INTERVIEW : Kalla ANKOURAO à propos du Redéploiement de Barkhane et Takuba

« Le PNDS a toujours considéré que la question sécuritaire ne peut souffrir de comportements partisans », déclare Kalla ANKOURAO

Kalla ANKOURAO est présentement le 1er  vice-président de l’Assemblée nationale. Ancien ministre de l’équipement et chef de la diplomatie nigérienne, il est également Secrétaire général Adjoint du Comité Exécutif du PNDS Tarayya. Membre du Présidium du parti rose, c’est avant tout  un apparatchik du régime en place. Dans cet entretien exclusif, il éclaire la lanterne du lecteur sur les enjeux du redéploiement des forces Barkhane et Takuba au Niger.

Niger Inter Hebdo : le projet de texte modifiant et complétant l’axe 1 de la Déclaration de Politique Générale du Gouvernement (DPG) a reçu l’approbation de la majorité des élus du peuple, à travers un vote massif de 131 voix sur les 162 députés ayant voté le vendredi 22 avril dernier. En tant que député national, quel commentaire vous suscite ce choix pour le Niger ?

Kalla ANKOURAO : Je vous remercie de m’offrir l’occasion de revenir en détail, sur certains débats qui ont précédé le débat et le vote du 22 avril 2022 à l’Assemblée Nationale, à travers lequel 4/5ème des députés ont approuvé le principe d’autoriser un déploiement, sur notre territoire, des forces françaises et européennes dans le cadre de la lutte contre le terrorisme au Sahel. Le premier commentaire que ce vote m’inspire est que la gouvernance au Niger, depuis une dizaine d’années, est bâtie sur une vision claire de ce que le peuple et ses dirigeants veulent pour ce pays. En effet, nous avons démontré à la face du monde que la légitimité du régime actuel, lui confère le droit sans aucun complexe de recourir à tous les moyens qu’il juge efficace pour assurer la paix et la sécurité de nos populations. Je puis affirmer, suite aux débats auxquels nous avons assisté, qu’à deux députés près, aucune opposition catégorique à ce déploiement ne s’est véritablement exprimée. A vrai dire, c’est parce que nous faisons tous confiance à notre armée qui, même avec des insuffisances du point de vue effectif, équipement, formation et renseignements, est capable d’exploits sur le champ de bataille et sait profiter des multiples avantages que confère toute forme de coopération pour améliorer l’efficacité des opérations qu’elle engage. Il est vrai qu’à un moment donné, une frange de notre population s’est laissée intoxiquer par une certaine propagande négative, développée par une opinion interne très minoritaire, mais surtout véhiculée à partir de certains pays voisins où l’armée avait entrepris des actions inconstitutionnelles qu’elle se devait de justifier par tous les moyens. Il faut préciser que cette opinion minoritaire, précédemment évoquée, tient surtout de l’ignorance au sein de la population ; laquelle ignorance a été exploitée par les milieux les plus extrémistes de l’opposition politique et de la société civile. Nous ne pouvons donc que nous réjouir de constater que nous sommes en phase avec notre peuple ; il a élu ses dirigeants pour lui garantir la paix, la sécurité et la prospérité ; il continue à leur faire confiance pour honorer cet engagement et il ne se laisse pas distraire par une opposition qui se réduit de jour en jour comme peau de chagrin.

Niger Inter Hebdo : A travers le débat sur le redéploiement de Barkhane et Takuba, les députés de l’opposition parlent d’accord de défense. Le moins qu’on puisse dire entre les députés de la majorité et ceux de l’opposition, vous ne parlez pas de la même chose. Pour éclairer la lanterne de nos lecteurs, de quoi s’agit-il précisément ?

Kalla ANKOURAO : Au niveau de la majorité et en prélude à ce débat prévu longtemps à l’avance, nous avons organisé plusieurs réunions d’échanges et d’explications pour mettre tous les députés au même niveau d’information et leur permettre de bien saisir le contour du sujet en débat ainsi que les objectifs poursuivis par le gouvernement. Par contre, au niveau de l’opposition parlementaire, j’ai eu l’impression que les plus avisés d’entre eux n’ont rien fait pour permettre aux autres de bien appréhender les tenants et les aboutissants du projet soumis par le gouvernement. Ainsi, j’ai eu l’intime conviction que certains députés de l’opposition ne savaient pas de quoi nous débâtions. Par contre, d’autres, très avisés avaient tout simplement adopté une ligne de défense claire : ceux-là savaient que le débat était difficile pour eux. En effet, tout en voulant éviter d’avoir à affirmer très clairement leur opposition au déploiement des forces françaises et européennes, ils ne pouvaient également envisager d’émettre un vote positif sur un amendement à la DPG qu’ils n’ont pas voté auparavant. C’est ainsi qu’ils ont imaginé l’idée de camper sur l’argument selon lequel ils n’ont pas pris connaissance du contenu de l’accord – un accord qui n’existe que dans leur imagination – et qu’ils ne voulaient pas donner un chèque en blanc. Voilà tout le fond du problème. Sinon, les plus avisés d’entre eux savaient qu’il ne s’agissait pas de discuter et voter un accord de défense mais plutôt d’autoriser le gouvernement et les Forces de défense et de sécurité à conclure un accord de coopération pour réglementer le déploiement temporaire de forces alliées qui viendraient appuyer notre lutte contre le terrorisme. De ce point de vue, nul besoin de prévoir une ratification par le parlement. Le gouvernement a voulu de ce débat, suivi d’un vote, sans y être obligé par une quelconque disposition constitutionnelle, pour montrer à l’opinion que son option de déploiement des forces françaises et européennes avait l’adhésion du peuple nigérien à travers ses représentants légitimes.

Niger Inter Hebdo : En principe, la question sécuritaire devrait plutôt réunir tout le monde en ce sens que le terrorisme ne fait pas de quartier. Comment expliquez-vous la polémique et la divergence entre la majorité et l’opposition sur la situation sécuritaire de notre pays ?

Kalla ANKOURAO : Vous avez raison, c’est une question qui est aujourd’hui sur toutes les lèvres. Dans cette lutte contre le terrorisme qui a été imposée à notre pays depuis 2013, tant dans le lit du lac Tchad à l’Est que dans la zone des trois frontières à l’Ouest, nous notons des succès indéniables. Ces succès sont avant tout ceux du peuple nigérien mobilisé derrière ses forces de défense et de sécurité. Tout le monde se rappelle que pendant les deux mandats du président Tandja Mamadou (2001-2010), ce dernier a bénéficié du soutien bienveillant de l’opposition politique incarnée par le PNDS pour tout le combat qu’il a engagé pour lutter contre la rébellion du nord du pays. Le PNDS a toujours considéré que la question sécuritaire ne peut souffrir de comportements partisans. Mais hélas, les forces politiques qui sont aujourd’hui à l’opposition n’ont visiblement pas le reflexe qui a été le nôtre face aux problèmes fondamentaux du pays. On est tenté de poser la question de savoir pourquoi ne seraient-ils pas capables de lucidité et d’esprit de responsabilité quand notre pays est en danger. On dirait que, pour les extrémistes au sein de l’opposition politique comme ceux d’une certaine société civile, refuser ce soutien constituerait, un bon moyen de conduire le régime à l’abîme et précipiter ainsi sa chute tant rêvée par certains.

Niger Inter Hebdo : Tout se passe comme si le choix de la junte malienne aurait influencé l’opposition parlementaire. Est-ce qu’en choisissant de travailler avec ses partenaires traditionnels, le Niger se priverait d’autres partenaires, la Russie par exemple, comme tend à le faire croire le discours de vos adversaires ?

Kalla ANKOURAO : En fait, le problème qui se pose à nos Etats est simple : pouvons-nous, dans les circonstances actuelles, gagner seuls et à brève échéance, cette guerre contre le terrorisme ? La réponse est évidemment NON, du fait de la nature asymétrique du conflit, du niveau d’équipement et des effectifs de nos forces de défense de sécurité, de la qualité des renseignements dont nos forces ont besoin, et du coût de la guerre sans compter l’étendue de notre territoire qui rend difficile le besoin d’assécher toutes les sources d’approvisionnement des terroristes. Dès lors, nos pays ont forcément besoin d’alliés à même de leur garantir des réelles plus-values dans ce combat et d’aider à gagner cette guerre dans un laps de temps et avec peu de pertes en vies humaines. Dans le lit du Lac Tchad, les quatre pays limitrophes (Niger, Tchad, Cameroun et Nigéria) ont pu mutualiser leurs forces pour mener la lutte contre Boko Haram; ce fut un choix de raison très applaudi. Même si les résultats décisifs se font attendre, huit ans après, tout le monde note qu’il y a des succès importants, notamment au cours des six derniers mois et que la menace semble désormais contenue.

Dans la zone des trois frontières, les trois pays (Niger, Mali et Burkina Faso) ont essayé plusieurs options, y compris la mutualisation des moyens dans le cadre de la force conjointe du G5 Sahel ; mais la situation ne fait que s’empirer, du moins au Mali et au Burkina. La prise de pouvoir par les militaires dans ces deux pays n’a pas engendré de succès décisifs, bien au contraire. Le recours au mercenariat, avec des coûts exorbitants pour le trésor public, et des règles d’engagements qui jurent avec les lois internationales, n’a nulle part au monde abouti à l’éradication du terrorisme. Pourquoi alors nous devrions succomber à cette machination si la possibilité nous est offerte de continuer cette lutte avec des partenaires étatiques traditionnels, tout en cherchant à en mobiliser d’autres, notamment les forces africaines promises par l’Union Africaine et la CEDEAO ? Je rappelle, qu’en Syrie et en Irak, il a fallu une coalition de toutes les armées des grandes puissances du monde pour vaincre Daesh et jusqu’à cette date, le terrorisme n’y est pas éradiqué totalement. Par rapport à cette problématique et, à la possibilité de faire appel aux forces russes, on constate que depuis que ce débat occupe l’actualité, aucune voix au parlement n’a publiquement souhaité le recours aux services des mercenaires dans le cadre de notre combat contre les groupes armés terroristes. Quant à la Russie à laquelle vous faites allusion, notre pays a déjà signé un accord de coopération avec ce pays qui demeure pour nous une des sources d’approvisionnement en équipement militaire et un partenaire privilégié pour la formation de nos militaires.

Niger Inter Hebdo : Au sein de l’opinion, on est tenté de se demander à partir de quand peut-on espérer les résultats de toutes ces actions et de cette coopération dans le quotidien des populations civiles qui sont les premières victimes de la barbarie terroriste ?

Kalla ANKOURAO : Le terrorisme moderne a surpris par sa résilience. En Afghanistan, en Syrie, en Irak, en Lybie, en Somalie, au Sahel, nulle part il n’a été éradiqué en quelques mois comme ça pourrait être le cas pour les guerres classiques. Au Niger, compte tenu de la nature du conflit, de l’état de nos forces à l’avènement de ce fléau, des équipements dont les djihadistes ont pu disposer à la chute du régime de Kadafi, on ne pouvait raisonnablement espérer une éradication rapide de ce phénomène. Souvenez-vous de la descente du convoi des terroristes sur Bamako après avoir conquis toutes les villes du Nord et du centre du Mali. Aucune voix dans notre espace n’a critiqué les français dont l’intervention a permis de stopper l’avancée de cette colonne et a épargné Bamako d’une débâcle inévitable. C’est pourquoi, il faut savoir raison garder. Cela dit, les premiers effets de surprise passés, nos pays, après avoir pris la mesure du danger qui guette toute la sous-région, se sont engagés dans une mobilisation tout azimut des moyens humains, matériels et organisationnels et dans la recherche des alliés en vue d’anéantir ces hordes criminelles et assurer la paix et la stabilité de nos pays. Au Niger, les forces étatiques ont connu quelques déboires au début, mais à la faveur d’une amélioration progressive de leurs effectifs et de leurs équipements ; ainsi que de l’amélioration du renseignement, elles ont pu inverser le rapport des forces, tant dans le lit du lac Tchad que dans la zone des trois frontières. Avec une rigoureuse mise en œuvre du programme engagé par le gouvernement et une bonne gestion de l’alliance que nous venons d’autoriser avec les forces françaises et européennes, le terrorisme peut, à mon avis, être réduit à une simple insécurité résiduelle d’ici trois ans à quatre ans. La bonne gestion de l’alliance a été définie par le premier ministre qui disait entre autres que « le déploiement des forces alliées se fera sur la base d’un partenariat qui tient compte des leçons apprises de part et d’autre, et fera l’objet de discussions techniques avec la hiérarchie militaire tant sur les lieux de stationnement et les modalités d’opération que sur les règles d’engagement ». Pour moi, c’est là une réponse claire et satisfaisante aux soucis exprimés par certains compatriotes pour qui les forces alliées venaient s’installer où elles veulent et engager des combats sans coordination avec les forces nationales.

Interview réalisée par Elh. M. Souleymane et Abdoul Aziz Moussa

Niger Inter Hebdo N° 62 du 10 mai 2022