Dr Adamou Issoufou est titulaire d’un doctorat en droit public. Enseignant-chercheur à la Faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université Cheikh Anta Diop (Dakar), il enseigne le droit constitutionnel, le droit des finances publiques et le droit des marchés publics. Il est présentement Secrétaire Exécutif de l’Agence de Régulation des Marchés Publics (ARMP). Il donne ici son point de vue sur la grâce accordée aux soldats ivoiriens détenus et condamnés par la justice malienne.
L’acte posé par le Président Assimi Goita m’inspire deux petits commentaires. Du point de vue juridique, il ne fait que mettre en œuvre une des prérogatives reconnues aux chefs d’Etat par la Constitution de leurs pays. En effet, de façon générale, la grâce constitue l’acte par lequel le président de la République ou le chef de l’Etat dispense un condamné frappé d’une condamnation définitive et exécutoire de subir tout ou partie de sa peine.
Dans cette perspective, on distingue deux types de grâce :
La grâce individuelle : elle doit être demandée par requête au chef de l’Etat. À l’issue d’une instruction dont la procédure varie d’un État à un autre, le chef de l’État prend un décret accordant ou non sa grâce.
La grâce collective : elle consiste en une remise de peine accordée à certaines catégories de détenus. Elle était autrefois utilisée pour désengorger les prisons. De nos jours, elle intervient a l’occasion de certaines religieuses ou nationales et tient compte du comportement, de l’âge ou de la santé des détenus.
Il faut préciser que si la grâce supprime ou diminue le quantum de la sanction, elle ne fait, cependant, pas disparaître la condamnation, qui reste inscrite au casier judiciaire du condamné.
En somme, la grâce présidentielle permet de supprimer totalement ou partiellement la peine. Du coup, si vous êtes condamné à une peine de prison, vous serez libéré avant d’avoir purgé la totalité de la peine. Si vous êtes condamné à une peine d’amende, le montant de l’amende sera réduit ou supprimé.
Le Président de la République ou le chef de l’Etat n’a pas à justifier sa décision d’accorder ou de refuser la grâce. La grâce et l’amnistie aboutissent, toutes deux, à mettre fin à l’exécution de la peine d’un condamné.
Toute fois, la grâce est un acte du président de la République ou d’un chef de l’Etat tandis que l’amnistie relève de la compétence exclusive du Parlement. L’amnistie consiste à supprimer rétroactivement le caractère d’infraction à certains faits. Elle a des conséquences plus fortes que la grâce : avec l’amnistie, c’est la condamnation elle-même qui disparaît.
Sur le plan purement politique et géostratégique, l’interprétation de l’acte du Président Goita est libre. Chacun peut aller de son commentaire. De mon côté, je vois, entre autres, les effets de l’action d’une certaine diplomatie régionale, la volonté de réaffirmer la séparation et l’indépendance du pouvoir judiciaire malien en ne le court-circuitant pas.
L’idée était, en effet, à mon avis, de montrer à la face du monde la volonté du Président de Transition de respecter l’indépendance du judiciaire, de laisser la justice faire son travail, d’aller jusqu’au bout du processus ( ce qui a été fait) avant l’intervention du politique à travers l’exercice du pouvoir de grâce. Tel était le scénario à mon avis ; un scénario facilement imaginable.
En conséquence et dans les faits, chacun des pouvoirs a joué son rôle dans la gestion de ce dossier :
Le judiciaire a fait son travail en qualifiant les faits et en prononçant les condamnations jugées appropriées ;
Le politique en décidant de la grâce et en faisant libérer les détenus. Ainsi prend fin ce feuilleton politico- militaire entre deux États frères.
Adamou Issoufou