l’énergie et les transports. Les investissements dans le secteur de l’agriculture devraient permettre l’accroissement des rendements et des revenus agricoles et contribuer à l’augmentation de la consommation des ménages.
Quel est votre message particulier aux jeunes nigériens ?
Abdoul Salam Bello : Je ne crois pas être en position de faire la leçon à quiconque. Cela dit, je pense que le plus important est de croire en soi, en ses rêves et ambitions. Le plus difficile est de garder le cap. Aussi, il faut faire preuve de volonté, d’organisation et de détermination. Il ne faut pas baisser les bras face aux premières difficultés. Il est également important de se donner les moyens de sa réussite. Cela passe par l’investissement sur soi. L’apprentissage, le perfectionnement. Enfin, quelle que soit l’évolution, le parcours, le lien avec la famille, la communauté reste essentielle. L’éducation, quel que soit le niveau, appelle à des responsabilités vis-à-vis des siens. Dans la culture anglophone, il y a ce qu’on appelle le ‘’give-back’’ (redonner). Un citoyen informé et éduqué est plus indispensable que jamais. Nous sommes quelque part tous dépositaires d’une responsabilité. Nous avons un devoir de mémoire et, dans le même temps, nous avons un devoir d’humanité.
Interview réalisée par Elh. Mahamadou Souleymane