La formule a jailli de mon esprit sans crier gare et elle s’y est imposée, éclairant d’une belle évidence le chemin sur lequel j’étais déjà engagé en associant le développement du cinéma nigérien à l’amplification de la renaissance culturelle.
Cette formule – « le cinéma au secours de la renaissance culturelle » – m’a plu. Elle est non seulement une très belle devise de bataille mais l’idée qu’elle porte est de surcroît la plus étonnante illustration du « paradoxe nigérien » qu’on ait pu un jour imaginer. Ceux qui me font l’honneur de me lire et à qui mes développements sur le sujet sont devenus familiers, ne s’étonneront pas que je récidive. « Le chemin des paradoxes est le chemin du vrai », disait Oscar Wide, il et y ajoutait que « pour éprouver la réalité, il faut la voir sur la corde raide ».
Que l’ensemble du secteur audiovisuel, lassé d’attendre de l’Etat une politique de soutien structurel, ambitionne de se porter à son secours est, en effet, la plus éclatante démonstration des ressources dialectiques de ce fameux « paradoxe nigérien ». Qu’on en juge : en apportant son crédit symbolique, et son savoir-faire, à la mobilisation populaire espérée par le gouvernement à travers son programme de « renaissance culturelle », le cinéma nigérien fait le pari d’un développement endogène capable de se détacher de son modèle occidental dont l’impasse est avérée.
Il faut oser ! Je veux l’affirmer haut et fort. Il nous faut oser écrire une page nouvelle de notre « roman national » en prenant acte que le cinéma n’aura jamais cessé d’y jouer un rôle d’éclaireur. Ses pionniers ne sont-ils pas devenus, dans l’imaginaire collectif, des figures quasiment héroïques de notre identité culturelle ? Ils méritent bien une telle reconnaissance vu ce qu’ils ont dû endurer pour durer… Sur leur corde raide, ils n’auront jamais cessé de questionner le « vivre ensemble nigérien ». L’histoire de notre cinéma a été déterminée par des préoccupations de fond à caractère résolument national. Si ce n’est la critique sociale, il s’est attaché, dès ses débuts, à défendre et promouvoir les trésors de notre patrimoine immatériel. Alors, il faut oser, d’un côté et de l’autre, franchir le pas, et comprendre et voir la cause commune.
« C’est l’homme qui a peur, sinon il n’y a rien ».
Or, nous ne pouvons pas échapper au fait que le Chef de l’Etat lui-même nous a tendu la perche. C’était le 3 avril 2016. Lors de son discours d’investiture, Président Mahamadou Issoufou nous avait époustouflés par sa diatribe contre la corruption, l’incivilité et le dérèglement démocratique, ne trouvant pas assez de mots cinglants, semble-t-il, pour fustiger les maux qui gangrènent la cohésion de la société nigérienne. Une cohésion pourtant plus que jamais indispensable, prioritaire, à l’heure de la menace djihadiste. Une telle franchise, une telle sincérité et une telle véhémence dans un discours de chef d’Etat constituent incontestablement un fait historique majeur pour le Niger dont il faut savoir tenir compte.
Le message du Président Mahamadou Issoufou était clair : il ne saurait y avoir de renaissance culturelle sans que chacun en soit l’acteur dans son propre cercle de responsabilité. A quoi sert-il d’agréer sans agir ? Le Président nous avait lancé un véritable défi. Il était temps de « regarder la réalité en face » et prendre sa part dans les innombrables dérèglements de la vie collective.
« Regarder la réalité en face », c’est bien la mission (le job) d’un cinéaste, et j’avais déjà fourbi mes armes avec quelques propositions culturelles innovantes et combatives pour le deuxième mandat du Président Mahamadou Issoufou.
A l’issue de la cérémonie d’investiture, je suis allé féliciter le Président et, incapable de dissimuler mon enthousiasme, je lui lançai : « C’est l’homme qui a peur, sinon il n’y a rien » ! Vous l’aurez compris, c’est à moi-même, à nous-mêmes, que s’adressait l’injonction. C’était une façon de parier sur la contagion du courage. Du reste, je publiai quelques jours plus tard dans le Sahel Dimanche du 6 avril un texte livrant mon interprétation personnelle de la « Renaissance culturelle » qui se concluait par un mot d’ordre inspiré à la fois par Mao Tsé Tung et Kwame Nkrumah : « la révolution, c’est maintenant ». Certes, cette liberté d’interprétation est un luxe propre aux acteurs de la vie culturelle mais, précisément, jamais je n’ai douté que c’est à eux qu’il revenait en premier de relever les défis lancés par le Président de la République.
Je pouvais me permettre cette assurance car j’avais dores et déjà sollicité, quelques mois plus tôt, un certain nombre de professionnels de l’audiovisuel nigérien en vue de réfléchir à la façon dont la télévision pourrait s’emparer de la question de l’incivisme. Il s’agissait dans mon esprit d’entraîner ce mouvement de mobilisation appelé de ses vœux par le Président de la République et sans lequel le « changement des comportements » ne pourrait avoir lieu. Le défi que je leur avais lancé à mon tour était une manière de retrouver les fondements de la geste de Sembène Ousmane. Lequel voyait dans le cinéma africain un équivalent des cours du soir.
Des auteurs, réalisateurs et acteurs culturels avaient donc planché 4 jours durant sur l’idée d’une Série TV dont le cahier des charges était de traiter, un épisode après l’autre, de tous ces maux que le Président avait dénoncés dans son discours, à savoir « le tribalisme », « l’ethnocentrisme », « la concussion », « la corruption » et autres formes d’incivisme, notamment fiscal, qui nous indignent particulièrement.
La gageure n’avait pas effrayé mes amis mais c’est peu dire qu’ils vécurent quatre jours de fièvre. Il ne faut pas croire que l’outil cinéma, ou télévision, fonctionne comme une baguette magique et puisse résoudre la complexité de la réalité. Avant toute approche professionnelle, ils avaient dû dresser des listes par thème d’incivilités « ordinaires » à partir de faits qu’il leurs avaient été rapportés ou dans lesquels ils avaient été impliqués. L’ensemble de ces récits, au contraire de ce que l’on peut imaginer, avait été loin de simplifier leur tâche. La cause essentielle en était que chacun de ces témoignages se résumait à un scandale moral dont les douloureuses séquelles paraissaient impossibles à réparer. Le pari rencontrait des échos orageux dans les sensibilités, portant les marques d’une profonde humiliation.
Une Série télévisée nommée Nyalla, la vie citoyenne
Nos visionnaires étaient cependant allés jusqu’au bout de toutes ces difficultés en accouchant d’un projet audacieux et inédit, sans doute le seul au monde de cette espèce: une Série TV en 157 épisodes traitant des questions les plus éruptives de la société nigérienne. Nous avons travaillé à sa formulation et nous lui avons donné le nom de Nyalla, la vie citoyenne.
Malgré les défauts inhérents à une initiative sans précédent, notre projet s’avérait parfaitement cohérent avec les préceptes de la « renaissance culturelle » et à la hauteur des défis lancés par le Président de la République. C’est sans aucun doute la raison pour laquelle Mahamadou Issoufou a jugé nécessaire, il y a maintenant quelques mois, de le valider, mettant ainsi son discours du 3 avril en conformité avec une décision hautement symbolique. Une première aide financière nous permet, dès maintenant, de mettre en place un mécanisme liant la création et la production de la Série TV à un mouvement de solidarité.
Nous procéderons prochainement au lancement officiel de Nyalla, la vie citoyenne de façon à ce que le plus grand nombre possible de nigériens l’identifient comme un projet de moralisation de la vie publique. Ce défi sera naturellement l’affaire de tous. Le lancement sera accompagné par un appel à contributions : adresse mail, boîte postale et page Face Book seront bientôt mises à disposition du public afin de connecter le studio de production de Nyalla, la vie citoyenne à un réseau de solidarité.
Cet appel, évidemment, concernera plus particulièrement les associations engagées dans la vie sociale, ou celles qui luttent contre l’insalubrité, mais aussi les cadres du Trésor Public (pour épingler les cas d’incivisme fiscal), les cadres de la santé publique, les cadres de la Sécurité routière, les membres de l’Education Nationale, etc. Tous devront considérer les professionnels engagés dans la réalisation de Nyalla, la vie citoyenne comme les passeurs de leur volonté de justice sociale.
Mais aujourd’hui, c’est aux gens de métier que je veux d’abord m’adresser, et plus particulièrement encore aux premiers acteurs du projet. Je tiens à leur exprimer toute ma gratitude. Sans eux rien n’aurait été possible. Cependant j’appelle chacun d’eux à creuser davantage la voie ouverte, notamment en confrontant la mission qu’ils se sont assignés à la volonté de tous les nigériens. J’appelle également les réalisateurs, créateurs, écrivains, acteurs et metteurs en scène de théâtre, comme tous les professionnels de la télévision, à se solidariser avec notre projet et rejoindre l’équipe chargée de le piloter.
Nous allons bientôt mettre en place une succession de workshops en vue d’une maîtrise du format Série TV. Ces ateliers ont pour finalité la réalisation des premiers pilotes de la Série en même temps que la formation aux métiers de l’audiovisuel de jeunes n’ayant encore aucune expérience. Ces pilotes, accompagnés des 50 premiers scénarios, seront nos principaux arguments pour convaincre les Partenaires Techniques et Financiers (PTM) du Niger de financer l’ensemble de la Série. Ce sera alors la deuxième grande étape du défi et je suis convaincu qu’ils entendront dès aujourd’hui mon appel et anticiperont sur les bénéfices de leur soutien, sachant que Nyalla, la vie citoyenne est avant tout un processus visant à renforcer la cohésion de la société nigérienne face aux dangers qu’elle encourt dans la crise sahélienne.
La citoyenneté à l’épreuve de la télévision
Le processus de réalisation des 157 épisodes se fera par étapes, les auteurs de la Série tenant compte des réactions et suggestions du public dès la diffusion des 30 premiers épisodes. La démonstration – par l’exemple – des dérèglements de la vie démocratique, et la possibilité d’y remédier, obéiront à une logique volontariste. Notre première exigence sera que la série TV fonctionne comme un miroir de la société nigérienne. Un miroir reflétant les heurs et malheurs de notre « vivre ensemble ». Au cours de ces étapes successives, son évolution devra nécessairement embrasser la mutation du paysage social, sinon l’accélérer.
Les défis de réalisation de la Série TV vont nécessairement se confondre aux défis que la société nigérienne s’est elle-même lancée sous l’égide de son plus haut représentant. Nyalla, la vie citoyenne serait alors le feuilleton de l’essor de la Renaissance culturelle, c’est à dire de son appropriation. Dans ce miroir audiovisuel, nous pourrons nous voir à la fois comme acteurs et sujets de la Série TV et, de cette façon, la considérer comme un test de la progression de l’esprit démocratique dans notre pays. Ce sera le moment où l’ensemble des nigériens pourra faire sienne la devise ivoirienne : « C’est l’homme qui a peur, sinon il n’y a rien ».
Le pari n’est possible qu’à condition que notre projet garde de bout en bout sa grande simplicité en restant constamment en phase avec la réalité quotidienne, raison pour laquelle la Série TV se présentera très simplement comme un rendez-vous quotidien de 26 minutes chargé d’instruire, via la diffusion de fictions et documentaires, les urgences civiques » auxquelles la société nigérienne est confrontée.
Le défi de la création audiovisuelle
La conception est volontairement très simple, au diapason de ce que chacun attend de la télévision en terme de proximité et d’éducation populaire, en l’occurrence une émulation civique partagée. Cette simplicité met en valeur la complexité des défis successifs auxquels s’affronteront les auteurs de la Série TV. Il leur faudra d’abord s’accorder à l’extrême sensibilité des sujets en restant, tout au long de l’aventure, à l’écoute d’autrui, et ensuite travailler à un rythme soutenu sur des formats courts : deux contraintes qui leurs sont, pour la plupart, inhabituelles. Il leur faudra inventer un langage neuf de télévision agrégeant fictions, documentaires et reportages. Leur responsabilité est donc très conséquente car elle est engagée aussi bien sur le plan sociétal que sur celui de la création. C’est pourquoi il est essentiel que ces bientôt pionniers se sentent soutenus à tout instant dans leur mission.
Les complexités de réalisation et ses approches par « approximations successives », dirait Jean Rouch, font partie intégrante d’un processus élargissant le cercle des responsabilités. Notre objectif est, en effet, de transformer le paysage audiovisuel nigérien en ouvrant « petit à petit » des filières de développement adaptées aux mutations technologiques, comme aux attentes du public.
De fait Nyalla, la vie citoyenne se met en place comme un incubateur de projets dans le domaine de la création et production de courts-métrages (fictions et documentaires) compatibles avec la télévision et les nouveaux médias : une école improvisée, selon le modèle que nous avons pu en donner dès les premières éditions du Forum Africain du Film Documentaire où nous avions initié des débutants à maitriser toute la chaîne de la réalisation et de la production cinématographique. Malgré la faiblesse de nos moyens, nous avons largement prouvé que la méthode était plus efficace et réaliste que toute autre. Ce modèle, autre forme du legs de Jean Rouch adopté aujourd’hui par les écoles de cinéma les plus en pointe, nous rappelle les expériences de professionnalisation empirique qu’il avait suscitées ici-même dans les années 60, d’où émergèrent la vague des pionniers du cinéma nigérien, Oumarou Ganda et Moustapha Alassane en tête ; expériences qu’il reproduira dans les années 70, dans sa propre école de « cinéma direct » (à l’Université X de Nanterre), en essaimant à travers la planète ce modèle, plus actuel que jamais comme l’illustre la vitalité de l’école des Ateliers Varan qu’il avait contribué à créer.
L’impact du nouveau cinéma documentaire nigérien
Cette filière du cinéma documentaire est partout en plein essor. Ici, ses plus récents développements ont eu une grande influence sur le projet Nyalla, la vie citoyenne. En effet, je n’imaginerais pas avec autant d’assurance la perspective d’une nouvelle « école nigérienne » si nos jeunes réalisateurs n’avaient pas laissé une marque profonde dans le cinéma africain en opérant, tout en modestie, une petite révolution qui consiste à filmer les êtres comme des sujets, à les donner à voir et à entendre au spectateur comme tels. Au fond, une conception du cinéma qui était bien celle de Rouch mais, aussi étonnant que cela puisse paraître, le chemin que nos cinéastes ont ouvert spontanément, hors de toutes références, est tout à fait nouveau en Afrique. Leur façon d’utiliser le cinéma comme un moyen d’analyser les contradictions de la société africaine apparaît bien, ici et dans les circuits internationaux du film documentaire, comme une véritable « école » nigérienne de cinéma, au sens artistique du terme.
Il est évident que le Niger a tout intérêt à faire fructifier la « libre école de Niamey », à lui donner les moyens de s’épanouir et de réussir plus complètement sa mission en atteignant un public beaucoup plus large. La résolution de cette question sera forcément structurelle et organisée par l’Etat. Je me suis employé de nombreuses fois à en indiquer des pistes possibles et il est indispensable que cette réflexion se poursuive : la bataille du cinéma au Niger a encore de beaux jours devant elle. En attendant, l’audace des « nouveaux documentaristes nigériens », leur implication sociétale, l’impact émotif et citoyen de leurs films, les succès internationaux qu’ils ont collectionnés, constituent un incontestable stimulant pour le projet Nyalla, la vie citoyenne. Il suffit pour s’en convaincre de regarder les derniers films de Sani Magori, Aïcha Macky et Amina Wera, abordant de front des problématiques cruciales, allant même parfois jusqu’à en offrir des résolutions concrètes. Je crois que c’est précisément ce qu’attend le public de la télévision et, plus largement, ce que le peuple nigérien attend de la « démocratie directe » : se confronter concrètement aux mille et un conflits de la vie de tous les jours dans des situations très différentes les unes des autres sans jamais perdre de vue la différence entre monde rural et monde urbain.
Pour autant les premières approches scénaristiques de Nyalla, la vie citoyenne ne se sont pas orientées vers le cinéma documentaire. Au contraire même : les réalisateurs ont cherché d’emblée à frayer la voie de la fiction parce qu’elle leur était d’abord apparue comme la plus à même de traduire le caractère dramatique de ce que nous appelons « l’incivisme » et dont chacun a pu souffrir un jour ou l’autre. Ce premier souffle d’inspiration est venu relever le défi initial en frayant la voie d’une Série TV alternant fictions et documentaires.
Ce mixage des genres et la grande liberté qu’il induit vont pouvoir souligner la pertinence du choix que feront les auteurs, appliqué aux différentes situations traitées. Il stimulera la souplesse de leur créativité. Les « nouveaux documentaristes nigériens » ont d’ailleurs tout intérêt à se prêter à cet exercice pour enrichir leur recherche personnelle, et la réciproque est toute aussi vraie pour les auteurs enclins à traiter de la vie citoyenne par la fiction.
Dynamique de la Série TV
Une Série TV fonctionne par rebondissements successifs. C’est déjà le cas avec Nyalla, la vie citoyenne : le processus s’est enclenché dans un remarquable foisonnement d’idées avec la production des premiers scénarios. Vifs et contrastés, ses résultats sont ceux que l’on est en droit d’attendre d’un laboratoire de création audiovisuelle – formule qui a de plus en plus le vent en poupe en Afrique.
La décision prise par le Chef de l’Etat de soutenir notre projet accélère de fait ce processus. Elle nous autorise la mise en place de ce laboratoire. Nyalla, la vie citoyenne serait en quelque sorte son premier prototype. Allez savoir qui de l’œuf ou de la poule était le premier !
Création et production, les deux stratégies se nourrissent l’une l’autre à chaque étape et elles ont toutes les deux la particularité d’être assujetties à une obligation de résultats immédiats. L’objectif des 157 épisodes à réaliser nous oblige à une économie parcimonieuse de temps et de moyens. C’est là notre très grande chance et c’est aussi ce qui distingue notre expérience de toutes les tentatives de ce genre qui ont l’ambition de renouveler le paysage audiovisuel africain.
Notre chance, effet dialectique du « paradoxe nigérien », c’est que l’obligation de résultats immédiats à laquelle sont soumis producteurs et auteurs ne porte pas seulement sur le fonctionnement professionnel, quasi industriel, du système de production audiovisuelle, mais aussi et surtout sur son impact sociétal puisque telle est notre « feuille de route », qui revient à poser, ouvertement et méthodiquement, la question de savoir comment améliorer le « vivre ensemble » nigérien, comment en faire bouger les lignes conservatrices.
Notre chance c’est que cette obligation, n’est en rien comparable à celles qui découlent de tout « produit télévisé », aussi honorable soit-il. Dans notre perspective, une première réalisation de stagiaire peut, en quelques minutes, être aussi efficace sur le plan de la vie citoyenne que celle d’un cinéaste chevronné. Dans son principe même, la Série TV Nyalla, la vie citoyenne, est modelée par ces contrastes.
Un défi 100% africain
Comme on le voit, l’idée d’école et de laboratoire audiovisuels se rejoignent en mettant en avant le pragmatisme de la méthode que nous avons choisie pour servir une ambition, partagée par nombre de pays africains, sans nous encombrer de dispositifs préalables, conformes à des modèles virtuels qui sont conçus pour capter le financement d’hypothétiques projets.
Mais, en réalité nous n’avons pas d’autres choix parce que notre impératif est de répondre – aujourd’hui et non demain – aux défis de la Renaissance culturelle mais aussi parce que nous devons assumer la faiblesse considérable de nos moyens, ceux qui sont supposés nécessaires à la réalisation d’une Série TV, et y suppléer par la synergie des volontés. Le génie cinématographique nigérien fera le reste.
C’est une façon de prendre en main notre destin de pionnier du cinéma africain et de renforcer le rôle émancipateur du cinéma dans l’histoire et l’imaginaire social du Niger. Nous devons avoir foi dans cet élément clé de notre ADN culturel pour transporter les montagnes du paysage audiovisuel africain, celles, notamment, qui se sont dressées depuis que l’ensemble des réseaux de diffusion cinématographiques, échafaudés dans les années 80, se sont volatilisés. Les plus grands réalisateurs du continent ont pris conscience de l’impasse dans laquelle se trouve aujourd’hui la création cinématographique conçue sur un modèle occidental devenu inadéquat.
Je pense plus particulièrement aux réflexions du regretté Idrissa Ouedraogo lorsqu’il déclarait indispensable de repenser les conditions d’existence du cinéma en considérant que son principal marché doit être le marché national… Il faut désormais se tourner, disait-il, vers un cinéma plus proche des gens… recréer un cinéma correspondant à la réalité du continent… repartir du marché et, grâce aux possibilités du numérique, tout repenser : la distribution, la production, les nouvelles techniques de réalisation… Il y a un grand appétit d’images en Afrique, ajoutait-il, à condition d’aller vers le local.
Ces propos pourraient servir de profession de foi à tous les acteurs de notre projet. Rappelons que la carrière de cet auteur, qui réalisa quelques-uns des plus grands classiques du cinéma africain, avait, depuis quelques années, opéré un spectaculaire virage dans le numérique en s’attaquant, comme chacun le sait, au pari de la Série TV avec sa fameuse Kadi jolie. Son courage et son audace étaient les signes de son extraordinaire optimisme. Le cinéma va être moins élitiste, disait-il, de nouvelles images, de nouveaux acteurs vont arriver. Et le public sera là.
Le Niger, tout comme le Burkina Faso, se trouve dans un besoin absolu de s’approprier une telle leçon d’optimisme et de hardiesse. Dieu merci, une réalisatrice comme Aïcha Macky nous fait incessamment la démonstration que c’est possible, ajoutant même, avec ses consœurs, une dimension nouvelle aux prophéties d’Idrissa Ouédraogo : de nouvelles images et de nouvelles actrices vont arriver…
Cette même leçon nous est aussi délivrée par notre voisin, le Nigéria, qui a récemment décroché la palme du pays le plus optimiste du monde. Une telle confiance ne doit pas nous faire peur, autant que la déficience de notre appareil de production audiovisuelle, sinon il n’y aurait rien de possible face au géant nigérian. Je suis persuadé du contraire et il me semble d’ailleurs nécessaire de ramener l’impact Nollywood à de plus justes proportions en rappelant qu’il doit son émergence, fin des années 80, à la convergence de deux phénomènes : le succès du commerce informel de VHS sur les marchés et la crise de l’audiovisuel public qui aura poussé techniciens et réalisateurs de TV à inventer de nouveaux modes de réalisation et de production… Ces pionniers qui, en vingt ans ont fait de de Nollywood le deuxième producteur mondial de cinéma, étaient donc des autodidactes…
Mais tout change très vite, et il nous faut rester attentifs à tous les mouvements qui se dessinent dans le paysage audiovisuel africain. Voilà qu’aujourd’hui, par exemple, la « nollywoodisation » est remise en cause par le « New Nollywood ». Une nouvelle génération de cinéastes nigérians cherche à sortir des standards rabâchés de la production avec le but affiché de pénétrer le marché occidental par une plus grande exigence de qualité. Nul doute qu’elle sera aussi morale et sociale en se rapprochant de notre démarche d’aujourd’hui… A condition que nous sachions adopter l’économie de temps et de moyens techniques et financiers des réalisations de nos frères nigérians (la production d’un film prend en moyenne entre 7 et 10 jours pour un budget de 5 millions de Cfa), nous serons peut-être bientôt revenus à un pied d’égalité. Dans cette saine compétition des idées qui visent à exploiter l’immense potentiel de l’audiovisuel en Afrique, nous bénéficions – je dois le répéter – de l’atout considérable que constitue le mandat citoyen du projet que nous délivre la volonté de voler au secours de la « renaissance culturelle ». Ce pari ne pourra être gagné que par la jeunesse de ce pays.
Inoussa Ousseini
Délégué permanent du Niger auprès de l’UNESCO