Dr Adamou Issoufou est titulaire d’un doctorat de droit public. Enseignant-chercheur à la Faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université Cheikh Anta Diop (Dakar), il enseigne le droit constitutionnel, le droit des finances publiques et le droit des marchés publics. Il est présentement Secrétaire Exécutif de l’Autorité de Régulation des Marchés Publics (ARMP). A travers cette analyse, il renseigne sur les tenants et aboutissants du dialogue politique au Niger.
A chaque fois qu’ils empruntent ces trois concepts à une étude du Doyen Georges Vedel, les juristes conseillent aux analystes d’une question ayant fait l’objet d’un encadrement juridique particulier, de chercher à saisir le prétexte de l’auteur du texte, c’est-à-dire, ses motivations profondes avant de s’appesantir sur le contexte auquel le texte est appelé à s’appliquer. C’est à ce prix que ledit texte pourrait révéler toute sa pertinence ou son impertinence.
Tel est le cas du dialogue politique, objet du décret n°2019-500/PRN/PM du 10 septembre 2019 modifiant et complétant le décret n°2004-030/PRN/PM du 30 janvier 2004 portant création d’un Conseil National de Dialogue politique (CNDP).
Le CNDP est un organe consultatif, c’est-à-dire, une sorte de comité chargé de donner des avis et conseils sur des questions politiques, sociales, économiques…Il sert de cadre formel de concertation entre acteurs politiques et sociaux afin d’aplanir leurs divergences au sujet du traitement de certaines questions d’intérêt national. L’idée a été d’instituer au Niger et bien avant les autres Etats de la sous-région, cette pratique qui consiste à faire précéder certaines décisions d’une consultation des acteurs politiques et sociaux concernés.
Ce cadre permanent de dialogue et de concertation est investi de la lourde et exaltante mission de prévenir et de régler les conflits politiques, d’une part, et de donner des avis sur toute autre question d’intérêt national dont il est saisi, d’autre part. Au regard de ce prétexte, le cahier de charges du CNDP est à la fois clair et lourd : créer les « conditions de stabilité et de consolidation des institutions démocratiques et républicaines ». Il doit, à cet effet, œuvrer dans le sens « de promouvoir un consensus autour des questions d’intérêt national et des principes démocratiques et républicains ».
La portée des questions, objet des dialogues justifie amplement le choix du mode de prise de décision et la composition du Conseil.
Le mode consensuel de prise de décision permet de dégager un accord sans procéder à un vote formel et vise, en réalité, à éviter de faire apparaitre les objections et les abstentions. Il s’agit de veiller à ce que la décision ne frustre aucun acteur et qu’elle engage tous les participants dans l’intérêt de la nation. Mais parvenir à un tel consensus pourrait paraitre utopique. Toutefois, cet utopisme s’estompe lorsque l’on s’intéresse à la qualité « des dialoguants » et à l’objet du dialogue.
Sur le premier point, le texte vise « les partis politiques légalement reconnus et le gouvernement ». Cette disposition ne cherche qu’à mettre « les enfants de la démocratie et du suffrage universel » (Max Webber) devant leur responsabilité : celle d’engager toute concertation et tout dialogue de nature à prévenir et à régler les conflits politiques. Cette double réaction attendue face aux conflits politiques vise essentiellement la stabilisation et la consolidation des institutions et principes démocratiques et républicains sans lesquels aucun parti politique ne peut prétendre à son plein épanouissement.
A ces acteurs politiques de premier rang, le texte ajoute le représentant de l’Association des chefs traditionnels, ceux des confessions religieuses et toute autre personnalité ou représentant d’une organisation. Ceux-ci sont conviés pour assister aux travaux en qualité de grands témoins.
L’on constate, pour le déplorer, que le texte ne vise pas expressément les acteurs de la société civile. Certes, il est question de prévenir et de régler des conflits politiques. Mais au-delà, le CNDP est habilité à donner des avis sur toute question d’intérêt national dont il est saisi. Mieux, la connexité des phénomènes montre finalement que tout est politique. En conséquence, toute question sociale a des répercussions politiques et vice versa. Quoi qu’il en soit, les organisations de la société civile sont considérées comme des acteurs politiques en ce sens qu’elles parviennent incontestablement à influencer, voire, à orienter le jeu politique. C’est pourquoi, au regard de la légitimité et de la crédibilité dont ils jouissent, d’une part, et de la connaissance pointue qu’ils peuvent revendiquer sur les questions en discussions, d’autre part, certains acteurs de la société civile méritent d’être conviés au titre des personnalités prévues à l’article 4 du décret n°2019-500 afin d’éclairer la lanterne des dirigeants politiques.
Au Niger et loin de tout alarmisme, et c’est le second point, les acteurs politiques et sociaux doivent se parler. Ils doivent le faire sincèrement et en toute responsabilité dans le seul intérêt du pays et de son peuple. En effet, il n’est un secret pour personne que les Etats du Sahel en général et le Niger en particulier font face à plusieurs défis qui appellent à une union sacrée entre les fils et les filles du pays.
Il s’agit, essentiellement, du défi sécuritaire qui menace notre survie en tant que nation et autour duquel une unité d’actions et un sursaut patriotique s’imposent plus que jamais. A ce défi s’ajoute la désinformation actuellement en cours par le moyen des réseaux sociaux et qui a des conséquences dangereuses sur la stabilité politique et sociale.
Ces difficultés qui assaillent et divisent la population nigérienne dans une certaine mesure font partie de ce qu’on appelle les causes communes et qui transcendent, en conséquence, tout clivage politique conjoncturel. L’on voit bien que le dialogue politique n’est ni une affaire de la seule majorité encore moins celle de l’opposition. Cela se répercute tant sur l’initiative de la réunion que sur la fixation de l’ordre du jour. Il s’agit, au fond, d’une affaire de toute la classe politique et sociale de laquelle il est demandé de privilégier les seuls intérêts nationaux. Devant ces épreuves qui menacent notre quiétude sociale et notre vie commune, le dialogue entre acteurs est une nécessité.
Au-delà des questions sécuritaires, la crispation du climat politique constatée au Niger témoigne, si besoin est, de l’absence de dialogue sincère et constructif entre acteurs politiques et sociaux.
Pourtant, ce dialogue est l’une des vertus de la démocratie. Il est, selon Kag Sanoussi, l’une des solutions, car il permet de ne pas rompre les liens entre les protagonistes. En effet, en maintenant ces liens de manière durable, on finit par trouver des pistes de rapprochement qui sont indispensables aujourd’hui à la prise en charge des différents défis auxquels nous sommes exposés.
Cependant, si pour Jean Marie Petitclerc, « le plus difficile dans l’art de dialogue ce n’est pas de parler, c’est d’apprendre à écouter », l’on peut dire que l’autre défi est lié surtout au respect et à l’application des conclusions des réunions. Pour Maurice Ndione Seck, en effet, « souvent, les acteurs impliqués ne jouent pas franc-jeu ». C’est certainement pour prendre en compte cette dimension que l’article 13 du décret n°2019-500 a tenu à préciser que « les avis et recommandations du CNDP font l’objet d’une large diffusion ». L’idée est, sans doute, de prendre à témoin, au-delà des grands témoins présents dans la salle, toute l’opinion nationale et internationale sur ce qui a été discuté et le consensus qui a été trouvé. Ainsi, l’histoire retiendra le nom de l’acteur ou du groupe qui a failli dans la mise en œuvre des conclusions des réunions du CNDP.
Contribution citoyenne du Dr. Adamou ISSOUFOU