« J’ai vraiment l’impression que les OSC au Niger ne sont ni plus ni moins que des simples entreprises de récupération, de transformation et de commercialisation de la frustration populaire », déclare Hama AMADOU
La société civile est un élément essentiel en démocratie. ‘’ Mise en avant par les grandes organisations internationales, comme l’ONU, la « société civile » désigne l’ensemble des associations à caractère non gouvernemental et à but non lucratif. Il s’agit donc de l’auto-organisation de la société, en dehors de tout cadre institutionnel (au sens politique du terme), administratif ou commercial. La société civile sous cet angle est moins un donné qu’un domaine de la société à renforcer ou à construire’’. De plus en plus, l’opinion publique est très critique sur la société civile nigérienne qui perd en crédibilité tant ses acteurs trainent certaines tares inacceptables. Dans l’entretien qui suit, en grand témoin, Hama AMADOU un jeune nigérien qui suit les dynamiques des OSC à l’échelle africaine décrypte ces tares de la société civile sous nos tropiques et propose des solutions pour une société civile forte et crédible.
Niger Inter : présentez-vous à nos lecteurs.
Hama AMADOU : Je suis Hama AMADOU, spécialiste en eau et assainissement en poste au Burkina Faso. Je suis consultant et membre de plusieurs organisations des jeunes qui œuvrent dans le domaine du développement et pour l’atteinte des Objectifs de développement durable (ODD) d’ici 2030 en Afrique.
Niger Inter: vous vous intéressez également au débat sur les Organisations de la société civile (OSC) à l’échelle africaine. Quelle est votre opinion sur la tendance des OSC dans les pays africains que vous avez visités ?
Hama AMADOU : Les OSC des pays que j’ai visités me paraissent plus intellectuelles, plus responsables et très moins politiques. Dans plusieurs pays de la sous-région, les OSC contribuent de façon responsable et désintéressée au développement de leurs pays à travers une veille citoyenne indépendante et un débat de haut niveau sans rancune et sans connotation politique. Dans ces pays, il ne peut pas en être autrement, parce que les OSC sont animées par des intellectuels, des écrivains, des grands journalistes, des artistes de haut niveau qui sont vraiment à l’abri de toute tentation politicienne et qui ont le minimum pour faire face aux besoins quotidiens au regard bien évidemment de leur statut professionnel. Donc vous voyez, c’est des acteurs qui ont un statut professionnel bien clair, un domaine de compétence bien précis, qui animent de façon bénévole ces organisations. Dans ces pays, les OSC jouent réellement leur rôle de contre-pouvoir parce que les acteurs sont assez indépendants et ont consciences que leur militantisme relève du bénévolat.
Niger Inter: vous vivez au Burkina Faso, le balai citoyen est cité en exemple pour avoir chassé Blaise Compaoré. Aujourd’hui quel est l’état des lieux de la société civile burkinabè ?
Hama AMADOU : Au Burkina Faso, le balaie citoyen et d’autres OSC ont joué un rôle déterminant dans la chute de Blaise Compaoré. Le balaie citoyen était même fortement impliqué dans les consultations qui ont précédées la mise en place des autorités de la transition. Vous avez suivi comment le président de la transition a été désigné, c’est par un processus de dépôt de CV et d’entretien comme un entretien d’embauche avec un focus sur les compétences. C’est un processus de sélection qui a été souhaité par tous les acteurs de la société civile à l’époque. Les OCS ont donc joué leur rôle de veille citoyenne. C’est encore elles qui ont organisé la résistance contre le coup d’état de Gilbert Djendjeré et déclenché le processus de démantèlement et de liquidation du RSP (le Régiment de la Sécurité Présidentielle). Aujourd’hui encore les OSC continuent de jouer leur rôle apolitique de sensibilisation, de conscientisation et de formation des citoyens. Les autorités Burkinabées font extrêmement attention à la moindre dérive démocratique parce que ‘elles savent que les OSC ont un œil citoyen et apolitique sur elles. Au Burkina Faso, contrairement à ce que je vois au Niger, il est rare de voir un acteur de la société civile qui vit de son organisation. C’est des avocats, des chanteurs de renommée, des enseignants chercheurs qui alertent à travers des débats apolitiques citoyens. On peut dire que, depuis la chute de Blaise, la société civile burkinabé est devenue plus forte et plus présente dans les débats politiques. Je vous donne l’exemple du « presimètre » qui est une plateforme de veille citoyenne qui permet de suivre la mise en œuvre des engagements du président du Faso. Les burkinabés suivent attentivement ce presimètre et s’impliquent même à travers une notation de la gouvernance du président Rock. C’est une notation populaire qui permet au président du Faso de savoir où est ce qu’il en est par rapport aux engagements électoraux qu’il a pris ? Est-ce que l’orientation politique qu’il s’est fixée répond aux aspirations du peuple Burkinabé ? Pour moi, c’est ça une société civile responsable qui accompagne sans considération et mot d’ordre politique le développement de toute une nation.
Niger Inter : Vous venez de séjourner au Niger. Quelle est votre impression sur la société civile nigérienne ?
Hama AMADOU : j’ai l’impression que la société civile nigérienne sous traite avec les parties politiques pour livrer en leur place un combat politique qu’eux (les parties politiques) n’ont pas suffisamment le temps ou le courage de mener. Le débat au sein des OSC Nigériennes est très fortement politisé et clanisé. Les acteurs de la société civile n’arrivent plus à mobiliser les nigériens tout bord politique confondu, malgré souvent la cherté de la vie. Malheureusement, j’ai l’impression qu’ils utilisent souvent les méthodes de mobilisation que certains hommes politiques utilisaient pour mobiliser, c’est-à-dire en tirant sur les cordes ethno régionalistes. Même avec ça, on remarque qu’ils n’arrivent pas à mobiliser parce que visiblement ils sont atteints par l’usure et les nigériens ont en mémoire la trahison dont ils ont été victimes au lendemain de la mobilisation historique de 2005. J’ai vraiment l’impression que les OSC au Niger ne sont ni plus ni moins que des simples entreprises de récupération, de transformation et de commercialisation de la frustration populaire. Ce qui est inquiétant pour l’avenir de la démocratie nigérienne, c’est que ces OSC sont devenues le dépotoir de tous ceux qui ont échoué à l’université. Tous ceux qui échouent à la faculté, finissent par se transformer en acteur de la société civile pour en réalité en faire une profession génératrice de revenu. Au moment où dans les pays de la sous-région, les OSC sont animées par des intellectuels et écrivains qui constituent une force de proposition, au Niger par contre on trouve parmi les acteurs de la société civile des anciens loubards du campus, des anciens promoteurs de la violence sur le campus universitaire. Des gens qui ont fait plus usage de leurs muscles que de leur cerveau pour vivre sur le campus. Malheureusement, ces personnes, au regard de leur histoire marquée par la violence, ternissent plus l’image du Niger lors des rencontres internationales des OSC, parce qu’ils n’arrivent pas à s’imposer dignement face aux intellectuels de haut niveau qui représentent très souvent les OSC des autres pays.
Niger Inter : Vous avez affirmé dans un débat qu’aujourd’hui les acteurs de la société civile nigérienne ne mobilisent plus les masses comme en 2005. Comment expliquez-vous cet état de fait ?
Hama AMADOU : Les acteurs actuels de la société civile n’arrivent plus à mobiliser les masses comme en 2005 pour des raisons toutes simples :
- Les manifestations contre la vie chère en 2005 ont suscité beaucoup d’espoir pour le peuple Nigérien. Les nigériens étaient massivement sortis pour dénoncer la misère. Le mouvement était porté par certains des acteurs qui animent encore aujourd’hui le mouvement de la société civile. Malheureusement, les nigériens dont je fais partie ont eu le sentiment légitime d’être trahis par les leaders du mouvement.
- La seconde raison qui explique l’incapacité des OSC à mobiliser les nigériens, c’est la profonde politisation des OSC et des acteurs qui les animent. Certains d’entre eux ne cachent plus leur appartenance politique. Ils dénoncent quand leurs mentors sont à l’opposition et se taisent quand leurs mentors sont au pouvoir. Les OSC ont cessé de défendre les intérêts des masses populaires. Des individus créent des OSC pour défendre leurs propres intérêts en pactisant très souvent avec les hommes politiques. Les masses populaires ne se retrouvent plus dans le comportement quotidien des animateurs des OSC.
- La troisième raison n’est rien d’autre que l’usure et le fonctionnement peu démocratique des OSC. La majorité des acteurs qui sont à la tête des OSC actuellement, le sont depuis leur création. Un acteur de la société civile qui fait plus de 15 ans à la tête d’une OSC sans la moindre Assemblée Générale pour renouveler les instances, c’est au Niger seulement qu’on voit une telle contradiction de fonctionnement des organisations de défense de la démocratie. Par contre, au Sénégal en début d’année 2017, le mouvement ‘’Y’en a marre’’ a tenu son AG pour renouveler le mandat de Fadel Baro, le second et dernier mandat de 2 ans.
Niger Inter : Comment justement inverser la tendance pour une société civile forte et crédible ?
Hama AMADOU : Pour une société civile forte et crédible, il faut :
- Des acteurs indépendants et apolitiques qui acceptent d’être des bénévoles. Des acteurs qui, de par leurs compétences et leur statut professionnel, sont capables de subvenir à leurs besoins quotidiens sans passer par l’organisation de la société civile. Mais lorsqu’un acteur de la société civile, n’ayant aucune compétence professionnelle à vendre, crée une OSC et vit de l’OSC, c’est que celle-ci génère des revenus. Et quand une OSC génère des revenus pour entretenir ses animateurs, elle n’est plus une OSC mais une entreprise.
- Des acteurs qui acceptent l’alternance. De la même manière que les acteurs de la société civile prônent l’alternance démocratique pour une démocratie forte et apaisée, ils devraient aussi donner l’exemple en prônant l’alternance au sein de leurs organisations. Si non ils ne seront plus crédibles et forts pour jouer leur rôle de veille citoyenne.
Niger Inter : Un des problèmes de la société civile nigérienne c’est également cette confusion des genres où certains acteurs ne savent plus les limites de leur champ d’actions. A partir de l’expérience des autres OSC à l’échelle du continent comment selon vous véritablement la société civile nigérienne peut-elle assumer son rôle de contre-pouvoir sans se compromettre ?
Hama AMADOU : La société civile nigérienne ne peut pas assurer son rôle de contre-pouvoir sans se compromettre si les acteurs qui l’animent vivent de cette même société civile. Il faudrait que ceux qui envisagent d’être des acteurs de la société civile comprennent qu’on ne devient pas acteur de la société civile parce qu’on pas pu décrocher un diplôme à la faculté ou parce que le diplôme n’est pas assez pertinent pour être compétitif sur le marché de l’emploi. Tel que je vois dans les autres pays de la sous-région, c’est vraiment du bénévolat né d’une ferme conviction. Quand vous prenez les OSC comme ‘’Y’en a marre’’ au Sénégal, le Balaie citoyen au Burkina Faso ou encore la LUCHA en RDC Congo, c’est des OSC qui jouent véritablement leur rôle de contre-pouvoir et d’alerte citoyenne, parce que ses animateurs ont tous un statut professionnel qui les rend indépendant et les mets à l’abri de toute tentation. C’est des écrivains comme au Cameroun ou des avocats, des journalistes et artistes comme au Sénégal et au Burkina Faso qui ont des idées et une vision pour leurs pays respectifs.
Niger Inter : quelle lecture faites-vous de notre processus démocratique aujourd’hui ?
Hama AMADOU : Je crois que le Niger a amorcé un tournant démocratique qu’il faut encourager. Je discute avec nos compatriotes de la sous-région et même avec des jeunes des autres pays de la sous-région. Et la conclusion à laquelle nous sommes parvenus, c’est que le Niger se positionne progressivement comme un modèle de démocratie, en tout cas dans la sous-région. C’est au Niger seulement que le débat politique est permanent et la liberté d’expression est réelle. C’est des acquis qu’il faut pérenniser par la veille citoyenne. Et c’est là où je pense que le Niger a besoin d’une société civile assez responsable et intellectuelle pour y arriver.
Niger Inter : en tant qu’ancien leader estudiantin quelle est votre opinion sur l’école nigérienne ?
Hama AMADOU : L’école nigérienne rencontre réellement des difficultés aujourd’hui. Personne ne peut nier cela. Nos enfants sont enseignés par des enseignants souvent qui ne peuvent même pas formuler une phrase complète. Mais ce qu’il faut comprendre, le malaise actuel de l’école nigérienne est le résultat d’un processus de destruction de l’école initié au début des années 2000 par le régime de l’époque. Je me souviens très bien de la privatisation du CNOU, de l’augmentation des frais d’inscription des étudiants de 5000 à 10000 avec la complicité de certains étudiants loubards qui usaient de la violence pour faire passer les mesures. Certains d’entre eux sont des acteurs de la société civile aujourd’hui. Si l’école nigérienne souffre aujourd’hui c’est parce qu’elle a été profondément malmenée par les régimes antérieurs. Jamais un étudiant nigérien n’a connu le pic de la clochardisation que sous le régime de Hama AMADOU. Ça au moins les nigériens tout bord confondu sont unanimes là-dessus.
Niger Inter : on parle de plus en plus d’argent également dans le mouvement scolaire notamment récemment au Congrès de l’USN à Agadez. N’est-ce pas une dérive pour les scolaires nigériens ?
Hama AMADOU : J’ai suivi à travers les réseaux sociaux quelques images d’étudiants et scolaires armés de gourdin au dernier congrès de l’USN à Agadez. Certainement parce que l’argent a circulé et a été l’élément déterminant dans le choix des leaders. Malheureusement, cela ne date pas d’aujourd’hui. Il y’a actuellement des acteurs de la société civile, qui à leur époque ont utilisé soit la violence, soit l’argent pour se faire élire à l’USN ou à l’UENUN. Je pense que c’est tout simplement une dérive qui doit cesser. Les congrès des scolaires doivent être des occasions de débats intellectuels avec des recommandations pertinentes allant dans le sens de la construction de la nation, et non des moments de violence et de barbaries.
Niger Inter : comment selon vous les scolaires nigériens doivent se comporter pour la gloire de l’école nigérienne ?
Hama AMADOU : Les scolaires nigériens doivent tout simplement se comporter en responsables. Ils doivent bannir la violence et les casses de leur comportement quotidien. L’école nigérienne n’a pas besoin de ça. Ils ont aussi le devoir d’être vigilants pour éviter de se faire manipuler par des politiciens, des acteurs de la société civile et autres groupes de pression. Les scolaires nigériens doivent se mobiliser uniquement dans le seul but de défendre l’image de l’école nigérienne et surtout éviter de répondre à des mots d’ordre politiques enveloppés dans des coquilles de la société civile.
Niger Inter : quel est votre dernier mot ?
Hama AMADOU : Je voudrai féliciter les nigériens pour l’image que le Niger présente aujourd’hui dans la sous-région. Le Niger fait figure de leader dans beaucoup de rencontres sous régionales et même régionales. Je pense que c’est à l’actif de tous les nigériens et je voudrai les encourager à aller dans ce sens. Je voudrai aussi demander à la jeunesse nigérienne de s’impliquer davantage mais de façon citoyenne et responsable dans le débat démocratique. La jeunesse se doit de redoubler de vigilance pour éviter d’être piégée par les manipulations quotidiennes et travailler à l’émergence d’une société civile plus intellectuelle, plus responsable et plus démocratique.
Réalisée par Elh. Mahamadou Souleymane