Redoutée par tous, la hausse du prix de carburant a finalement été annoncée cette semaine par les autorités du pays. Une nouvelle qui arrive sans doute au mauvais moment en raison du contexte inflationniste que connait le pays depuis plusieurs mois, et qui devrait contribuer à altérer davantage le pouvoir d’achat d’une frange importante de nos concitoyens, déjà meurtris par l’extrême pauvreté, voire la misère.
Pourtant, à regarder de près et malgré ses conséquences potentiellement préjudiciables à la fois pour l’économie du pays et nos concitoyens dont les habitudes de consommation risquent d’être perturbées, cette hausse était inéluctable en raison de la conjoncture internationale défavorable et l’interdépendance des économies.
La dégradation de la conjoncture internationale est imputable, en guise de rappel, essentiellement à deux crises majeures, à savoir la crise sanitaire et la crise géopolitique inhérente à la guerre russo-ukrainienne, contribuant ainsi à alimenter les pressions inflationnistes à l’échelle de la planète. Les prix ne cessent de grimper, partout dans le monde. L’inflation devrait atteindre 8,3% cette année à l’échelle mondiale (+0,9 point par rapport aux prévisions d’avril), selon le FMI. La guerre en Ukraine a fait flamber les coûts de l’alimentation et de l’énergie, pesant particulièrement lourd sur les populations les plus pauvres. Et les incertitudes qu’elles nourrissent continue d’affaiblir l’économie mondiale au point où le Fonds Monétaire Internationale a dû réviser récemment à la baisse ses prévisions de croissance. La croissance mondiale n’est désormais plus attendue qu’à 3,2% en 2022, soit 0,4 point de moins qu’anticipé en avril.
Au niveau de l’UEMOA, selon la BCEAO, le rythme haussier de l’inflation s’est maintenu dans les pays de l’Union pour ressortir, en glissement annuel, à 7,5% en juin 2022, contre une réalisation de 6,8% le mois précédent. Cette accélération du rythme de progression du niveau général des prix est essentiellement imputable au renchérissement des céréales dans la plupart des pays de l’Union, induit par la baisse de la production céréalière de l’Union au cours de la campagne 2021/2022, ainsi qu’à l’accentuation des difficultés d’approvisionnement des marchés. Elle est également en lien avec l’envolée des cours internationaux des denrées alimentaires importées par l’Union, exacerbées par le conflit russo-ukrainien.
Au Niger, dans de nombreux domaines, les importations se sont fortement renchéries ces derniers mois. Ne pouvant supporter seules ces augmentations, certaines entreprises du pays continuent de répercuter ces dernières à des degrés divers sur les prix de leurs produits ou prestations. Il y’a eu des secteurs dans lesquels l’Etat est intervenu pour limiter ces hausses et donc préserver partiellement le pouvoir d’achat de nos concitoyens en début d’année. Mais, cela a contribué à réduire ses marges de manœuvre. Or, dans un contexte de tensions budgétaires que connait le pays et amplifié par la grave crise alimentaire qu’il traverse et la détérioration du contexte sécuritaire dans la région du Sahel, toutes sources d’économies ou de recettes potentielles pour l’Etat afin de réduire ces tensions est à exploiter. Et c’est ce qui semble être privilégié de mon point de vue par le gouvernement à travers l’augmentation récente du prix du gasoil.
Quelles solutions pour limiter les éventuels impacts négatifs sur l’économie en général et le pouvoir d’achat de nos concitoyens en particulier ?
En raison du fait que le secteur des transports recourt essentiellement au gasoil comme carburant, les acteurs de ce secteur devraient mécaniquement répercuter la hausse évoquée ci-dessus à des degrés divers pour « rentrer dans leurs frais ». Chose à laquelle on assiste actuellement et qui se traduit par des flambées des prix en cascade. Et, c’est loin d’être terminé car il faudra s’attendre à ce que ces répercussions s’amplifient dans les jours à venir. Face à cette situation, l’indifférence des autorités ne peut être tolérée. Le gouvernement doit donc agir en conséquence pour casser cette dynamique. En début d’année, comme mentionné tantôt, face à la flambée des prix ayant affecté de nombreux secteurs de l’économie du pays, il avait mis en place des mesures pour amoindrir ses effets. Cependant, la hausse du prix de gasoil évoquée ci-dessus risquerait d’annihiler l’impact de ses interventions. D’où l’importance de mettre en place, à nouveau, des mesures ciblées pour limiter les éventuels impacts négatifs sur l’économie du pays. Concrètement, il serait judicieux d’identifier et accompagner rapidement et efficacement nos concitoyens les plus vulnérables à travers, par exemple, des billets de transports à prix modérés pour faciliter leur mobilité ou développer des filets sociaux afin de les protéger des conséquences de chocs économiques qu’induirait la hausse du prix du gasoil et d’autres crises, et donc aider à amortir l’impact.
Quelles perspectives pour le prix des carburants une fois que la conjoncture internationale sera favorable ?
Même si la guerre continue de faire rage, des négociations se poursuivent en coulisse pour mettre fin au conflit. En attendant une éventuelle sortie de crise, la guerre en Ukraine pourrait faire croître plus qu’avant les prix de l’énergie, et un arrêt complet des exportations de gaz russe vers les économies européennes en 2022 ferait largement augmenter l’inflation dans le monde, selon le FMI (2022). Autant dire que le retour à la normale n’est pas pour maintenant. Face à ce qui se profile, doit-on assister à une nouvelle hausse du prix de gasoil au Niger ? Malgré le fait que la production du pays devrait s’accroitre en 2023 ? On serait tenté de répondre par la négative. Le but étant de ne pas attiser de nouvelles tensions sociales dans le pays qui fait déjà face à de nombreux défis et crises. Il serait même souhaitable d’envisager une baisse du prix des carburants pour faciliter l’accès à l’énergie pour un grand nombre de la population. Car, il convient de souligner que l’énergie est, au même titre que l’eau ou les technologies de l’information, un bien vital de la société d’aujourd’hui que l’Etat doit en promouvoir l’accès. De manière concrète, via la baisse des prix des hydrocarbures, le gouvernement peut, par exemple, soutenir le pouvoir d’achat des particuliers, contribuer à réduire la précarité énergétique dans le pays et alléger les factures énergétiques des entreprises dont les activités ont été très affectées par les crises que nous traversons. Cela pourrait donc permettre aux particuliers de retrouver de la confiance et de consommer davantage. Quant aux entreprises de transport en particulier, la baisse pourrait leur permettre d’améliorer leurs marges, réaliser davantage des investissements, et par ricochet créer de nombreux emplois. Ce qui serait très bénéfique pour l’activité économique dans le pays.
Ibrahim Adamou Louché, analyste économique
Niger Inter Hebdo N°74 du mardi 09 Aout 2022