Les sanctions face à la résurrection des coups d’Etat en Afrique de l’ouest : La CEDEAO peut-elle agir autrement ?

L’évolution de la situation socio-politique dans la sous région ouest africaine reste marquée ces derniers mois par la résurrection des coups d’Etat militaires. En moins de deux ans nous avons connu quatre coups d’Etat, au Mali (19 août 2020 et 25 mai 2021), en Guinée (5 septembre 2021) et  au Burkina Faso (23 janvier).

 La communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest(CEDEAO) adopte une attitude constante face à cette irruption des militaires sur la scène politique en appliquant des sanctions de nature diverses. Plusieurs observateurs se posent la question de savoir pourquoi la CEDEAO s’ingère dans les affaires internes des Etats ? Cette interrogation se base sur des idées fortement ancrées autour de la conception classique qu’une certaine opinion se fait encore de la souveraineté. Mais cette souveraineté classique, par la volonté de ces Etats a perdu toute sa rigidité et s’est même diluée dans bien de domaines au profit des organisations d’intégration. La CEDEAO a évolué d’une organisation de coopération instituée en 1975 à une organisation d’intégration avec l’adoption du traité révisé du 24 juillet 1993. La sanction fait apparition au niveau de cette organisation communautaire avec l’adoption de ce nouveau traité pour renforcer le processus d’intégration. Ainsi, les Etats parties, réunis au sein des instances de la CEDEAO peuvent prendre des sanctions contre les Etats ayant commis des manquements.

La transformation de la CEDEAO en une organisation qui empiète sur la souveraineté des Etats s’explique par le fait que le doux rêve d’unité et d’intégration ouest africaine nourri des longues dates se heurte constamment aux obstacles politiques et sociaux. Plusieurs coups d’Etat militaires et guerres civiles ont été enregistrés dans la sous-région de la date d’adoption de ce traité révisée jusqu’au début du 21eme siècle. Face à cette instabilité persistante, la CEDEAO consacre l’essentiel de son temps à gérer des conflits armés et  crises politiques alors que la raison d’être de la communauté était, et demeure, d’organiser et de promouvoir le développement solidaire des peuples  et la complémentarité des  économies des Etats.

Pour pallier une telle impasse marquée par des changements en cascade des régimes, ce qui bloque toute initiative du développement économique dans la sous région les Etats membres ont adopté une série de textes dont le Protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité, le 10 décembre 1999 à Lomé. Ce protocole est complété par le protocole additionnel A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance. Ce dernier, empiète dans le champ de compétence des Etats dans un secteur « sensible de la souveraineté, qui est celui de leur organisation constitutionnelle, politique, administrative » en instaurant une sorte de « une constitution régionale pour l’espace CEDEAO. » Désormais tous les Etats membres de la CEDEAO, ont l’obligation, sous peine de sanction de respecter certains principes dont celui relatif au « bannissement de tout mode anticonstitutionnel d’accession au pouvoir. » Notre objectif n’est pas de juger de l’opportunité des sanctions mais de mettre en lumière les restrictions que les Etats ont eux-mêmes apporté à leur souveraineté dans le domaine politique, administratif et constitutionnel en acceptant d’être partie au protocole additionnel de 2001 et aux autres traités de la CEDEAO .

Les sanctions contre les Etats sont fondées sur la rupture de la Démocratie par procédé des coups d’Etat militaires.

Le protocole de Dakar définit clairement les modalités d’accession au pouvoir et interdit tout changement anticonstitutionnel de gouvernement.

Selon le protocole de 2001 à son article 1er « toute accession au pouvoir doit se faire à travers des élections libres, honnêtes et transparentes. » Cela voudrait dire que dans l’espace communautaire ceux qui auront la charge de conduire les affaires publiques doivent être élus par les citoyens. La démocratie implique alors le pluralisme politique. Cela suppose que les citoyens peuvent en toute égalité participer au processus électoral en tant qu’électeurs ou en tant que candidat. En cas de contestation à quelque niveau que ce soit dans l’organisation du processus électoral, le contentieux est confié à un juge qui statue en matière électorale pour trancher le litige conformément aux lois de chaque Etat membre.

L’accession au pouvoir par la voie démocratique, implique aussi l’organisation des élections à intervalles réguliers. En général, tous les 4 ans ou 5 ans après l’expiration du mandat des autorités étatiques élues, il est procédé à des nouvelles élections. L’option prise par les autorités politiques maliennes de prévoir une transition d’une durée de 5 ans n’est pas en phase avec cette exigence communautaire. De même, l’incertitude sur la durée de la transition en Guinée, qui n’est jusqu’à là pas fixée ou au Burkina Faso avec les propos nuancés de la junte qui promet un retour rapide à l’ordre constitutionnel dans sa déclaration de prise de pouvoir et la soumission de la condition de ce retour à l’ordre constitutionnel à la résolution des problèmes d’insécurité, risque d’aboutir à une telle violation.

Les élections comme mode unique de dévolution du pouvoir

La CEDEAO a fait le choix des élections comme mode d’accession au pouvoir, et tout choix implique une renonciation à quelque chose. En choisissant la démocratie, les Etats renoncent à l’accession au pouvoir par des moyens antidémocratiques.

Les coups d’Etat militaires violent le principe d’interdiction de tout changement anticonstitutionnel de gouvernement.

L’interdiction de tout changement anticonstitutionnel du gouvernement est consacrée par le protocole de 2001 en ces termes : « Tout changement anticonstitutionnel est interdit de même que tout mode non démocratique d’accession ou de maintien au pouvoir. » En effet les changements ne peuvent être opérés que selon les modalités fixées par les constitutions des Etats, ce qui voudrait dire que c’est à travers un processus électoral, libre et transparent que l’on accède au pouvoir. Or, un coup d’Etat est une action de force contre les pouvoirs publics, exécutée par des agents subordonnés notamment des militaires qui visent à renverser les régimes démocratiques.

La CEDEAO à travers ce protocole a fermé toutes les portes à une accession au pouvoir par un coup d’Etat militaire. Ainsi, elle interdit formellement le renversement des pouvoirs publics par les coups d’Etat en général militaire, en précisant le rôle de « l’armée qui doit être apolitique et soumise à l’autorité régulièrement établie. » En outre, le protocole va plus loin en interdisant même à un militaire en activité de prétendre à un mandat politique électif.

Il est important de préciser que le protocole additionnel de la CEDEAO ne tient pas compte du contexte social, politique ou sécuritaire d’un pays pour prévoir des dérogations et tolérer une intervention militaire ou toutes autres formes de prise du pouvoir en dehors de celles qui découlent d’un processus électoral régulier.

Les sanctions, l’arme de régulation pour la CEDEAO

Lorsqu’un Etat ne respecte pas ses engagements en la matière, l’organisation ouest africaine peut lui infliger des sanctions.

Les sanctions applicables aux Etats en cas de violation du protocole de Dakar sur la démocratie et la bonne gouvernance sont nombreuses. Ainsi, en cas de rupture de la démocratie pour quelque procédé que ce soit le protocole de la CEDEAO donne à la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement le pouvoir de prononcer à l’encontre de l’Etat concerné des sanctions.

Les sanctions explicitement prévues par le protocole sont de deux sortes : les sanctions d’ordre moral et les sanctions disciplinaires. Ces sanctions peuvent être appliquées de manière graduelle.

  S’agissant des sanctions d’ordre moral, elles sont prévues à l’article 45 alinéa 2 et concerne : « le refus de soutenir les candidatures présentées par l’Etat membres concernés à des postes électifs dans les organisations internationales », ou « le refus de tenir toute réunion dans l’Etat membre. » Il s’agit ici de procéder à un isolement diplomatique de l’Etat fautif, une sorte de mise en quarantaine pour que celui-ci respecte ses engagements. Mais ces sanctions sont le plus souvent complétées par des mesures d’ordre disciplinaires.

S’agissant des sanctions disciplinaires, elles concernent « la suspension de l’Etat concerné dans toutes les instances de la CEDEAO.» La suspension de la participation de l’Etat de l’organisation régionale est  la première mesure que prenne  les dirigeants des Etats ouest-africains (Cédéao) à la suite des coups d’Etat militaires. Il s’agit en effet des mesures restrictives à l’encontre d’un Etat en rapport avec l’exercice de ses droits en tant que membre au niveau des instances de la communauté. Une interdiction temporaire est faite à l’Etat de participer au processus de prise de décision au niveau des instances de la CEDEAO puisque ne pouvant ni s’assoir au côté des autres Etats encore moins de participer aux votes. Nous qualifions ces sanctions de disciplinaires du fait qu’elles sont les mêmes que toutes associations ou regroupement légalement reconnues en droit interne (partis politiques, syndicat, ONG …)  appliquent en cas de non-respect des règles consacrées par les statuts et règlement desdites associations par un membre.

Par ailleurs il est de plus en plus remarqué le recours à des sanctions économiques et financière dans le cadre de la CEDEAO.

Du recours aux sanctions économiques et financières

Le protocole de Dakar de 2001 n’a pas explicitement prévu des sanctions d’ordre économiques et financières. Cependant selon le Traité révisé de CEDEAO de 1993 à l’article 77 relatif aux sanctions applicables en cas de non-respect des obligations : « lorsqu’un Etat membre n’honore pas ses obligations vis-à-vis de la Communauté, la Conférence peut adopter des sanctions à l’encontre de cet Etat Membre. Ces sanctions peuvent comprendre : la suspension de l’octroi de tout nouveau prêt ou de toute nouvelle assistance par la Communauté ; la suspension de décaissement pour tous les prêts, pour tous les projets ou les programmes d’assistance communautaires en cours. » En d’autres termes, elles peuvent prendre la forme de suspension de l’aide passée ou futur que la communauté pourrait accorder à l’Etat récalcitrant.

Au delà de ces sanctions explicitement prévues par les textes, les Etats membres dans la pratique utilisent d’autres sanctions plus sévères. Ils s’appuient sur l’arme financière, qui est considérée comme l’un des instruments les plus efficaces à la disposition d’une institution pour faire entendre raison à ceux de ces pays qui ne respectent pas leurs obligations. L’exemple du Mali en  2012 où l’application d’un « embargo total » comportant des sanctions d’ordre économiques et financières contre la junte au pouvoir depuis le coup d’état du 22 mars de la même année est assez illustratif. Cette sanction a obligé les nouvelles autorités à accepter le principe d’une durée de transition de 12 mois et l’organisation des élections à l’issue desquelles les membres du gouvernement de la transition n’ont pu être candidats.

Le but des sanctions au niveau de la CEDEAO comme dans toute autre organisation internationale ne vise pas la population directement. La sanction est dominée par le souci de mettre de la pression sur les autorités gouvernementales pour ramener l’Etat fautif, dans le giron communautaire. En d’autres termes ces types de sanctions visent à développer l’esprit de coopération entre les organes de la communauté et l’Etat visé. Dès que l’Etat concerné souhaite retrouvé ses droits au niveau des instances de la CEDEAO, il mettra fin à l’illégalité. Dans plusieurs situations, nous avons remarqué l’empressement avec lequel l’organisation communautaire a levé les sanctions une fois certaines conditions se trouvent être réunies.

Le développement de la sous région a été mis en berne dans la première décennie du 21ème siècle par les multiples crises, raison pour laquelle les États membres de la CEDEAO ont adopté le protocole additionnel de Dakar afin de garantir un climat politique et social stable, condition indispensable pour le développement de la région. Un retour en arrière ne peut être en aucun cas bénéfique pour la sous région, d’où la nécessité pour les États membres et les institutions de la CEDEAO de trouver une solution urgente à la résurrection de ces coups d’État.

 

Abdoul Kader Abou Koini

Doctorant en Droit PUBLIC/UGB