Crise de l’énergie : Pour une sortie par le haut !

 

Mettre à mal la quiétude sociale dans le pays. C’était le risque que faisait planer la récente augmentation du prix de gasoil au Niger. Mais, c’était sans compter sur la détermination des autorités, au premier rang desquelles S. E Bazoum Mohamed ayant fait de la stabilité du pays une priorité absolue pendant son quinquennat.

 Conscient, en effet, du caractère impopulaire de la mesure ainsi que de son impact négatif sur l’économie, le Président s’est à nouveau illustré, en incarnant la proximité – une valeur essentielle et utile pour éteindre d’éventuelles tensions ou crises sociales en gestation – en « recevant » les représentants de la société civile et opérateurs économiques. Une démarche salutaire et qui témoigne de la volonté du chef de l’Etat à œuvrer au quotidien pour améliorer la santé du débat politique qui est mauvaise au Niger ; comme en témoignent les symptômes les plus évidents qui sont, entre autres, ces discours manichéens, moralisateurs et souvent outranciers dans les rues de la capitale ou sur les réseaux sociaux. Pire, l’Assemblée nationale n’y échappe guère ! Il était donc nécessaire de la part de S. E. Bazoum Mohamed, d’une part, de faire acte de pédagogie pour aider les différents acteurs conviés, et par ricochet nos concitoyens, à comprendre le sens de l’augmentation du prix de gasoil, ce, malgré le contexte inflationniste que connait le pays. D’autre part, c’était aussi l’occasion de « coconstruire » les solutions à mettre en œuvre pour éviter que cette hausse n’altère davantage le pouvoir d’achat de nos concitoyens, et particulièrement les plus vulnérables, et in fine nuire à l’économie du pays, qui peine déjà à se remettre de la crise sanitaire.

Sévir contre les « profiteurs de crise »

Pour le moment, l’augmentation n’a concerné que le prix du gasoil. Et pourtant, quelques heures après l’annonce du gouvernement, on a assisté une répercussion en cascade de cette hausse sur les prix des biens essentiellement de première nécessité et des services, le transport notamment. Certes l’utilisation du gasoil comme source d’énergie dans de nombreux secteurs d’activités reste importante. Toutefois, elle ne saurait justifier les hausses des prix soudaines et quasi-spectaculaires observées sur le terrain. Ce qui alimente au passage le sentiment qu’il existe dans le pays des « profiteurs de crise ».  C’est-à-dire ces commerçants et entreprises soupçonnés d’utiliser le contexte d’inflation pour gonfler artificiellement leurs prix et leurs marges.

Face à ces « profiteurs de crise », le gouvernement a pris des mesures fortes pour lutter contre ces attitudes permettant de générer des profits fantasmés ou réels. Parmi ces mesures, on peut citer, entre autres, l’interdiction d’exporter le carburant en question pour limiter sa pénurie, le rappel du décret instituant ou fixant le prix des courses « urbaines » dans la capitale, Niamey, et les sanctions encourues par les éventuels « récalcitrants ».  Les arrestations intervenues de chauffeurs de taxi ou « Faba-Faba » refusant d’appliquer le décret gouvernemental sur la stabilité des prix des courses montrent la détermination des autorités à sévir contre les profiteurs supposés ou réels des crises.

Cependant, si son but est de protéger nos citoyens les plus « vulnérables » et dont les habitudes risquent d’être perturbées en matière de mobilité, la décision du gouvernement, qui consiste à sévir contre les entreprises du transport ayant recours au gasoil comme carburant et envisageant de répercuter la hausse du prix du gasoil sur celui de leurs services pour être pérennes et sauver leur modèle économique, interroge. En outre, si les prix de certaines courses semblent être fixés par décret, le contexte inflationniste que connaît le pays doit aussi être pris en compte dans la « fixation » des prix des services afin de ne pas pénaliser davantage les entreprises du secteur. Et en l’absence des mesures allant dans ce sens, l’Etat doit, à travers divers dispositifs bien ciblés, compenser le manque à gagner pour les entreprises dont la viabilité serait menacée.

Quelle que soit la cause, le retentissement inflationniste que connait le pays ne risque pas seulement de menacer le modèle économique des entreprises. Il favorise également l’accélération de la pauvreté qui reste, par ailleurs, très élevée : la part de la population nigérienne vivant en dessous du seuil de pauvreté national était déjà de 41 % en 2019. Selon la Banque Mondiale (2020), « les effets conjugués de la pandémie, de la récession mondiale et du ralentissement économique du Niger ont lourdement affecté les moyens de subsistance de la population nigérienne par la perte d’emplois et de revenu, la flambée potentielle des prix des denrées alimentaires, et la perturbation du programme de protection sociale et du système de prestation des services de base existants, notamment de santé et d’éducation. ».

Certes, diverses mesures ont été mises en œuvre pour accompagner nos concitoyens dans ces moments difficiles et favoriser la relance économique dans le pays. Mais, à l’image de la crise sanitaire, le contexte inflationniste évoqué ci-dessus aurait annihilé une bonne partie des progrès relatifs enregistrés quelques mois auparavant et devrait se traduire par une accélération de la pauvreté dans les semaines et mois à venir. Face à cette situation, l’indifférence n’est sans doute pas tolérable. Et le gouvernement semble le mesurer ; ce qui l’a conduit à prendre des mesures pour amortir les chocs, comme en témoignent les distributions de vivres ou leur vente à prix modérés. L’unanimité semble, néanmoins, se dégager sur le fait que ces mesures sont de loin insuffisantes face à l’ampleur de la crise. On serait donc tenté de se poser la question sur la ou les solutions idoines à apporter et permettant à la fois de pallier l’urgence mais aussi d’améliorer le quotidien de nos concitoyens de manière pérenne.

Le renforcement de l’Etat social

Inutile de rappeler que bon nombre de nos compatriotes n’ont pas accès à l’énergie bien que le pays soit producteur de pétrole, que les inégalités sont criantes et se manifestent dans tous les domaines de la vie. Pour répondre à ces défis, il est urgent que le gouvernement s’engage à faire l’accessibilité à l’énergie et de la lutte contre les inégalités une priorité. Ces deux situations, pour ne citer qu’elles, exigent des dépenses importantes qu’il faudra financer à travers la mobilisation des ressources considérables et idéalement d’origine interne. Cela suppose alors d’accroitre significativement le poids de l’Etat fiscal et social.

La montée en puissance devrait ainsi contribuer au processus de développement économique. Qu’elles soient issues de l’exploitation de nouveaux gisements de pétroles, miniers ou autres, les nouvelles recettes doivent servir à financer les dépenses indispensables non seulement pour réduire les inégalités mais également pour encourager la croissance, avec en particulier un investissement massif et relativement égalitaire dans l’éducation et la santé, des infrastructures de transport et des équipements collectifs, ainsi que de revenus de remplacement indispensables pour stabiliser l’économie et la société en cas de chocs majeurs.

Concrètement, ce serait l’occasion de généraliser la mise en place des filets sociaux.

En guise de rappel, « les filets de protection sociale ont pour but de protéger les familles des conséquences de chocs économiques, de catastrophes naturelles et d’autres crises », selon la Banque Mondiale. Les données disponibles montrent aussi que les programmes de filets sociaux concourent à l’atténuation des inégalités et à une réduction d’environ 45 % de l’écart de pauvreté. Et des travaux de recherche récents montrent comment les transferts en espèces, en particulier, permettent aux États d’investir dans le capital humain et aux populations pauvres d’améliorer leur niveau de vie grâce à cette source de revenu.

Dans un pays où le sentiment de « l’accaparement » des ressources du pays par une minorité ne cesse de gagner du terrain, et une part très importante de la population reste « fragilisée » par les crises successives, il devient un impératif pour les autorités d’œuvrer pour une meilleure répartition des différentes retombées économiques et financières. Une répartition qui serait gage de la restauration de la confiance mais aussi de stabilité dont le pays aura besoin pour assurer son émergence.

ADAMOU LOUCHE IBRAHIM

Économiste

@ibrahimlouche

Niger Inter Hebdo N°77 du mardi 30 Aout 2022