Interview /FESPACO 2023 : « Le dévoilement de l’effigie d’OUMAROU GANDA a été un moment historique pour nous cinéastes », dixit Aicha Macky

Aicha Macky, Réalisatrice-Productrice, alias l’étoile montante du 7ème Art nigérien, poursuit son petit bonhomme de chemin. Membre du jury dans la catégorie (long métrage documentaire), « la briseuse de tabous » est conviée à tous les grands rendez-vous du cinéma à travers le monde. Dans l’entretien qui suit, elle fait le bilan de la participation du Niger à la 28ème Edition du Fespaco, l’érection de l’effigie d’Oumarou Ganda à la Place des cinéastes et le sacre d’Amina Mamani Abdoulaye.

Niger Inter Hebdo : Quelle est votre impression sur la participation de la délégation nigérienne à la 28ème édition du Fespaco ?

 

Aicha Macky : La présence du Niger à la 28ème Edition du FESPACO est sous divers registres. Il faut noter d’abord la présence du Niger dans la compétition officielle court métrage fiction à travers le Film « l’envoyée de Dieu » d’Amina Mamani Abdoulaye que j’ai eu l’insigne honneur de coproduire à travers ma société de production TABOU PRODUCTION, DIAM PRODUCTION du Burkina Faso et KAREKEZI FILM du Rwanda.

C’est une coproduction entre 3 pays Africains. Il y a aussi la présence de 2 Nigériennes (Sakina Hainikoy et madame Salamatou du CNCN) dans les ateliers YENENGA qui est un dispositif qui permet au FESPACO d’affirmer son ancrage professionnel en donnant des opportunités (formations, rencontres avec des potentiels bailleurs, rencontres d’échange entre pépites du cinéma Africain de demain, réseautage…) aux créateurs Africains et ceux de la Diaspora du cinéma à travers ses différentes composantes qui sont le YENENGA ACADEMIE, le YENENGA POST PRODUCTION. J’ai eu l’insigne honneur d’être la première Marraine de cette Académie. Le FESPACO, c’est le cinéma mais aussi la science. Comme chaque année, un colloque scientifique est organisé. Cette année, c’était autour du thème « Cinémas d’Afrique et culture de la paix ». Nous avons le Pr Amadou Saibou de l’Université Abdou Moumouni de Niamey qui était participant et Dr Youssoufa Halidou qui était dans le comité de lecture.

Quand on parle des films, on parle aussi de ceux qui vont juger ces films. Il y a 2 catégories de Jury. Le jury spécial qui est un jury composé par les donateurs eux-mêmes (ce sont des fondations et des institutions). Nous avons Monsieur Harouna Niandou qui était au niveau du jury du conseil de l’entente et Madame Rahamatou Keita au jury Thomas SANKARA. Nous avons aussi le jury officiel dans lequel j’ai fait partie dans la section « long métrage documentaire ».

Niger Inter Hebdo : un moment historique pour le cinéma nigérien était sans conteste la présence de l’effigie d’Oumarou Ganda parmi les grands noms du cinéma africain. Quel commentaire t’inspire cette initiative ?

Aicha Macky : En dévoilant l’effigie d’OUMAROU GANDA, cela a été un moment historique pour nous cinéastes. Il y a quelques années, ce n’est pas sans pincement que nous passons devant la place des cinéastes où la place réservée à ce 1er étalon de YENENGA était restée vide, 51 ans durant. Sur les 2 dernières éditions, le financement de cette effigie a été rejeté par le FONDAC. Le CNCN a changé de stratégie. Son Directeur Magori Sani m’a adressé une lettre pour aider à trouver le financement. J’ai plaidé auprès de la SONIDEP qui a accepté le financement de cette œuvre. C’est un combat générationnel que cette société a gagné. C’était malheureusement en l’absence des autorités nigériennes. La cérémonie a été présidée par le Ministre de la culture, porte-parole du Gouvernement Burkinabè, en présence du Délégué Général du FESPACO, des Ministres de la culture du Mali et du Sénégal, des anciens cinéastes Africains à travers la FEPACI et de quelques diplomates.

Niger Inter Hebdo : La délégation nigérienne a honoré le Niger avec la consécration d’Amina Mamani Abdoulaye à travers son film « l’envoyée de Dieu ». Une prouesse qui rappelle votre succès il y a deux ans. Quel est votre sentiment sur le success story d’Amina ?

Aicha Macky : Nous avons eu 4 prix et 2 mentions spéciales à travers « l’envoyée de Dieu ». Ce n’est pas un effet de hasard. C’est une œuvre réussie qui en 24 minutes a embarqué toute la salle. En témoigne la standing ovation et la presse qui en parle. Ce film est beau dans sa structure, il est beau de par son esprit d’intégration de l’Afrique à travers les équipes qui sont du Niger, du Burkina Faso, du Rwanda, du Tchad et du Sénégal. Nous sommes désormais à la Une des éditions. Oui à la Une parce qu’à travers ce sacre, beaucoup se sont souvenus des prouesses du « Film Zinder », l’an passé. Nous sommes désormais les reines du cinéma Africain. Oui parce que sur des années, ce sont des femmes qui tirent les ficelles du cinéma au Niger.

Niger Inter Hebdo : Quel est votre message à l’endroit des autorités et des Nigériens en général ?

Aicha Macky : À l’endroit des plus hautes autorités, je réitère mon plaidoyer pour le fonds du cinéma promis par S.E.M. Mohamed Bazoum, Président de la République. C’était il y a 2 ans déjà quand je lui ai présenté mes 3 prix raflés à la 27ème Edition. Nous avons accueilli cette promesse d’un milliard avec joie, avec l’espoir de faire nos prochaines œuvres avec l’argent du Niger et d’autres pays. Hélas, comme la plupart des films, « l’envoyée de Dieu » aussi a été réalisé avec aucun franc Nigérien. C’est l’argent des institutions internationales et d’autres pays Africains qui a permis sa réalisation. Nous avons honte quand on discute budget.

Nous nous taisons tout simplement. Nous n’avons rien à dire devant le Sénégal qui a 2 milliards, le Togo, le Mali, le Burkina…où certains films de bonne facture se font intégralement avec l’argent de leurs pays. Je crois que même  pour les efforts que nous faisons pour faire des films avec rien du tout, nous méritons beaucoup de choses.

Sans modestie aucune, le cinéma est l’unique Art Nigérien qui n’échoue jamais. Dans toutes les compétitions où il y a un film Nigérien, il sort du lot.

Sur 2 films (Arbre sans fruit et Zinder), j’ai eu plus de 100 trophées à des compétions internationales et dans tous les continents du monde. En témoigne aussi le succès des films d’Amina Mamani, ceux d’Amina Weira, de Nana Akawala, de Jaloud Zainou Tangui, de Moussa Djingarey, de Bouba Djingarey et pleins d’autres sur les 5 années. Tout cela devrait être un motif de la concrétisation de ce fonds de cinéma qu’on attend toujours.

À l’endroit des autorités en charge du cinéma, nous artistes en général et nous artistes femmes (je le dis pare ce que le film qui a représenté le Niger est fait par une femme, Amina Mamani et coproduit par une femme Aicha Macky, accompagné par une autre femme, Amina Weira) ne demandons pas d’être aimées.

Nous demandons d’être respectées pour ce que nous faisons de bien pour notre pays ! Je peux comprendre le manque de financement mais jamais le manque d’accompagnement psychologique. Aller au FESPACO, c’est un motif de réjouissance pour les pays en lice. Nous avons vu le Tchad qui a fait partir 20 personnes en avion dans les meilleures conditions, le Togo c’était un nombre de 25 personnes, le Sénégal et le Mali se situent autour de 100 personnes chacun. Et, tous ces pays ont reçu les artistes avant leur départ et ils ont fait des communiqués officiels que nous avons suivis sur les réseaux sociaux, sur les télévisions internationales et la presse écrite…

Avoir un film sélectionné et être incapable de faire une communication officielle autour du film pour que tous les Nigériens sachent, être incapable de féliciter l’équipe du film dont en tête la réalisatrice, quel mépris !

Tenez : la délégation, non seulement dans sa composition était médiocre (beaucoup de cinéastes qui méritaient de venir faire la promotion de leurs films et projets, beaucoup de jeunes journalistes indépendants qui nous ont accompagnés l’année passée et qui ont assuré la couverture médiatique n’ont pas eu la grâce du chef. La délégation a aussi fait le tour de l’Afrique de l’ouest en passant par le Bénin, le Togo, le Ghana avant d’arriver à Ouagadougou. Ce qui fait qu’ils ont raté l’ouverture et le dévoilement de l’effigie.

Nous avons eu l’honneur et la honte de passer par les télévisions d’autres pays pour voir nos images en l’absence de notre Télévision nationale (RTN). D’où mes remerciements sincères à l’endroit du studio Kalangou, à travers Aladin Maiga, grâce auquel l’évènement a été largement couvert et relayé par des Nigériens sur les réseaux sociaux.

Aux Nigériens, nous vous disons merci pour l’accompagnement. Retenez que chaque bravo change notre vie et nous donne envie de continuer ce combat afin de hisser encore plus haut le drapeau du Niger. Ce Niger que nous aimons tant. Ce Niger dont l’amour inconditionnel que nous lui portons nous empêche de partir vers d’autres horizons où on nous tend la main, où nous pouvons mieux évoluer et être dans les conditions de travail. Heureusement, nous restons résilients avec la rage de vaincre pour représenter le Niger encore et encore et jusqu’au clap de FIN, c’est-à-dire, notre dernier souffle.

Interview réalisée par Elh. M. Souleymane

Niger Inter Hebdo N° 104 du mardi 7 Mars 2023

Aicha Macky, Amina Mamani Abdoulaye et Amina Weira