Nana Hadiza Akawala est de nationalité nigérienne. Elle a obtenu son Master2 en réalisation de film documentaire (bac +5) à l’Université Gaston Berger (UGB) de Saint Louis au Sénégal. Elle est également titulaire d’un Master2 en Marketing et Management des Affaires Internationales (MMAI). Elle fut Directrice de la Télévision Bonferey et Secrétaire Générale du Centre National de la Cinématographie du Niger (CNCN). Elle travaille présentement au Ministère de la Renaissance Culturelle des Arts et de la Modernisation Sociale. Dans cet entretien, elle nous parle de son film ‘’Bibata est partie…’’ qui appelle à l’humanisation des rapports entre patronnes et femmes de ménage. Un moment d’intense émotion. Entretien.
Niger Inter : votre film « Bibata est partie… » vient d’être lancé le Samedi 31 Mars dernier. De quoi parlez-vous dans ce film ?
Akawala Nana Hadiza : « Bibata est partie… » est un film documentaire qui traite de l’amitié, de l’humanisme. Le fil conducteur ou la démarche artistique choisi pour raconter cette amitié est basé sur une quête, une exploration. L’histoire de ce film est celle d’une femme de ménage de ma famille communément appelée ‘’bonne’’ et remonte à plus d’une dizaine d’années. Mon amie Bibata vivait au village avec sa belle famille. Son époux était parti en exode et ne lui envoyait pas de quoi subvenir à ses besoins et ceux de ses enfants. Comme le veut la tradition, la prise en charge de Bibata revient alors à ses beaux parents. Malheureusement, cette belle famille ne dispose pas des moyens nécessaires pour assumer cette mission. Bibata a donc quitté son village pour chercher du travail à Niamey, la capitale et ainsi subvenir à ses besoins. La première famille dans laquelle elle a travaillé était la mienne.
Les tâches de Bibata chez moi étaient courantes : préparer les repas, s’occuper de la maison, balayer la cour, faire la vaisselle… En dépit de l’écart d’âge entre nous (j’avais entre 14 et 15 ans et elle 25 ans), il s’est créé très vite un rapport d’amitié voire familial entre elle et moi. La complicité entre nous était telle qu’il n’y avait cette ligne de démarcation, j’allais dire cette distanciation qui fait que la fille de ménage se présente comme l’Autre des membres de la famille malgré ses précieux services à cette dernière.
Un jour Bibata a été rappelée dans son village par son mari revenu de l’exode avec la ferme promesse de revenir dans une semaine. Voilà plus de dix ans que Bibata n’est plus revenue et n’a pas fait signe de vie. Son absence a brisé quelque chose en moi. Son absence a laissé un vide autour de moi. Elle me manquait tout simplement. Des faubourgs de Niamey à Kobi, je pars à sa recherche.
Niger Inter : Comment avez-vous créé cette confiance ou disons cette amitié entre vous et Bibata?
Akawala Nana Hadiza : Je considérais Bibata comme une grande sœur et non pas comme une ‘’bonne’’. Il m’arrivait de l’assister dans ces tâches quotidiennes, les moments où je suis libre, les jours que je ne partais pas à l’école. Par exemple je l’aide à faire la lessive, la vaisselle et je discute beaucoup avec elle. Elle se confiait à moi. Le soir ou dans ses moments creux, elle me racontait sa vie et partageait avec moi ses joies et ses peines, le tout ponctué des chansons qui se fredonnaient dans la grande place de son village …C’est dans ces moments que je découvre Bibata, sa sympathie, sa naïvet, son attachement à sa culture qui l’oblige à accepter cette situation. Naïvement et par compassion, je lui propose de se libérer mais elle me dit : « c’est comme ça, c’est la tradition ». Au fil du temps, j’ai fini par la comprendre, l’aimer et intégrer son milieu. Des fois, je l’accompagnais dans les gites des bonnes au quartier golf.
Niger Inter : Pour avoir côtoyé ce monde des travailleuses au foyer quels sont les défis auxquelles elles sont confrontées ?
Akawala Nana Hadiza : La plupart de ces femmes de ménage doivent travailler pour se prendre en charge et prendre en charge leurs enfants parfois pour des salaires de misère. Elles doivent aussi affronter la réalité difficile de la vie dans la grande ville de Niamey où elles sont confrontées à l’insécurité, le déguerpissement, les incendies (car elles habitent dans des maisons de fortune), les maladies, les accouchements non assistés, la débauche des plus jeunes ou les abus sexuels sans compter les caprices des patronnes ou leurs progénitures.
Niger Inter : Une des interrogations suscitées par votre film est de savoir s’il faut envisager BIBATA EST PARTIE II ?
Akawala Nana Hadiza : De mon point de vue, cette interrogation est le résultat de l’émotion provoquée par le film après sa projection, c’est une question pertinente et positive. Cependant Bibata est partie… vient juste de commencer son chemin. Faire un « Bibata est partie… » ? II peut être envisageable ; mais pour l’instant la promotion et la diffusion de la présente édition est ma priorité. Le temps et la carrière de ce film nous permettra d’en décider. Pour la carrière internationale, le film est en cours d’inscription dans les festivals.
Niger Inter : Quel est votre secret en termes de budget dans un contexte où la culture est loin d’être une priorité ?
Akawala Nana Hadiza : Le contexte est certes difficile et les contraintes budgétaires évidentes. Chez les Zarma, il ya un adage qui dit « anniya no ga yoo gabu », autrement dit avec une grande détermination on peut piler un chameau entier dans un mortier. Parfois, ce n’est pas forcement l’argent qui fait le projet mais il contribue à sa réalisation. J’étais entourée d’une équipe qui croie en moi et à qui j’ai su injecté le virus de la détermination que j’avais en moi pendant toutes ces années de maturation du projet. Avec l’appui de certains partenaires locaux nous avons pu travailler et offrir le produit que vous avez vu le 31 mars dans la salle Canal Olympia de bluezone Niamey.
Niger Inter : Après le lancement de votre film qu’envisagez-vous pour le faire connaitre des Nigériens et du reste du monde ?
Akawala Nana Hadiza : Après cette projection officielle notre second défi est la mise en œuvre du projet « caravane du film Bibata est partie… » . Ce projet que nous pilotons en collaboration avec le Cinéma Numérique Ambulant vise la projection du film dans les huit régions du Niger en particulier les zones rurales reculées qui n’ont en général pas accès à la télévision, à l’électricité. La phase pilote de ce projet concerne 5 arrondissements de la région de Niamey, ainsi que des séances de projections sur les différents gites des ‘’bonnes’’. D’autres projections dans les centres culturels avec codes d’entrée seront organisées afin de permettre aux cinéphiles de regarder le film dans un cadre approprié.
Niger Inter : En tant que réalisatrice en herbe, quel est votre message à l’endroit de vos confrères et partenaires pour que le cinéma contribue à l’éveil des consciences ?
Akawala Nana Hadiza : Le cinéma est certes un vecteur clé pour transmettre des messages, changer le comportement et ouvrir des débats, des pistes de réflexion sur des questions essentielles de la vie. La puissance du son et de l’image peut opérer des grands changements dans les visions et les mentalités. J’interpelle mes confrères à travailler en équipe car l’association de différentes compétences ne peut que profiter aux projets. Ils doivent aussi croire en eux et à leurs projets, ne jamais se décourager ou abandonner. Pour ce qui est des partenaires je les exhorte à investir dans ce secteur porteur et plein d’avenir.
Interview réalisée par Elh. Mahamadou Souleymane