Pipeline Niger – Bénin : Sortir de l’imbroglio

C’est une nouvelle qui a fait l’effet d’une bombe, tant dans le timing que dans le caractère symbolique, voire stratégique qu’elle revête. Et pour cause ! Depuis la levée des sanctions en février dernier, les autorités nigériennes ainsi que toute la population attendaient avec beaucoup de ferveur ce moment, à savoir le fait de voir le pétrole nigérien commencer officiellement à couler dans le pipeline Niger-Bénin, avec l’arrivée des premières gouttes à la station terminale de Sémé Kraté, située entre les villes béninoises de Cotonou et Porto-Novo ; ce, près de sept mois après le lancement de la phase II du projet.

Une étape sans doute très importante, voire cruciale pour le Niger en vue de la commercialisation de son pétrole. Cependant, la joie serait de courte durée puisqu’à la [presque] grande surprise de tout un peuple, les autorités béninoises ont décidé d’interdire aux navires de charger du pétrole à destination du marché mondial.

Selon David Morgan, analyse géopolitique, cette « décision ne s’inscrit pas dans la logique du droit d’accès à la mer qu’impose le droit international aux Etats riverains, pour faciliter le développement des États qui se retrouvent très loin des côtes, et donc n’ont pas l’accès à la mer pour les différents échanges commerciaux ». En compromettant au passage l’opérationnalisation du pipeline entre le Niger et le Bénin qui vient à peine d’entrer en service, l’interdiction risque d’exacerber les tensions entre les deux pays.

La contrainte extérieure ignorée, voire négligée ?

La lecture des événements laisse penser que les autorités ainsi que les chantres de l’isolationnisme n’auraient vraisemblablement pas pris en compte un élément pourtant essentiel dans les relations économiques internationales. Cet élément n’est autre que la contrainte extérieure qui désigne le fait que la liberté de manœuvre économique et sociale d’un pays est limitée par son insertion internationale et qui peut se traduire, entre autres, par des représailles. Les autorités auraient, en effet, bien pris conscience de la carte qui leur restait à jouer face à la posture adoptée par leurs homologues nigériennes qui ont maintenu la frontière fermée malgré les relances des premières. La décision des autorités béninoises, selon de nombreux observateurs, était prévisible tant l’absence de dialogue perdurait. Selon David Morgan, analyste politique béninois, cette décision s’appuie sur le principe de souveraineté des États et sur le fait que la partie nigérienne ait maintenu fermée sa frontière avec son voisin. D’après lui, « cela pourrait s’inscrire dans une logique de réciprocité qui viserait à amener la partie nigérienne à ouvrir ses frontières afin que les populations de part et d’autre puissent retrouver la dynamique d’échanges qui existait depuis longtemps. 

Niger – Bénin : Deux économies très imbriquées

Le Bénin reste l’un des principaux partenaires commerciaux du Niger : il est le troisième fournisseur du Niger (les importations nigériennes depuis le Bénin représentaient 27,098 milliards de FCFA en 2022) et son deuxième client (exportations nigériennes vers le Bénin pour 19,622 en 2022) juste derrière le Mali avec 57,422 milliards de FCFA. Concernant les envois de fonds des travailleurs migrants, le Bénin reste le deuxième pays pourvoyeur de fonds pour le Niger, avec 10, 821 milliards de FCFA juste derrière la Côte d’Ivoire (13,804 milliards) en 2022.

De graves conséquences en vue ?

La décision des autorités béninoises est tout sauf anodine, de surcroit quand on sait que les autorités nigériennes misent beaucoup sur l’exportation du pétrole brut pour améliorer les finances publiques, devenues depuis exsangues. En effet, « les ressources du budget général de l’Etat sont projetées à 2.653,44 milliards de FCFA en 2024 contre 1 980,99 milliards de FCFA en 2023, soit une hausse de 33,95% imputable à celle des ressources internes. Ces ressources connaîtraient une croissance moyenne de 18,62% sur la période 2024-2026 et s’établiraient à 3261,40 milliards en 2026. Cette évolution s’explique par l’augmentation des ressources internes de 30,37% par rapport aux prévisions de l’année 2023 en lien avec les recettes attendues de l’exportation du pétrole brut, couplée avec la mise en œuvre des réformes fiscales ». Mais pas seulement ! L’incertitude plane également autour du financement du programme de résilience, qui est en cours de formulation, et qui serait « notamment articulé autour des priorités suivantes : (i) emploi des jeunes ; (ii) éducation ; (iii) sécurité ; (iv) sécurité alimentaire et (v) santé ».  Selon le gouvernement, ce programme « permettra de valoriser le capital humain, la dynamique de la participation citoyenne sera capitalisée pour un changement de comportement favorable à une exploitation optimale des potentialités dans le cadre d’une intégration régionale avancée ».

L’objectif ainsi visé est, entre autres, « d’assurer une amélioration tangible des conditions de vie des citoyens ». Un projet sans doute ambitieux nécessitant de ressources considérables que le gouvernement semble prendre la mesure dans le budget 2024. Or, avec le blocage qui vient d’intervenir, c’est la concrétisation de ces projets qui risque d’être compromise. Autrement dit, les plans du gouvernement risquent de tomber à l’eau !

Le Bénin ne serait pas non plus épargné. L’oléoduc revêt également une importance stratégique pour le pays puisqu’il a généré près de 3 000 emplois pendant la période de construction et environ 500 emplois permanents avec sa mise en exploitation. A cela s’ajoutent près de 300 milliards de francs CFA comme droits de transits et recettes fiscales durant les vingt premières années d’exploitation du pipeline qui devrait avoir une durée de vie estimée à quarante ans. En outre, grâce à cette infrastructure, le Bénin pourrait ainsi devenir un acteur important du secteur pétrolier africain, bien qu’il ne soit pas producteur.

Au-delà de ne va pas aller dans le sens du bon voisinage, et ne pas répondre aux exigences du droit international, la décision des autorités du Bénin ainsi que le refus du Niger d’ouvrir sa frontière ne feraient que des perdants en raison, entre autres, de l’interdépendance des deux économies, évoquée ci-dessus.

Des leçons à tirer essentiellement par le Niger 

Pour un pays enclavé comme le Niger, il est préférable d’avoir toujours des relations cordiales avec ses voisins. Qui aurait imaginé un jour que la relation avec le Bénin serait aussi tendue ? De même, que nous réserve l’avenir avec les autres pays comme le Burkina, le Mali ou le Nigeria ? Dieu Seul sait ! En matière de relations internationales, la complexité qui en découle conduit les pays à faire preuve d’équilibrisme, voire de pragmatisme. Loin d’être un signe de faiblesse, cette posture a pour objectifs, entre autres, de limiter les coûts inhérents à un éventuel conflit (au sens propre comme figuré).

Il est important dans ce genre de situation de savoir prendre du recul, de la hauteur, voire être lucide. L’isolement que certains d’entre-nous prônent ne fait qu’accroître le coût déjà exorbitant, à la suite du blocus économique, pour la population – inflation élevée, finances publiques exsangues, recours systématique à la dette faute de recettes fiscales… – que l’Etat, faute de moyens, peine à compenser. Le fait de continuer à miser sur les symboles, tout en laissant « crever » une frange non négligeable de la population peut s’avérer contreproductif et fragiliser la cohésion sociale. D’où l’impérieuse nécessité de poser des actes devant permettre de sortir de l’impasse.

On a l’habitude de dire que l’on ne choisit pas ses voisins. S’il tient véritablement à la prospérité du pays, le gouvernement doit reconsidérer ses positions et aller vers une « approche » qui concilie la sauvegarde des intérêts du pays et le respect aussi des intérêts légitimes de ses voisins.

En définitive, les enjeux sont tels que les deux économies, qui sont relativement bien imbriquées, doivent rester de bons partenaires, unir leurs forces et faire face ensemble aux grands défis actuels et futurs pour favoriser leur prospérité. Il serait temps que les autorités des deux pays reconsidèrent leurs positions et travaillent ensemble pour poser les jalons d’une relation saine et durable. Ainsi, les deux pays frères pourront pleinement tirer profit de leurs relations d’un point de vue économique, diplomatique et stratégique et favoriser la prospérité de leurs économies. Pour le bien des deux peuples.

Adamou Louché Ibrahim

Economiste

@ibrahimlouché

Niger Inter Hebdo  147 du Mardi 14 mai 2024