Produits alimentaires : Ce qu’il faut savoir sur la flambée actuelle des prix

 

 

 

Préoccupant, insupportable, inacceptable, inadmissible… les mots ne manquent pas de nos jours pour qualifier l’envolée spectaculaire des prix des biens en général et ceux d’une grande partie des denrées de première nécessité en particulier que connaît nos pays ces derniers mois.

 

 Et pour cause. L’inflation – qui est une situation de hausse généralisée et durable des prix des biens et des services et correspondant à une baisse du pouvoir d’achat de la monnaie (en clair, avec la même somme d’argent, on peut acheter moins de choses qu’auparavant) – a gagné les prix alimentaires mondiaux, au plus haut depuis près de dix ans, selon la FAO. En effet, l’Indice FAO des prix des produits alimentaires a affiché une valeur moyenne de 140,7 points en février 2022, soit 5,3 points (3,9 pour cent) de plus qu’en janvier et pas moins de 24,1 points (20,7 pour cent) de plus que son niveau enregistré il y a un an. Il atteint ainsi un nouveau niveau record, qui dépasse de 3,1 points le précédent plus haut niveau enregistré en février 2011. Cette situation accentue malheureusement les difficultés de pays vulnérables et en développement loin d’être sortis de la pandémie.

La zone UEMOA ne fait guère exception

A l’instar des autres zones économiques du globe, la zone UEMOA est loin d’être épargnée par le phénomène de hausse de prix, comme en témoigne le dernier Bulletin mensuel des statistiques de la BCEAO.

Ainsi, « sur la base des données officielles, le taux d’inflation est ressorti, en glissement annuel, à 6,5% à fin janvier 2022, contre une réalisation de 6,0% le mois précédent. L’accélération du rythme de progression des prix est imprimée par la composante « Produits alimentaires », dont la contribution globale à l’inflation totale est passée de 4,7 points de pourcentage en décembre 2021 à 5,2 points de pourcentage en janvier 2022. La hausse des prix de la composante « Alimentation » est en lien avec le renchérissement des prix des céréales dans la plupart des pays de l’Union et, dans une moindre mesure, ceux des légumes et tubercules frais ».

Selon la BCEAO, « ces tensions s’expliquent par la baisse significative de la production céréalière de l’Union au cours de la campagne 2021/2022, dans un contexte marqué par une exacerbation des difficultés d’approvisionnement des marchés, en ligne avec la persistance des incidences des crises sanitaires et sécuritaires, couplée à la détérioration du climat socio-politique dans certains Etats membres. A ces contraintes s’ajoute également l’accroissement des flux transfrontaliers sortant de produits vivriers en direction des autres pays de la sous-région hors UEMOA ».  A ces facteurs de nature endogène, viennent s’ajouter d’autres de nature exogène. La BCEAO souligne que « la progression des prix résulte également de facteurs extérieurs, notamment l’envolée des cours internationaux des denrées alimentaires, couplée à une hausse exponentielle du coût de fret. En effet, l’indice des cours internationaux des produits importés par l’Union s’est accru de 26,4% sur un an, avec des hausses relativement prononcées pour les produits de grande consommation tels que les huiles, le sucre, le blé et le riz. S’agissant du fret, « l’indice mondial de fret conteneurisé » s’est accru de 136,4% en glissement annuel, en janvier 2022, après une progression de 226,2% en décembre 2021 ».

 

Des conséquences redoutables

En guise de rappel, une inflation modérée est bonne pour l’économie. Une hausse régulière mais modérée du niveau général des prix est l’objectif principal des politiques monétaires conduites par les grandes banques centrales. À ce titre, une progression de l’inflation de l’ordre de 3 % par an est considérée par la BCEAO comme une cible optimale.

À un niveau modéré d’inflation sont, en effet, associés plusieurs avantages :

  • Cela permet aux entreprises d’ancrer leurs anticipations de hausses des prix à moyen et long terme. Le caractère prévisible de ces dernières est favorable à la prise de décision d’investir, car il réduit l’incertitude sur les revenus futurs engendrés par l’investissement.
  • Cela incite par ailleurs les ménages à placer leurs excédents de liquidités plutôt que de les thésauriser ou de les conserver sur leurs comptes bancaires. À défaut, l’érosion monétaire réduirait le pouvoir d’achat de leur épargne. Une inflation modérée contribue donc à assurer l’équilibre entre le niveau d’épargne et le niveau de l’investissement sans lequel les taux d’intérêt s’orienteraient à la hausse, limitant ainsi les projets d’investissements des entreprises.
  • Cela permet également de conserver les taux d’intérêt à des niveaux peu élevés, puisque la banque centrale qui fixe les taux d’intérêt directeurs n’a pas besoin de restreindre les conditions de crédit pour atteindre son objectif de politique monétaire. Ceci est favorable à la croissance économique car les ménages et les entreprises peuvent emprunter à des conditions financières incitatives, tant en termes nominaux (le niveau des taux d’intérêt) que réels (le niveau des taux d’intérêt diminué de l’inflation).

Or, on enregistre actuellement près du double de la cible de l’inflation fixée dans le cadre des critères de convergence. Autrement dit, la zone connait une inflation trop forte qui peut s’avérer nocive pour son économie. En effet, si l’inflation progresse trop fortement, cela peut entraîner des répercussions dommageables pour l’économie tout entière :

  • Cela renforce l’incertitude quant au niveau futur des prix. Aussi, les entreprises adoptent des comportements prudents en matière d’investissement car la rentabilité de ceux-ci est difficile à anticiper. Une trop forte inflation risque donc de réduire les investissements productifs et donc le potentiel de croissance.
  • Cela pénalise les ménages si leurs salaires ne sont pas indexés sur la hausse des prix. Ils subissent alors une perte de pouvoir d’achat qui peut les amener à réduire leur consommation ou à désépargner pour maintenir leur niveau de vie. Et c’est à ce niveau que réside la principale crainte des autorités. Une forte détérioration du pouvoir d’achat peut déboucher sur des tensions sociales aux conséquences imprévisibles, voire dramatiques à l’image du printemps arabe.

Des mesures ciblées pour contenir la hausse des prix

Dans certains pays de la zone, qui sont déjà vulnérables et/ou en proie à diverses crises (sécuritaires, institutionnelles, alimentaires…), il est impensable, voire inconcevable pour les gouvernements de laisser émerger de nouvelles tensions sociales en lien avec l’érosion du pouvoir d’achat de leur population. Ainsi, pour tenter d’endiguer l’inflation qui devient de plus en plus persistante, les gouvernements dévoilent progressivement leur « arsenal anti-inflation ». En Côte d’Ivoire, le gouvernement a détaillé le 9 mars dernier son plan pour lutter contre la vie chère. Parmi les mesures urgentes, l’État a annoncé le plafonnement sur une période de trois mois des prix de 21 produits de grande consommation tels que l’huile de palme raffinée, du sucre, du lait, du riz, de la tomate concentrée, de la viande de bœuf et des pâtes alimentaires, et conditionne toute exportation de vivrier a une autorisation préalable. L’objectif étant d’assurer l’approvisionnement régulier des marchés et de stabiliser les prix de ces produits agricoles locaux destinés à la consommation des populations. Quelques jours plutôt, le gouvernement nigérien avait également pris des mesures allant dans ce sens. De la distribution gratuite et ciblée des vivres à une frange de la population s’ajoute la vente à prix modéré de certaines céréales.  Ainsi, 80.000 tonnes devraient être mis en vente à partir de février jusqu’à septembre 2022 sur toute l’étendue du pays. L’objectif de cette opération est double. D’une part, atténuer les effets attendus de la crise alimentaire qui se profile à l’horizon dans le pays. D’autre part, améliorer la disponibilité des produits sur l’ensemble du territoire afin de réguler les prix.

La nécessité de réduire l’exposition de nos pays aux produits alimentaires importés

Comme mentionné ci-dessus, la forte inflation que subit la zone UEMOA en général, et le Niger en particulier, reste essentiellement une inflation importée. Autrement dit, l’inflation actuelle trouve son origine dans les pénuries mondiales et dans l’incapacité de l’offre mondiale à suivre la reprise de la demande consécutive à l’amélioration de la situation sanitaire. Et le conflit russo-ukrainien combiné aux conditions climatiques de plus en plus incertaines laissent peu de place à l’optimisme quant à un retour à des conditions de marché plus stables.

A titre de rappel, l’inflation importée désigne l’augmentation du niveau général des prix consécutive à une augmentation du coût des produits importés (matières premières notamment). Les entreprises répercutent ces hausses de coût de production sur leur prix de vente et l’économie risque d’entrer dans une spirale inflationniste.

Si les mesures visant à contenir l’augmentation des prix de certaines denrées de première nécessité évoquées précédemment poursuivent des objectifs louables et apportent un début de réponse aux enjeux et besoins de court terme, il n’en demeure pas moins qu’il faut impérativement questionner nos politiques en matière d’autosuffisance ou souveraineté alimentaire. La situation actuelle rappelle encore une fois que, malgré les effort d’investissement dans l’agriculture au Niger, à travers l’« Initiative 3N » notamment, notre agriculture reste défaillante et vulnérable aux chocs climatiques, et nos économies sont bien trop dépendantes de nos fournisseurs étrangers. Au Niger, à titre d’exemple, les importations des produits alimentaires (céréales, pâtes alimentaires, huiles végétales, etc.) ont représenté 27,1% du total des importations estimées à 1 419,878 milliards de FCFA en 2020 contre 24,4% en 2019, juste derrière les biens d’équipement, dont les machines et appareils (électrique et mécanique), les matériels de transport, de précision ainsi que les biens meubles qui constituent le groupe prédominant, avec 27,6%, selon la BCEAO.

Face à cette exposition importante, il devient indispensable de déclencher et favoriser davantage une transformation importante de nos outils productifs et de nos modes de consommation. L’impératif de politique économique aujourd’hui, c’est d’accroitre significativement le soutien aux investissements permettant de limiter notre dépendance aux importations de certains produits alimentaires, responsables d’une grande partie de l’inflation actuelle. Une nécessité absolue pour un pays comme le Niger qui regorge de nombreuses potentialités agricoles.

Adamou Ibrahim Louché, analyste économique

Niger Inter Hebdo N°59 du Mardi 15 Mars 2022