Pr Issoufou YAHAYA, historien et politologue a publié une tribune dans Mondafrique intitulée « Démocratie nigérienne, l’œuf carré du Président Macron ». Niger Inter avait repris la réaction du sociologue et enseignant ElHadji Abalacan Ahmad qui avait cru bon de répondre au Pr Yahaya. Ce dernier vient également de répliquer à travers ces lignes. Intéressant débat !
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Cher Monsieur, j’ai lu avec intérêt votre tribune en réaction à celle que j’ai publiée quelques jours plus tôt. Je vous remercie d’avoir pris de votre temps pour avoir tenté, laconiquement tout de même, d’apporter une opinion contraire. C’est donc, par respect à votre personne et considération à votre opinion, que je vous donne la répartie, que vous avez du reste souhaitée. Je ne m’attarderai pas sur vos interrogations de pure forme, comme celle que vous avez posée en entrée, dont vous avez fourni vous-même la réponse.
J’enseigne depuis dix ans à l’Université. Mes étudiants servent partout au Niger, vous pouvez en rencontrer nombre d’entre eux, si vous ne les côtoyez déjà. Je ne répondrai pas non plus aux jugements de valeurs qui sont les vôtres, c’est votre droit, du reste la Tribune ne m’appartient plus. Pour le reste, le texte que j’ai librement publié, intitulé « Démocratie nigérienne, l’œuf carré du Président Macron » est un texte de fond qui pose le débat sur la dénaturation de notre démocratie. Nul besoin d’être aussi clair. C’est mon opinion, et elle est assez connue sur les rapports de la France à l’Afrique d’une part, et la dépréciation de la démocratie nigérienne d’autre part, depuis que M. Issoufou Mahamadou est à la tête de notre pays.
Au passage, tout celui qui vit au pays et qui se veut objectif, sait bien qui sont les acteurs représentatifs de la société civile nigérienne, vos « putschistes » connus bien au-delà des frontières de notre pays dont ils font la fierté. Vous semblez, comme d’ailleurs les responsables de la principale formation au pouvoir, occulter les années du pouvoir du Président Kountché, puisque c’est lui qui incarne la dictature à vos yeux, un homme qui a pourtant aimé et servi son pays, qui n’a ni volé, ni détourné les biens du Niger. Comparez les biens de ce militaire intègre et ceux de ceux-là que vous défendez.
Mon frère Abalacan, dans notre pays, il y a un problème d’appréhension et de compréhension du leadership, de la vision et de la clairvoyance. On ne peut pas être grossiste et détaillant. Un Président posé ne viendra jamais parler de la construction des classes ou des ponts. C’est aux maires ou aux conseillers municipaux de le faire, pas même les membres du gouvernement. Son rôle est de fixer les grandes orientations pour son pays, appuyé par des compétences attitrées. Un Président décide, sans se cacher derrière ses subordonnés. La fonction présidentielle en fait un chef, un juge et un arbitre, c’est-à-dire que tout en étant issu d’un camp dont il se veut le capitaine, il doit être juste envers les autres équipes. Je n’ai pas vu cela au Niger depuis plus de sept ans. La fonction politique a pris ici le dessus sur la fonction institutionnelle et se traduit par un pouvoir partisan, le passant du Président de tous les Nigériens à l’élu d’une partie de Nigériens contre l’autre partie des Nigériens…
Permettez-moi à présent de rentrer dans votre texte par là où il se termine, à Agadez non loin de la Grande Mosquée. Le Niger a obtenu un financement pour la construction d’une centrale solaire dans cette région qui produit l’uranium et le charbon ; l’uranium destiné à éclairer la France et à alimenter ses centrales nucléaires, le charbon pour tourner ses usines d’Arlit. Est-ce cela votre « moment historique » ou la visite de M. Issoufou ? Ne pensez-vous pas que c’est le minimum pour cette région qui n’est plus reliée à aucune autre compte tenu de l’état de dégradation avancée de toutes les routes ? De vous à moi quels sont les détracteurs du Niger, ceux qui l’ont pillé en si peu d’années et inoculé un système mafieux ou alors ceux qui les dénoncent, à l’image des médias et de cette frange de la société civile dont les leaders sont en détention ?
En ce qui concerne la migration, vous prétendez côtoyer les migrants, je les côtoie comme vous. Plus que vous, j’ai eu l’occasion de les voir en Occident pendant une dizaine d’année. Le cliché de la migration et du migrant que vous faites est erroné. Vous faites une description tropicalisée comme les élections de 2016. Ce migrant imaginaire est typique de la conception droitiste, lepéniste et Mariniste, pour lesquels, l’immigré pique le travail des Français. La migration a toujours existé, rien n’est nouveau. L’une des premières villes internationales en Afrique subsaharienne c’est justement Agadès, y compris dans sa racine (GDZ), avec même un quartier dédié aux interprètes. Par contre, ce qui est nouveau c’est le fait de s’enrichir sur le dos des migrants et de la migration et de la freiner pour le bon vouloir des pays de destination. Ni les murs (j’ai vu celui entre les Etats-Unis et le Mexique), ni les lois tropicales ne peuvent l’enrayer, tant que le système de domination ne change pas.
Restons aux Etats-Unis, terre de liberté et de migration. J’ai eu le privilège de visiter l’île d’Ellis Island non loin de Manhattan, la porte d’entrée Est et le musée de l’immigration. Celle-ci fait partie intégrante de l’histoire des Etats-Unis. Et lorsque vous y accédez, vous devez faire vos preuves et votre place pour devenir américain à 100% ; ce qui n’est point le cas de l’Europe qui vous renvoie toujours à vos origines. B. Boris Diop que vous citez vit en Amérique. Le savez-vous ? J’ai eu le plaisir de le rencontrer et de discuter avec lui en France, comme avec d’autres, pour préciser sa pensée.
A propos des bases militaires, j’ai lu votre note « massue », pour ne pas dire votre extrapolation sur la fiabilité de l’économie allemande et la présence des bases étrangères. Cher monsieur, l’industrialisation de ce pays a commencé entre 1815 et 1835, elle-même précédée d’une phase de pré-industrialisation un siècle plus tôt. Vous qui recevez le financement de la centrale solaire, vous savez que les allemands vivent de leur savoir-faire et non de l’exploitation d’autrui. Quant à la compréhension de l’installation des bases, il faut remonter à la seconde Guerre mondiale. L’Allemagne a provoqué un conflit de grande ampleur qu’elle a perdu militairement (capitulation) et de ce fait devait être administrée collectivement par les commandants militaires des pays de la Grande Alliance conformément au Protocole de Londres du 12 septembre 1944. Repris en 1945 à Yalta, l’objectif était que l’Allemagne ne puisse plus troubler la paix mondiale. Dites-moi M. Abalacan sur quelle base légale sont implantées au Niger ces bases dont vous êtes si fiers ?
Enfin vous avez commencé votre « droit » de réponse par M. Macron élu à 66% par les Français que vous acceptez comme le « garant » de notre démocratie. Vous dites qu’il leur est redévable. Quoi de plus normal ? Il ne sort pas les chars à Paris pour ses balades et s’adresse tous les jours aux Français qui ne sont pas chassés comme des pestiférés lorsque qu’il se déplace. Avant lui M. Hollande a dirigé la France. En 2016 la Loi El-Komri a connu 6 mois et 6 jours de contestation, dont presque deux mois de nuit (Nuits débout !). Les activistes n’étaient point qualifiés de putschistes. C’est cela la démocratie cette valeur universelle. M. Abalacan, dites à vos protégés de se conduire en démocrates pour êtres respectés. L’ère de la pensée unique est révolue à jamais. Ni Lénine, ni Staline ne reviendront jamais. Réélu avec plus de 92% de suffrage a-t-on besoin de tanks pour traverser sa capitale ?
En somme, et c’est là où je termine, sur nombre de questionnements soulevés précédemment, votre Tribune « libre » est pourtant restée muette comme l’impunité, la mal gouvernance, les investissements à perte, la corruption, les violations répétées de la constitution et les affaires…Peut-être prochainement !
Prof. Issoufou YAHAYA, Historien et Politologue