Monsieur Mamoudou Souley est acteur de la société civile. Il est aussi observateur de la scène politique nationale. Sous le régime du président Issoufou, il fut conseiller spécial à la présidence de la République. Dans cet entretien accordé à votre journal, il revient sur un certain nombre de faits, des erreurs politiques que Bazoum lui-même a commises et qui ont précipité sa chute. Mamoudou Souley s’est également exprimé sur l’acharnement dont fait l’objet l’ancien président de la République, Issoufou Mahamadou.
Question : Depuis le 26 Juillet 2023, le président Mohamed Bazoum est renversé par un coup d’Etat militaire. En tant qu’observateur de la scène politique nationale, cette irruption de l’armée a-t-elle été une surprise ?
Réponse : Absolument, il y avait beaucoup d’indices concernant les possibilités de troubles de la gestion de Mohamed Bazoum. Mais pour comprendre profondément ce qui est arrivé à Mohamed Bazoum, il faut remonter à un passé récent de l’histoire politique du Niger. Trois étapes sont importantes à rappeler.
La première étape, c’est avant qu’il ne soit candidat à la présidence de la République, ensuite s’en est suivie la période de son magistère où il a commis beaucoup d’erreurs qui laissent entrevoir des possibilités de chute et après sa chute aussi, il y’a eu beaucoup d’autres erreurs. D’abord, tout le monde sait que Bazoum bénéficiait de tous les avantages qu’un militant pouvait avoir. Chaque fois que le PNDS accédait au pouvoir, il a un poste prestigieux au choix. Malgré tout cela, et malgré sa gestion de la présidence du parti, il s’est fait un clan quelque part, un groupuscule qui s’opposait directement par opposition à son prédécesseur. Tout le problème de Bazoum, c’est cette comparaison absurde et cette opposition avec celui qui est son compagnon, alors qu’ils doivent se compléter parce qu’il y avait eu d’abord, à la création du parti, composé des fonctionnaires des mines et d’enseignants, de générations qui sont proches l’une de l’autre mais qui ont des visions du monde un peu différente et que leur alliance était quand même enrichissante.
Mais la cohésion, l’unité nationale que promeut Issoufou à tous égards a été parfois battue en brèche par certains comportements de Bazoum.
Nous avons vu qu’au moment du choix de la candidature de Bazoum, un certain nombre de comportements qui pouvait faire croire que si ce n’était pas lui, alors, il y aurait un chaos après. Même s’il n’y avait pas de preuves, on le pressentait dans le comportement quotidien. De toute façon, ceux qui étaient à la base de la déchéance de Bazoum, c’est bien ceux qui ont constitué un clan derrière lui. Alors que, dans la vie d’un parti politique, dès que vous commencez à créer des clans, vous perdez et votre parti perd.
Ensuite, au moment de l’accession de Bazoum au pouvoir, son infortune est due au fait qu’il se serait éloigné du parti. Il s’est éloigné du parti, non seulement dans les choix des personnes qui animaient son cabinet mais aussi en ce qui concerne les nominations. Beaucoup des gens pensaient qu’il consultait d’abord Issoufou pour nommer, alors que ce n’est pas vrai. Il ne consultait même pas le parti, à fortiori Issoufou. S’il travaillait avec le parti, le parti allait l’aider pour le choix des personnalités qui vont animer son cabinet. S’il consultait pour les nominations à des postes importants, le parti allait user de son expertise, surtout que c’est un parti qui a fait 20 ans d’opposition et 10 ans au pouvoir, et qui regorge des cadres, des spécialités de toute sorte.
D’ailleurs, qui mieux que le parti pouvait faire le meilleur choix des hommes ? Qui d’autres, plus que le parti pouvaient en cas d’écart ou de difficultés gérer les problèmes ? C’est bien évidemment le parti.
Un seul individu, quel que soit sa complexité pour une affaire d’État, il ne peut gérer seul avec ses proches. C’est pour vous dire que la chute de Bazoum est due au fait que la graine qui a fait pousser la racine pour que l’arbre soit, l’arbre qui l’a produit, il a été un bûcheron pour cet arbre, pour s’accrocher plutôt à un arbre d’autrui, tout le long de deux ans de son règne.
Tout le monde voyait sa proximité avec l’opposition et la rue. Il pensait qu’on pouvait gouverner avec la rue, alors qu’on ne peut gouverner qu’avec un parti politique. Pourquoi dans toutes les démocraties, le parti est sacré ? C’est parce que le parti est un réservoir d’expérience, de technicité et de sagesse. Mais lorsque vous vous écartez du parti, vous vous écartez de la sagesse.
Et même son sentiment d’inimité qu’il a eu à un moment donné contre Issoufou est plutôt lié à son aversion contre le parti. Bazoum Mohamed a coopéré avec des adversaires que le PNDS-Tarayya a déjà vaincus.
Bazoum est allé loin contre le PNDS jusqu’à vouloir créer un autre parti politique. Il y a quelques années plutôt, le parti a exclu celui à qui l’on prêtait l’intention de la création de HAMZARI parce qu’il avait des velléités racistes et voulait faire des petits regroupements de cession à l’interne.
Malgré tout cela, Bazoum a gardé des liens avec lui et les gens ont vu les actions qu’ils ont menées. Certains disent même qu’en sous-main avec leurs relations, ils ont eu une autorisation et que c’est ce parti qui sera substitué au PNDS. Ça aussi, c’est une trahison. Un parti qui t’a allaité depuis que tu ne peux pas marcher jusqu’à ce que tu deviennes président de la République, c’est ce parti là que tu veux détruire pour ton égo personnel. C’est une des erreurs aussi qui a contribué à le rendre odieux aux yeux des militants avertis.
Question : Après toutes ces erreurs commises avant son accession à la présidence de la République, y a-t-il d’autres erreurs qui ont contribué à sa chute ?
Oui, effectivement, durant ses deux ans au pouvoir, il a eu du mépris envers tout le monde. D’abord en vers les camarades militants du parti, ensuite à l’égard de beaucoup de ses collaborateurs, y compris la garde présidentielle. Bazoum avait des insuffisances dans la dialectique de regroupement, il ne s’est pas du tout comporté en homme d’Etat. Dès qu’il ouvre la bouche pour parler, on a des inquiétudes quant à ses propos qu’il peut éventuellement proférer. L’homme politique d’un certain niveau doit prendre de la hauteur par rapport à certains propos scandaleux. Tout le monde l’a remarqué sur les médias. Il a commis beaucoup d’erreurs. C’est surtout son comportement de complaisance envers le terrorisme et les terroristes qu’il relâchait après les avoir capturés. Entre autres indélicatesses, son mépris total envers l’armée.
Niger Inter : D’aucuns disent que c’est plutôt Issoufou qui est le vrai artisan du coup d’Etat du Général Tiani, pas seulement les erreurs politiques comme vous l’évoquez. Qu’avez-vous à répondre par rapport à cette accusation ?
Mamoudou Souley : C’est très simple, il n’y a pas d’énigmes dedans. Issoufou Mahamadou est un esprit éclairé. Je le disais d’ailleurs, c’est un esprit moderne qui croit à certaines vertus. Je voulais vous parler de la relève de génération. Je voulais parler aussi de la détribalisation de l’espace politique. C’étaient les deux raisons qui ont conduit le président Issoufou Mahamadou à choisir Bazoum.
Premièrement, Issoufou a une idée tellement haute de la démocratie qu’il pense que c’est la majorité, le plus grand nombre qui donne les vertus pour gouverner, non pas le groupe, non pas l’appartenance, non pas l’identité et il pensait que le Niger était mûr pour accepter cela et c’était cela son choix dont d’ailleurs Macron a fait allusion. C’était une vision moderne de la démocratie et de la gouvernance dans nos pays qui pense que n’importe qui peut atteindre n’importe quel niveau de prestige lorsque vous le méritez, sans tenir compte par ailleurs, de votre provenance ou de votre identité. La détribalisation. C’est pour cette raison que le président Issoufou, au cours de ses mandats, a créé un ministère spécial pour la renaissance culturelle. Malheureusement, le travail n’a pas été accompli comme il le fallait, mais c’était pour que l’on puisse finir avec les anti-valeurs. Donc, le choix de Bazoum participe aussi de cela. Croire que tout nigérien peut occuper n’importe quel poste. C’est une croyance pour Issoufou.
Deuxièmement, l’une des raisons fondamentales qui a conduit au choix de Bazoum, malgré qu’il y existe un parterre d’expériences et de prestiges à l’intérieur du parti, c’est la relève de génération. Issoufou croit que lorsque tu finis, tu envoies l’ascenseur juste à celui qui vient après vous dans la génération. Normalement, si les choses marchaient bien, si Bazoum finissait, il devait faire la promotion de ce que nous appelons la génération 90. Donc, en réalité, Issoufou pour qu’il soit contre Bazoum, il faut d’abord qu’il soit contre lui-même.
D’ailleurs, nous tous avions assisté à l’effort qu’a fourni le président Issoufou pour faire accepter d’une manière ardue, avec un sens du management exceptionnel, la candidature de Bazoum qui est d’ailleurs la candidature la plus improbable.
Il ne peut pas en deux ans revenir sur toutes ces choses là. Issoufou a été à l’avant-garde du parti pendant plus de 30 ans. Ce ne serait pas à cause de simple humeur que tu vas détruire ton œuvre que tu as tissé lentement pendant 30 ans.
Autre chose, c’est quoi un coup d’État ? Un coup d’État est un évènement qui fait Tabula rasa de toute institution préexistante, de tout l’environnement politique au pouvoir. Or, Issoufou baigne dans l’environnement politique, c’est l’homme le plus influent au sein du PNDS. Alors, si on fait un coup d’État au PNDS, il faut être dément, il faut être animé de démence pour croire que c’est Issoufou lui-même qui va se poignarder lui-même, mettre le couteau dans son ventre. Un esprit normal ne va pas penser à cela. Là, ce n’est pas l’argument pour avoir le bouc-émissaire. Bazoum est exclusivement responsable de tout ce qui lui arrive.
Troisièmement. Issoufou, depuis sa jeunesse était attaché à l’idéal démocratique. Cela apparait dans tous ses comportements. Toutes les victoires qu’il a gagnées, il les a obtenues dans le cadre démocratique. On peut valablement dire que c’était une vocation pour lui dans la vie. Il ne pouvait donc pas être un promoteur de coup d’Etat. Issoufou a toujours combattu le principe même de régime d’exception, même s’il arrivait qu’il ait eu assez de Bazoum, je suis sûr qu’il aura recours à des méthodes plus démocratiques pour s’en débarrasser, étant entendu qu’il est jusqu’à aujourd’hui, l’homme le plus populaire au sein du parti.
L’autre argument très important, concerne le facteur Tiani, le nouveau Chef de l’État. Bazoum et ses proches ont toujours argué que le choix de Tiani comme chef de la garde présidentielle a été imposé à Bazoum par Issoufou. De sources sûres, nous le savons maintenant, c’est très clair que lorsque Issoufou a fini ses 10 ans, quand il a remercié Tiani, celui-ci était prêt à partir faire une école de guerre au Nigéria. Tout était fin prêt et c’est Bazoum lui-même qui a fait appel à Tiani pour qu’il soit à son service, parce qu’il disait en ce moment, après 10 ans de stabilité du régime, on peut en avoir confiance et continuer avec lui. C’est bien Bazoum qui a volontairement demandé à ce que le général Tiani soit à ses services.
Etant donné que le coup d’Etat remet en cause le régime de son parti pour lequel il a tout sacrifié, je pense que c’est la dernière et la plus pire des situations que Issoufou pouvait subir, lui qui y a consacré toute sa jeunesse, sa vie, toutes ses ressources et son intelligence. C’est donc lui qui perdait d’abord en premier chef.
Bazoum est lui-même responsable de tout ce qui lui est arrivé. Il n’y a pas de bouc émissaire.
Niger Inter Hebdo : Depuis son dernier post qualifiant l’intervention militaire de la CEDEAO comme une faute grave, on a entendu des voix qui réclament son arrestation. Est-ce que ce sont les mêmes acteurs qui veulent voir Issoufou sous les verrous? Pourquoi cet acharnement ?
Mamoudou Souley : Vous savez, Bazoum n’a pas un esprit de fair-play dans le jeu. Il souffre le chaud et le froid. Pendant qu’il était détenu avec les militaires, il utilisait son téléphone chaque jour pour faire de l’instigation, pour pousser des gens à demander qu’Issoufou soit arrêté pour ceci ou cela. Issoufou était président de la République, ce sont les tribunaux et les juridictions légalement établis qui sont à même de parler de cela. Au surplus, il bénéficie de l’immunité due à son rang. Mais non, tout cela, c’est un effet de pub. Ils font justes de la publicité pour vouloir l’enfoncer. Durant sa détention, Bazoum Mohamed utilisait toute sorte de suppôts, notamment certains de ses proches, qu’il utilisait pour discréditer Issoufou, soit depuis l’étranger, soit de l’intérieur.
Ce n’est pas à Issoufou qu’on a fait le coup d’État. Il ne s’agit de faire un bilan d’Issoufou. C’est de son bilan à lui Bazoum qu’il s’agit. Et c’est un bilan qui n’a jamais existé.
Nous défions tous ceux qui sont avec lui aujourd’hui de nous montrer la quintessence de son programme qu’il a eu à exécuter. Qu’ils nous démontrent comme au temps d’Issoufou où chaque année, l’exécution et le niveau d’exécution de son programme. Ici, nous n’avons que l’école de Kélé.
Et là aussi, c’est juste de la communication, or la communication n’est pas une manière de gouverner, elle permet juste de dire, d’informer, d’exposer sur ce que vous faites. Mais si vous ne faites rien, communiquer seulement, cela fatigue les gens.
Tout ceci compte parmi les causes de sa chute. Bazoum a eu du mépris non seulement à l’égard du parti, de son bienfaiteur mais aussi à l’égard de ses collaborateurs. Les porteurs de tenue à un moment n’étaient pas mis dans les conditions qu’il fallait. Ils subissaient toute sorte de brimade de sa part. Lorsque quelqu’un à la force et que vous le stigmatisez, vous créez-là un précédent dangereux.
Le général Tiani avait lui-même dévoilé les causes du coup d’Etat parmi lesquelles le terrorisme. C’est par rapport au terrorisme qu’il y a la pomme de discorde surtout lorsqu’au vu et au su de tout le monde, il se permet de coopérer avec des terroristes.
Et au vu de tout cela, vous pensez que les militaires vont le laisser détruire le pays ? Non. Son accointance avec le groupe terroriste ne fait pas mystère. Tout le monde le sait. Sur ce point, les militaires ont des informations qu’ils ne peuvent pas dire en public. C’est seulement devant un tribunal qu’ils peuvent les livrer.
Celui qui a eu le privilège de diriger un pays, comment peut-il demander à ce qu’il ait une intervention militaire contre ce même pays, parce qu’il y a rien de plus perfide qu’une guerre que vous invitez chez vous. Après, c’est à vous de ramasser les pots cassés. Une guerre est mauvaise même si elle ne se passe pas chez vous. C’est de l’excès de mauvaise foi, de la politique de la terre brulée. Même s’il me faut gouverner sur les cendres des citoyens, je ne peux appeler qu’on bombarde le Niger, juste pour mon intérêt personnel et égoïste.
Apres l’intervention militaire, sur quoi va-t-il régner ? Et c’est pourquoi, tous ceux qui sont pour l’intervention militaire, je dis bien, ils n’aiment pas le Niger. J’invite tous les citoyens à combattre résolument tous ceux qui sont pour l’intervention militaire contre le Niger.
Issoufou a tweeté pour dire qu’il est contre l’intervention militaire parce qu’aucune guerre n’a réglé de problèmes pour lesquels elle a été enclenchée. Il a mené plusieurs actions pour que le Niger soit soulagé par rapport aux sanctions de la CEDEAO mais aussi contre l’intervention militaire.
N’eut été la pression que le président Issoufou a exercée dans certains pôles que je ne peux pas documenter ici, l’intervention aura eu lieu depuis longtemps. Le président Issoufou a réussi donc à désamorcer la bombé, ce qui n’a pas plu à certains nigériens, y compris Bazoum, qui souhaitent vivement une intervention militaire de la CEDEAO au Niger.
C’est parce qu’il croit toujours à cette intervention que Bazoum refuse de démissionner et continue à vouloir enfoncer le clou, à détruire le CNSP. Au vu de son attitude, il est clair que depuis 1960, le Niger n’a jamais connu une irresponsabilité pareille de la part d’un de ses dirigeants. Nous n’avons jamais vécu pareilles choses où un dirigeant devient ouvertement l’ennemi de son pays. Nous n’avons jamais vu une perfidie pareille.
Propos recueillis par Oumar Issoufa
Niger inter hebdo – N° 123 du 24 octobre 2023