Mi-octobre, le Fonds Monétaire international (FMI) a publié son rapport « Perspectives économiques régionales : Afrique subsaharienne, sur la corde raide ». Rendu public deux fois par an, au printemps et à l’automne, ce rapport rend compte de l’évolution économique de la région. L’édition d’octobre 2022 des Perspectives économiques régionales porte des nouvelles relativement moins rassurantes. Selon le FMI, « la reprise économique en Afrique subsaharienne a connu un coup d’arrêt brutal. Mais la bonne nouvelle, « le Niger arrive à tirer relativement son épingle du jeu ».
L’an dernier, l’activité a fini par rebondir, ce qui a porté la croissance du PIB à 4,7% en 2021. En revanche, cette année, la croissance devrait ralentir fortement de plus de 1 point de pourcentage, à 3,6%. En effet, le ralentissement international, un resserrement des conditions financières mondiales et une hausse spectaculaire de l’inflation mondiale se propagent à une région déjà éprouvée par une série ininterrompue de chocs. Le renchérissement des produits alimentaires et de l’énergie pénalise les populations les plus vulnérables de la région, tandis que la dette publique et l’inflation se situent à des niveaux inédits depuis des décennies. Dans ce contexte, et devant le peu d’options qui s’offrent à eux, de nombreux pays sont poussés sur « la corde raide ».
L’exception nigérienne
Même si les perspectives du pays sont en partie liées à l’évolution de l’économie mondiale qui continue d’être confrontée à des défis de taille, subissant les effets de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, d’une crise du coût de la vie provoquée par des pressions inflationnistes qui se prolongent et s’étendent, et la situation sociopolitique et sécuritaire au niveau local demeure délicate, le Niger arrive à tirer relativement son épingle du jeu.
Autrement dit, contrairement à de nombreux pays où l’horizon s’assombrit, celui du Niger devrait plutôt continuer à s’éclaircir. En effet, les prévisions pour le pays en termes de croissance sont rassurantes pour cette année (6,7%) et l’année prochaine (7,3%), selon le FMI. Une nouvelle qui vient à point nommé dans un contexte plutôt morose.
La croissance comme un facteur de bonne santé économique
La croissance économique qui correspond au passage l’augmentation de la production de biens et de services d’un ensemble économique sur une période donnée est synonyme de vitalité d’une économie. Elle témoigne aussi du dynamisme de l’activité économique au Niger. Et de manière anecdotique, les bouchons que l’on observe dans les grandes villes du pays, et particulièrement à Niamey, sont souvent évoqués pour illustrer ce dynamisme.
En guise de rappel, « sur la période 2017-2020, la croissance a été soutenue par l’ensemble des secteurs économiques. En effet, le secteur primaire a connu une croissance annuelle moyenne de 6,1%, le secteur secondaire de 5,9% et le secteur tertiaire de 4,6% ». En 2021, la croissance est ressortie à 1,3% ». Pour l’année 2022, « il est attendu une accélération de la croissance. Celle-ci serait portée par tous les secteurs d’activités économiques ». Ainsi, la croissance économique devrait rebondir en 2022 pour se situer autour de 7,0% [6,7%, selon le FMI, comme évoqué précédemment, NDLR], après avoir ralenti à 1,3% en 2021. Cette croissance serait soutenue par les investissements dans les grands projets, notamment pétroliers et les infrastructures économiques ainsi que dans le secteur agricole, à travers l’Initiative 3N et le Millenium Challenge Corporation (MCC) » (Projet de loi de finances 2023).
A l’image de 2022, l’année 2023 s’annonce aussi prometteuse et la croissance devrait être portée par « le secteur secondaire avec une contribution moyenne de 3,8 points, suivi du secteur tertiaire pour 2,8% et du secteur primaire de 2,3 points ». En outre, l’aboutissement dans un futur proche du projet du pipeline Niger – Bénin, qui revêt par ailleurs une importance stratégique, devrait davantage doper la croissance économique du pays pour les années à venir en raison notamment des externalités positives qu’allait générer l’augmentation de la production et l’exportation du brut, et les recettes fiscales, qui en découleraient, devraient permettre de doper le budget de l’Etat et favoriser l’accroissement des investissements publics. Utilisés de manière efficace et efficiente, ces derniers devraient contribuer à garantir de manière significative la stabilité et la prospérité du pays.
Ne pas confondre croissance et développement
Comme mentionné précédemment, la croissance se définit comme « une augmentation soutenue, pendant une période longue, de la production d’un pays. Généralement, on retient le Pib (Produit intérieur brut) à prix constants comme indicateur de croissance ». Quant au développement, il désigne la « transformation des structures démographiques, économiques et sociales, qui, généralement, accompagnent la croissance. On insiste ici sur l’aspect structurel (industrialisation, urbanisation, salarisation, institutionnalisation, etc.) et qualitatif (transformation des mentalités, des comportements, etc.) de l’évolution à long terme ».
Certains auteurs qualifient la croissance de phénomène quantitatif et le développement de phénomène qualitatif. Il faut cependant remarquer qu’à long terme, une croissance de la production implique des modifications structurelles, démographiques, techniques, sectorielles, etc.
Une croissance sans développement au Niger ?
Une part non négligeable de nos concitoyens estiment, à tort ou à raison, que la croissance élevée que connait le pays ne « change » rien dans leur quotidien ou s’interrogent encore pourquoi le pays ne se développe pas malgré ses forts taux de croissance !
Au-delà d’être légitime, la question relative au véritable impact positif, voire significatif de la croissance élevée que peut enregistrer le pays sur une longue période sur la vie des gens, revient souvent dès lors qu’on évoque les bonnes performances du Niger. Elle renvoie, au passage, au débat sur la croissance inclusive, c’est à dire une croissance économique qui ne s’accompagne pas d’un accroissement des inégalités et qui génère une augmentation du bien-être de l’ensemble des individus et des groupes sociaux d’une population ou suppose aussi un partage équitable des fruits de la croissance et tous les individus doivent en bénéficier, en particulier ceux qui sont en bas de l’échelle. En outre, ce sentiment fait allusion à l’expression « croissance sans développement ». Et lorsque les économistes « tiers-mondistes » parlent de croissance sans développement ou de « développement de sous-développement », ils cherchent à montrer que la croissance ne se traduit pas par un véritable progrès économique et social (monopolisation des ressources par une minorité de privilégiés, appauvrissement des campagnes, misères des bidons villes, déculturation, etc.).
Pour le cas du Niger, c’est mitigé dans le sens où les taux de croissance qui oscillent ces dernières années autour de 5 – 6% en moyenne, demeurent insuffisants pour satisfaire les nombreux besoins et attentes de la population.
Toutefois, même si la croissance ne s’est pas traduite par de véritable changement en matière de développement humain, selon plusieurs études, la population nigérienne continue bel et bien de bénéficier des fruits de la croissance qu’enregistre le pays à travers les différents investissements réalisés dans les secteurs sociaux de base comme l’éducation, la santé ou les infrastructures, même si l’on peut mieux faire, tout naturellement. Sans oublier que la croissance économique présente des aspects positifs quant aux problèmes du chômage et de la pauvreté grâce notamment aux emplois qu’elle génère. Et au Niger, plusieurs milliers d’emplois ont été créés ces dernières années grâce, entre autres, aux différents chantiers réalisés ou bien dans l’administration publique.
La croissance permet également, par le biais de la productivité, d’accroître les quantités de biens et services disponibles et réduire les inégalités dans un pays. La démocratisation des smartphones et autres biens d’équipements (électroménagers, etc.) témoigne de l’évolution de la société nigérienne.
Poursuivre les réformes structurelles pour maintenir le cap
Les réformes structurelles consistent, essentiellement, en des mesures qui modifient les composantes systémiques d’une économie, c’est-à-dire le cadre institutionnel et réglementaire dans lequel les entreprises et les individus exercent leurs activités. Elles visent aussi à garantir la bonne santé d’une économie à même d’atteindre son niveau de croissance potentielle de manière équilibrée. Enfin, elles agissent sur l’offre de l’économie et contribuent à accroître la productivité, l’investissement et l’emploi en réduisant les obstacles à une production de biens et services efficace (et juste).
Au Niger, les bonnes performances en termes de croissance que nous évoquions précédemment sont en partie imputables aux diverses réformes mises en œuvre ces dernières années. Pour pérenniser ce qui ressemble à un acquis et continuer dans cette dynamique, il faudra poursuivre les réformes, en mettant l’accent cette fois-ci, sur : 1) l’amélioration de la gestion des finances publiques ; 2) le renforcement des institutions pour les rendre plus fortes et crédibles ; 3) l’utilisation de la technologie pour développer le secteur privé, 4) le développement d’une industrie extractive bien gérée ; 5) l’établissement d’un cadre financier et de gestion des risques de catastrophes dans un contexte de dérèglement climatique ; 6) etc. A terme, la mise en œuvre efficace et efficiente de ces quelques réformes, sans doute non exhaustives, pourrait générer des gains économiques importants et permettre au Niger de réduire significativement son retard en matière de développement économique et durable.
ADAMOU LOUCHE IBRAHIM
Economiste
@ibrahimlouche
Niger Inter Hebdo N° 86 du mardi 1er Novembre 2022