Le président du Niger qui se bat sur plusieurs fronts (celui de la lutte contre l’insécurité et du développement), nous a reçus à Niamey. Avec lui, nous avons abordé les questions de développement, mais surtout de sécurité.
Né en 1952 à Dandadji, dans le département d’Illéla (région de Tahoua), Mahamadou Issoufou est un ingénieur des mines, doublé d’un mathématicien et d’un statisticien. On comprend alors aisément comment il a su faire plier Areva et négocier de meilleures conditions pour son pays dans plusieurs domaines.
Mahamadou Issoufou a été directeur des mines au ministère des Mines et de l’Industrie ; secrétaire général de la Société des mines de l’Aïr (Somaïr) ; directeur des exploitations de la Somaïr. Plusieurs fois élu député à l’Assemblée nationale au titre de la circonscription électorale de Tahoua (1993, 1995, 1999, 2004 et 2011), il a été chef de file de l’opposition politique (1999-2009). Premier ministre du 17 avril 1993 au 28 septembre 1994, président de l’Assemblée nationale du Niger du 18 février 1995 au 27 janvier 1996 avant d’être investi président de la République du Niger le 7 avril 2011 pour un mandat de 5 ans.
Très posé, le regard pétillant dès qu’il s’agit de parler de ses réalisations, il est très apprécié de ses concitoyens qui voient leur pays « bouger ».
Les Echos : Monsieur le président, votre pays est en chantier. Malgré la lutte contre l’insécurité, on voit à Niamey de grands chantiers, quel est votre secret ?
Mahamadou Issoufou : Avant notre arrivée, nous avons proposé aux Nigériens un projet de société, un programme. Notre parti, le PNDS (Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme) est quand même resté 20 ans dans l’opposition ! Cette place nous a permis d’asseoir nos convictions et de faire partager nos valeurs à nos citoyens. Notre réussite réside dans le fait que nous nous sommes donné des repères.
Nous avons proposé au Nigériens un « programme de renaissance » en 8 points : bâtir des institutions démocratiques fortes, crédibles et durables ; assurer la sécurité des personnes et des biens sur toute l’étendue du territoire national ; relancer l’économie et promouvoir le développement social à travers des investissements publics ; assurer la sécurité alimentaire à travers l’initiative « 3N » : (les Nigériens nourrissent les Nigériens) ; assurer l’accès à l’eau potable pour tous à travers la réhabilitation et la construction d’ouvrages hydrauliques urbains, ruraux et pastoraux ; développer les infrastructures et l’énergie par des investissements dans les routes, les pistes rurales, l’électricité et les chemins de fer ; améliorer significativement les indicateurs sociaux (éducation et santé) et créer des emplois au profit des jeunes.
Les Echos : Vous êtes à un an de votre premier mandat. Que peut-on déjà retenir ?
Vous savez, la plus belle invention de l’homme, c’est l’Etat. A condition que l’Etat existe tout le reste devient possible. Ensuite il y a la sécurité où on a beaucoup anticipé compte tenue de devient possible. C’est ainsi que nous avons pu réaliser les infrastructures routières, énergétiques, ferroviaires et les réseaux de fibres optiques pour promouvoir les technologies de l’information et de la communication. Ensuite il y a l’initiative « 3N ». Puis l’éducation, une des base sociale du développement, la santé, l’accès à l’eau pour les populations et l’assainissement.
En 2011 quand on est allé aux élections, j’étais le seul à avoir un programme. L’équipe sortante a dirigé ce pays pendant 10 ans sans programme, c’est pourquoi ils n’ont pas fait autant que nous. Si je prends l’école, au plan des infrastructures, à la fin de la 4e année, nous sommes à près de 15 000 classes en matériaux définitifs. Dit comme cela les gens ne voient pas l’importance, mais quand on compare, avec le régime au pouvoir de 2000 à 2010, ils ont fait 3000 classes en 10 ans. La différence est énorme. De l’indépendance du Niger en 1960 à 2010, il y a eu 20 000 classes en matériaux définitifs. C’est vraiment le jour et la nuit comparé aux réalisations de notre mandat et c’est la même chose dans beaucoup de domaines.
Les Echos : Comment cela est possible, est-ce à dire que le Niger est plus riche qu’avant ?
C’est vrai que nous avons mobilisé plus de ressources, mais nous les avon dépensées de manière plus efficace. Parce qu’il nous fallait agir sur les deux tableaux. Le « Programme de renaissance » que l’on a mis en place, a, parmi ses objectifs, la restauration du monopole fiscal de l’Etat parce qu’il y avait beaucoup de fraude dans le régime fiscal. Il fallait tout faire pour que les douanes soient plus rentables, de mêmes que les impôts. La conséquence a été que le maximum de ressources entre dans les caisses de l’Etat. Grâce à nos efforts, le Niger qui était classé 134e de l’indice de corruption en 2010, a pu se classer 103e. Il y a encore des efforts certes, mais cela montre que la gouvernance s’améliore.
Notre programme a été chiffré à 6200 milliards de F CFA sur 5 ans. Nous avons organisé une table ronde avec les bailleurs de fonds. Notre objectif était de financer à 50 % notre programme et de mobiliser à l’extérieur le complément.
Les Echos : Vous vous êtes investi pour juguler la crise au Mali, lutter contre Boko-Haram, la Libye, quelle est la situation actuelle ?
Pour nous, le problème sécuritaire du Mali est une question de sécurité intérieure pour le Niger. S’il y a un point sur lequel on a anticipé c’est bien la sécurité. Avant d’arriver au pouvoir on a bien évalué les menaces terroristes, d’organisations criminelles, de trafic de drogue dans la sous-région. La première initiative de notre gouvernement a été de renforcer les capacités des forces de défense et de sécurité.
Nous avons accru les effectifs et amélioré la formation, y compris dans la lutte contre le terrorisme. Nous avons également développé nos capacités de renseignement. Il était primordial pour nous de restaurer le monopole de violence de l’Etat sur l’ensemble du territoire du Niger. Cela veut dire qu’aucun citoyen ou aucune fraction de la population ne peut détenir des armes de guerre en dehors des forces armés et de sécurité Nigériennes.
Nous avons mis l’accent sur la diplomatie pour avoir des alliés. Et ensuite le peuple a cru en son armée et l’a soutenu. Quotidiennement des équipes de 500 à 600 véhicules sillonnaient tous les villages du Niger pour veiller à la sécurité des populations. Nous avons des patrouilles régionales dans les 8 régions et dans les 63 départements, à côté des opérations lourdes.
Pour faire face à la crise libyenne, nous avons développé l’opération « Mali-béro » qui nous a permis de contrer les effets négatifs de la crise libyenne. Les effets ont sauté le Niger pour aller au Mali malheureusement. Les débris de l’armée de Kadhafi ont voulu s’installer au Niger, nous leur avons dit : ‘ou on vous désarme pour rentrer sur notre territoire ou on vous combat’. Ils ont décidé de ne pas se désarmer, on a voulu les combattre et ils ont fui au Mali.
En plus, l’opération lourde « Korey » permet de faire aux effets de la crise malienne. On a massé beaucoup de nos troupes sur la frontière avec le Mali pour éviter les infiltrations à partir du Mali. Troisième opération, « Inga » dans la région de Diffa pour faire face à Boko Haram et la quatrième opération lourde, « Maï Dounama » à l’intérieur du Nigeria pour casser Boko Haram en collaboration avec le Tchad. On a libéré plusieurs villes et villages du Nigeria.
Les Echos : Comment conciliez-vous les problématiques de sécurité et de développement ?
Si nous n’avions pas ces problèmes de sécurité, nous aurions fait plus. Malheureusement, les problèmes de sécurité sont venus ralentir les effets de nos actions dans les autres secteurs. Il n’y aurait pas eu ces problèmes de sécurité, les réalisations qu’on aurait faites auraient été plus importantes que celles que vous constatez présentement. En dépit des problèmes de sécurité, on a pu faire un minimum pour l’éducation, l’infrastructure, l’initiative « 3N »…
Les Echos : Quels sont les grandes ambitions que vous nourrissez pour le Niger dans les prochaines années ?
Je termine mon mandat d’abord ! (Ndlr : qui prend fin en 2016). Pour le prochain mandat on verra, je n’ai pas encore rédigé le programme. A partir du bilan du « Programme renaissance », on verra comment se projeter dans les cinq prochaines années. Ce qui est sûr, c’est que ce sera le programme de renaissance-bis, parce que les objectifs fixés ne peuvent pas être atteints en 5 ans. Je me concentre sur ce mandat-ci qui prend fin l’an prochain pour pouvoir atteindre les 100 % du programme.
Les Echos du Mali, 27 avril 2015
Propos recueillis à Niamey par Alexis Kalambry