Lawan Chaibou, auteur de l'ouvrage « Le gabelou »

Interview : Lawan Chaibou, auteur de l’ouvrage « Le gabelou » décrypte la corruption des agents des  douanes  

 « L’Initiative de Mamani, aujourd’hui, se pose comme la meilleure solution alternative contre la corruption des agents des douanes », déclare Lawan Chaibou

 

Après la présentation de son ouvrage « Le gabelou », Lawan Chaibou, agent de douanes en exercice et auteur de l’ouvrage ‘’Le gabelou’’ nous a accordé une interview sur le phénomène de la corruption, non seulement des agents des douanes, mais aussi dans la fonction publique en général. Dans l’entretien qui suit, il décrypte cette gangrène qui fait actualité dans notre pays. Il croit avoir proposé un modèle de lutte contre la corruption des agents des douanes à travers « l’initiative de Mamani », le héros de son œuvre.

 

Niger Inter Hebdo : Vous êtes auteur de l’ouvrage « Le gabelou » qui se veut une contribution alternative pour la lutte contre la corruption des agents des douanes. Comment définissez-vous ce phénomène qu’est la corruption ? 

Lawan Chaibou : Quoiqu’elle paraisse difficile à définir (et c’est encore là un fait de la mauvaise volonté humaine), la corruption est pour autant connue de tous : corrupteurs, corrompus, conspirateurs silencieux ainsi que leurs victimes communes. En termes simples et contractés, la corruption peut se définir comme une entente secrète entre deux sujets (respectivement corrupteur et corrompu) pour faire valoir leurs intérêts égoïstes en compromettant l’intérêt public. J’aimerais en outre dire que j’approuve entièrement la définition de Transparency International, à savoir « la corruption consiste en l’abus d’un pouvoir reçu en délégation à des fins privées ».

 Niger Inter Hebdo : Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire « Le gabelou » ?

Lawan Chaibou : Une réalité vécue. Mais pour presque tout dire, c’est une série de difficultés rencontrées dans l’exécution du service, tout particulièrement dans le traitement de certains cas de litiges douaniers, durant mon séjour dans une direction régionale de notre pays. Voyez-vous, celui qui lit le chapitre 4 du livre (intitulé Le zèle fatal) sera probablement frappé par les deux lettres de Mamani, adressées au Directeur régional de Dogon-Birni, mais je douterais fort qu’il puisse se douter que ces deux lettres-là et les conditions de leur naissance constituaient l’embryon du livre « Le gabelou ».

Niger Inter Hebdo : En fait deux lettres réelles adressées par vous en son temps à votre Directeur….

 

Lawan Chaibou : Oui, en effet. Ces deux lettres ont eu une existence réelle, dans un contexte précis de mon expérience professionnelle. Elles ont été motivées par une situation difficile dans laquelle je me suis retrouvé, du seul fait de la mauvaise volonté d’un chef en panne de loyauté. Et dans ces conditions, j’ai eu le choix entre deux options : la renonciation (pour ne pas dire la démission) à mon devoir d’agent de l’État ; ou la persévérance (même au point de m’aventurer dans toutes sortes d’innovations). C’est, d’ailleurs, ce que j’ai essayé d’expliquer dans La Note de présentation, précisément à la page 7.  L’objectif de ces deux lettres, au départ, était d’immortaliser (seulement dans les carnets du vérificateur) une importante affaire douanière malheureusement banalisée par un petit groupe de fonctionnaires déviés. Mais l’expérience suivant son cours, la suite nous fait aboutir à une meilleure surprise : Le gabelou, qui donne naissance à L’Initiative de Mamani.

Niger Inter Hebdo : L’Initiative de Mamani est-ce une solution alternative contre la corruption ?  

Lawan Chaibou : Exactement. Et ce, dans un cadre précis de notre système administratif ; dans un contexte sociopolitique particulier.

Niger Inter Hebdo : Vous êtes vous-même agent des douanes. Vous savez à ce titre précisément de quoi vous parlez. En fait, quelle est votre perception de la corruption dans votre corporation ?

Lawan Chaibou : En vérité, la corruption se présente dans ma corporation comme partout au sein du système de la Fonction publique. Ce qui, le plus souvent, marque la particularité d’une corporation, c’est l’implication active des agents à entretenir ce mal de la corruption et, de ce fait, à le rendre plus difficile à combattre. De façon générale, c’est la mentalité indélicate des agents qui fait répandre le délit de corruption. Pour le cas spécifique des agents des douanes, il faut ajouter d’autres facteurs qui concourent à rendre plus complexe le problème de la corruption : le contact permanent de l’agent avec l’argent et les affaires liées au commerce, la position géographique du champ d’action de la douane, etc.

Niger Inter Hebdo : Comment appréciez-vous les différentes initiatives de lutte contre la corruption de façon globale, tant du côté de l’Etat que de la société civile ?

Lawan Chaibou : Il y a eu beaucoup d’efforts de lutte contre la corruption depuis que le phénomène a commencé à prendre de l’ampleur dans notre contexte. Mais l’on peut aisément relever (hélas !) qu’aujourd’hui encore, après la mise en œuvre de toutes les initiatives jusqu’ici expérimentées, le mal de la corruption persiste. Ce qui, incontestablement, dénote l’échec de toutes ces initiatives-là. Et c’est d’ailleurs pour cette raison que l’on n’a pas encore fini de décrier la corruption des agents de l’État. Et puis, je crois qu’il est grand temps que l’on se départe de cette idée d’épreuve de force entre les gouvernants et les représentants des organisations qui s’investissent sur le terrain géopolitique au nom de la Société civile.

Lorsque l’on se trouve en face d’un fléau social comme la corruption des agents de l’État, il faut surpasser les viles critiques subversives et les mises en scène absolument superflues. Pour le cas précis de la lutte alternative contre la corruption, il doit se produire en amont, un sérieux travail de sensibilisation, visant à conquérir la mentalité collective de ceux qui entretiennent le mal de la corruption sur le terrain.

Niger Inter Hebdo : Dans votre ouvrage, il n’est nullement question d’une action coercitive contre les corrompus et les corrupteurs. De manière précise, comment « l’initiative de Mamani » pourrait efficacement être opérante ?

Lawan Chaibou : Il faut qu’on se dise la vérité : dans le contexte néo-démocratique (l’Ordre démocratique qui a suivi la Conférence nationale) ainsi qu’il ressort de mon analyse personnelle, la puissance publique ne s’est pas réellement investie à combattre la corruption. Le plus souvent, on a assisté à une sorte d’actions de conformisme sinon, des fois, à de simples mises en scène. Même lorsque, nouvellement investie à la tête de l’État, une autorité dégaine son arme contre la corruption et les infractions similaires, on a l’impression qu’une force invisible intervient pour l’en dissuader ou, tout au moins, pour soumettre son action à toutes sortes de restrictions. C’est dans ce contexte particulier que j’ai mûri ma réflexion pour essayer d’engager l’agent des douanes dans une sorte d’action rédemptrice, où il s’investira lui-même en amont, avant toute apostrophe extérieure. Et comme nous pouvons oser l’affirmer, « l’Initiative de Mamani », aujourd’hui, se pose comme la meilleure solution alternative contre la corruption des agents des douanes.

Niger Inter Hebdo : On pourrait dire que votre ouvrage prône une certaine éthique nouvelle presque religieuse chez l’agent de douane. Est-ce à dire que vous avez décelé une certaine faille dans le code d’éthique et de déontologie de votre profession qui doit être comblé par les valeurs spirituelles ?

 

Lawan Chaibou : Les valeurs spirituelles sont faites pour combler les efforts temporels de l’être humain. Ce n’est pas pour autant qu’il doit forcément y avoir de frontière entre les deux valeurs. Et cela doit rester en permanence dans nos esprits. Le code d’éthique de l’agent des douanes, par exemple, est une œuvre humaine, donc naturellement faillible. Cependant, l’initiative de Mamani, œuvre tout aussi humaine, elle-même n’entend nullement s’appesantir sur les insuffisances de ce code-là. La principale attente de l’initiative de Mamani, c’est l’attention de ceux qui sont censés être garants de toute action noble et de toutes les initiatives louables dans notre pays. Ce que voudrait également l’initiative de Mamani, c’est l’adhésion de tous les citoyens engagés sur le sentier de promotion de la justice et de la bonne gouvernance.

Niger Inter Hebdo : Au Niger, actualité oblige, la corruption constitue une véritable gangrène. Quelle est votre perspective pour vaincre ce phénomène tant du côté des gouvernants, la société civile et l’ensemble des acteurs ?

Lawan Chaibou : Notre pays vient de connaître une expérience nouvelle, au regard de son histoire politique. En effet, c’est la première fois, depuis l’accès du Niger à la République, qu’un président passe le témoin à un autre sous le même ordre constitutionnel. Et comme vous avez pu le témoigner avec moi, le président entrant a vite acquis la sympathie d’un très grand nombre de Nigériens grâce à son pertinent discours qui, entre autres, mettait l’accent sur des actions rigoureuses contre la corruption. Mais, vous savez, malheureusement, dans nos pays de façon générale, on a cette habitude de tout attendre des dirigeants. On ne se rend même pas compte qu’ils sont déjà assez accablés sous le fardeau de la responsabilité. Voyez-vous, lorsque l’on a la chance d’avoir des autorités qui font une entrée politique avec des discours aussi formidables que ceux que vous avez entendus, alors il nous revient à tous de soutenir ces autorités-là et de faire en sorte que les nobles actions qu’annoncent leurs discours ne soient point de vains mots. Aux autorités actuelles, je proposerais d’aller plus loin pour ce qui est de ce que l’on a ingénieusement appelé « Contrat des performances » qui, il faut l’avouer, n’est rien d’autre que notre « Initiative de Mamani ».

Niger Inter Hebdo : Voulez-vous dire par là que les Contrats de performance entrepris dans le Cadre des douanes au cours de la Septième République ont été inspirés par l’Initiative de Mamani ?

 

Lawan Chaibou : Exactement. J’irais même plus loin en vous disant que ces «contrats» constituent une forme « piratée » de notre initiative. Et je dois vous assurer que dans toute notre administration, je ne connais qu’une seule personne qui soit avec moi dans cette idée ou même qui pourrait m’y avoir devancé : il s’agit de l’adjointe à notre Directeur régional au moment de la naissance de mon œuvre. Mais pour vous convaincre, je me dois de vous donner les informations suivantes :

  1. L’initiative est née entre 2005 et 2006.
  2. Après la parution du livre (la première édition) en 2009, j’ai eu au moins trois occasions de présentation officielle de mon initiative : dans une lettre adressée en 2011 au Commissaire à la mobilisation des Ressources internes au ministère de l’Économie et des Finances ; et à travers deux exposés consécutifs, en 2013, lors d’un séminaire sur l’éthique douanière, conjointement organisé par l’ENA et le ministère des Finances. Mais comme j’ai eu à le dire dans la postface, je n’entends nullement m’appesantir sur un quelconque intérêt à la considération personnelle. Mon principal souci est de voir mon pays et son peuple tirer les modestes profits de mon humble prestation.

 

Niger Inter Hebdo : Si vous avez un message à l’endroit des Nigériens par rapport à votre préoccupation, à savoir la lutte contre la corruption, ce serait lequel ?

 

Lawan Chaibou : Je demanderais simplement à tous les Nigériens de s’engager résolument à soutenir toute initiative visant à combattre l’injustice et à remettre l’État dans ses droits. Sans aucun esprit partisan, sans la moindre considération passionnelle.

Niger Inter Hebdo : Vous-même étant douanier, le héros de votre ouvrage, Mamani, n’est-ce pas vous-même ?

 

Lawan Chaibou : « Le gabelou » n’est pas un ouvrage autobiographique, quand bien même je pourrais dire que vous n’avez pas tort. D’ailleurs, je vous ai pratiquement répondu par l’affirmative, si vous reprenez un peu ma réponse à votre deuxième question. Mais en vérité, au-delà de ma modeste personne et de mon humble expérience professionnelle, il existe un grand nombre de Mamani dans notre système administratif d’une façon générale. Et tant qu’il y aura des Arou-bi (comme le DR de Dogon-Birni) et des Sha-zumami (comme le Grand gabelou), il y aura des Mamani. C’est là une grave réalité qui ne saurait être limitée dans le temps ni dans l’espace.

Niger Inter Hebdo : Un dernier mot ?

 

Lawan Chaibou : Je m’en vais simplement récapituler : L’Initiative de Mamani consiste en un engagement ferme de tous les acteurs (agents, usagers et acteurs politiques) à éliminer toutes les pratiques qui réduisent considérablement les ressources revenant au Trésor, en contrepartie d’une rémunération conséquente. Au-delà d’une alternative contre la corruption, l’Initiative de Mamani s’est intéressée à certaines questions dont la révision et le respect strict permettraient à l’État de sauvegarder des intérêts de divers ordres. Il en est ainsi des questions relatives aux enlèvements directs (ED) et à la levée régulière des fiches d’enregistrement statistiques (FES), communément appelées feuillets du Guichet unique, pour ne citer que ces deux importants sujets. Et très certainement, oserais-je vous l’affirmer, la seule mise en œuvre de ces pertinentes recommandations permettra à l’État de gagner considérablement : en ressources financières ainsi qu’en bien d’autres intérêts (statistiques, notamment).  

 

Interview réalisée par Elh. M. Souleymane

Niger Inter Hebdo N°101 du mardi 14 Février 2023