Interview : Tout sur le trafic de drogue au Niger !

« Depuis 2015, 75 à 80% des personnes interpellées pour fait de drogue ont un âge compris entre 18 et 39 ans », déclare le Directeur de l’OCRTIS

D’aucuns disent que le Niger est devenu une plaque tournante du trafic de drogue. Les récurrentes saisies de drogue effectuées par l’Office Central de Répression du Trafic Illicite des Stupéfiants (OCRTIS) confortent cette affirmation. Le 02 janvier dernier, le maire de Fachi a été pris par les limiers de l’OCRTIS avec 214, 635 kg de Cocaïne. Pour éclairer la lanterne de nos lecteurs, dans l’entretien qui suit accordé à Niger Inter Hebdo, le Directeur de l’OCRTIS, le contrôleur général de police Aboubacar Issaka Oumarou renseigne sur le statut de l’OCRTIS, le réseau auquel appartient le maire de Fachi et l’itinéraire de la drogue, les différentes catégories de drogue saisies, le lien dialectique entre le trafic de drogue et le terrorisme et l’ampleur du phénomène de drogue et ses conséquences sur la jeunesse nigérienne.

Niger Inter Hebdo : Peut-on avoir une idée sur les saisies de drogue et autres stupéfiants effectuées par l’OCRTIS en 2021 ?

Général Aboubacar Issaka Oumarou : Avant de répondre à cette question, permettez-moi de présenter très brièvement l’Office Central de Répression du Trafic Illicite des Stupéfiants (OCRTIS).

En effet, l’OCRTIS est prévu par l’Ordonnance 99-42 du 23 septembre 1999 relative à la lutte contre la drogue au Niger.

Mais c’est en 2015 que les autorités nationales ont donné un coup de pouce à la lutte contre la drogue à travers le décret 2015-295/PRN/MISPD/AC/R du 05 juin 2015 déterminant l’organisation, le fonctionnement et les missions de l’OCRTIS dans le cadre de la lutte contre la drogue, les précurseurs et la contrefaçon des produits pharmaceutiques sur l’ensemble du territoire national.

L’OCRTIS est un service mixte rattaché au cabinet du Directeur Général de la Police Nationale. Il emploie des agents de la Police Nationale, de la Garde Nationale du Niger, de la Douane et de la Gendarmerie Nationale.

Il a des antennes dans toutes les régions du Niger ainsi que dans plusieurs départements et sur les postes frontaliers. Il a une Cellule Aéroportuaire Anti-Trafics (CAAT) à l’aéroport International Diori Hamani de Niamey et un détachement dans les gares modernes de transport voyageurs ainsi que dans certains services publics à Niamey. Une deuxième cellule aéroportuaire anti-trafic ouvrira au mois de mars prochain à l’aéroport international Mano Dayak d’Agadez grâce à l’appui de l’ONUDC. Ce qui fera du Niger le troisième pays en Afrique à être doté de deux CAAT après le Cameroun et le Nigeria.

Pour revenir à votre question, au cours de l’année 2021, L’OCRTIS a effectué sur l’ensemble du territoire national, d’importantes saisies de drogues, de produits pharmaceutiques, de devises ainsi que de plusieurs biens en espèce et en nature en lien avec le trafic de drogue. L’OCRTIS a également saisi d’énormes quantités de biens et d’objets dans le cadre de la lutte contre la criminalité faunique et celle des biens culturels.

S’agissant particulièrement de la drogue, en attendant la sortie du rapport annuel d’activités de l’OCRTIS, on peut retenir les données ci-après qui constituent des saisies en fonction de la nature de drogue. Ainsi, ont été saisis :

  • 16,803 tonnes de résine de cannabis
  • 4,537 tonnes d’herbe de cannabis
  • 776.638 comprimés de tramadol
  • 580 comprimés de diazépam
  • 1,215kg de cocaïne
  • 174 comprimés d’exol
  • 2,776 kg de crack
  • 756 comprimés d’amphétamine.

Ces différentes saisies ont permis d’interpeller 3.118 personnes dont 189 de nationalité étrangère.

On peut retenir de l’ensemble de ces statistiques, les saisies majeures ci-après ainsi que celle du début de l’année en cours:

  • 2,5 tonnes de résine de cannabis en juin 2018 ;
  • 17 tonnes de résine de cannabis le 02 mars 2021 ;
  • 214, 635 kgs de cocaïne pure le 02 janvier 2022.

 

Niger Inter Hebdo : Quels sont les stupéfiants les plus fréquemment saisis par vos services ?

Général Aboubacar Issaka Oumarou : La particularité du Niger est qu’il est à la fois un pays de transit et aujourd’hui un pays de consommation de drogue. Ainsi, les drogues en transit que nous saisissons fréquemment sont la résine et l’herbe de cannabis, la cocaïne, la métamphétamine etc.

Celles destinées à la consommation locale que nous saisissons sont l’herbe de cannabis, le diazépam et le crack pour ce qui est des grandes villes comme Niamey, Agadez, Zinder et Maradi.

Nous saisissons également du tramadol qui est à la fois destiné à la consommation locale et à l’exportation vers certains pays du Maghreb.

 

Niger Inter Hebdo : Vous venez de prendre le Maire de Fachi avec plus de 214kg de cocaïne. Comment avez-vous réalisé cette prouesse ?

Général Aboubacar Issaka Oumarou : Ce travail est le résultat de plusieurs semaines de surveillance et d’investigations basées sur des informations solides. Mais, cette saisie comme les précédentes traduit surtout la volonté des plus hautes autorités du pays à combattre avec vigueur la criminalité organisée, qu’elle soit locale ou transnationale. Aucun criminel n’est épargné. L’arrestation du Maire de Fachi trouvé en possession de cette importante quantité de cocaïne ne devrait donc pas étonner. Un signal fort a déjà été donné avec l’interpellation récente au Niger d’importantes figures du trafic de drogue au sahel, d’agents publics et d’autres individus appartenant à toutes les couches sociales du pays.

Pour le reste, le dossier que nous avons transmis à la justice le 06 janvier dernier est déjà en instruction. C’est pourquoi je m’abstiens de le commenter.

Niger Inter Hebdo : Peut-on avoir des précisions sur les contours de ce réseau et l’itinéraire de la drogue ?

Général Aboubacar Issaka Oumarou : Le réseau auquel appartient le Maire de Fachi est transnational. En raison de la complexité de ses activités qui s’organisent sur plusieurs pays, ce réseau pourrait intéresser des acteurs mondiaux de la lutte contre le blanchiment de capitaux, du terrorisme et de la drogue. C’est pourquoi, il pourrait être envisagé dans les prochains jours de faire appel à un partenaire essentiel dans la lutte contre la grande criminalité afin de tracer l’itinéraire de la drogue, d’établir les implications et d’arrêter les fugitifs.

Niger Inter Hebdo : D’aucuns s’inquiètent sur la suite à donner à cette affaire et bien d’autres où des personnalités politiques sont impliquées. Avez-vous une réponse à cette inquiétude des citoyens ?

Général Aboubacar Issaka Oumarou : Conformément au décret cité plus haut, notre mission est de centraliser les informations tendant à la répression du trafic illicite des stupéfiants. Ces informations sont communiquées à la justice pour la suite de la procédure. La volonté affirmée des autorités nationales dans la lutte contre le trafic de drogue au Niger traduite par des actions concrètes et les propos du Procureur de la République tenus le 06 janvier 2022 lors de la présentation à la presse de la cocaïne saisie, où il affirme je cite « Nous allons appliquer la loi sans faiblesse », doivent rassurer les nigériens. Nous devons faire confiance en notre justice.

Les fondamentaux de la lutte contre la drogue, source essentielle du financement du terrorisme au sahel sont solides au Niger, même s’ils doivent être renforcés. Aucun acteur de ce combat que mène le Niger ne doit contribuer à leur affaiblissement.

Niger Inter Hebdo : La lutte contre la drogue nécessite des moyens matériels et financiers. L’OCRTIS a-t-il le soutien nécessaire de l’Etat pour accomplir ses missions ?

Général Aboubacar Issaka Oumarou : Devant la poussée de la menace terroriste dont la drogue est la base architecturale, le Niger a renforcé son arsenal législatif et institutionnel par :

  • La mise en place d’un cadre juridique de lutte contre le terrorisme (ordonnance N0 2011-12 du 27 janvier 2011) ;
  • La création de l’Office Central de Répression du Trafic Illicite des Stupéfiants (OCRTIS) par le décret numéro 2015-295/PRN/MISPD/AC/R du 05 juin 2015 ;
  • La création d’un service central de lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale organisée (SCLCT/CTO) ;
  • La création d’un pôle judiciaire spécialisé en matière de lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale organisée.

Comme vous l’avez dit, la lutte contre la drogue nécessite beaucoup de moyens financiers et matériels. Conscient de cela, l’Etat du Niger a mis en place un budget autonome de fonctionnement à l’OCRTIS en 2015, date de sa création. Ces ressources financières quoiqu’insuffisantes au regard de l’ampleur de la menace ont permis à l’office d’accroitre de manière substantielle ses saisies.

La première grande saisie de drogue au Niger est intervenue en 2018 avec la capture de 2,5 tonnes de résine de cannabis et d’un important groupe de trafiquants issus de diverses nationalités. Le Président de la République qui était en ce moment Ministre de l’intérieur, de la Sécurité publique, de la Décentralisation et des Affaires Coutumières et Religieuses endossait la robe de leader de la lutte contre les grands trafics dont celui et surtout de la drogue. Il dirigeait lui-même les briefings et débriefings à l’occasion de certaines grandes opérations et s’impliquait personnellement dans les procédures d’extradition de personnes fugitives. Conformément à la pratique dans tous les pays du monde, les hommes et femmes de l’OCRTIS qui avaient opéré cette première grande saisie ont été récompensés par une promotion exceptionnelle. En plus, il avait accordé aux agents de l’OCRTIS des indemnités spéciales liées aux risques encourus.

Il faut noter que les saisies de drogue, en fonction de leur importance et de leur valeur financière donnent lieu dans beaucoup de pays du monde à des récompenses attribuées par l’Etat à ses agents à l’origine de ces saisies. C’est ce qui s’est passé en 2018.

En marge de ce soutien de l’Etat, l’OCRTIS bénéficie également du soutien de ses partenaires auxquels je réitère mes sincères remerciements au nom de la hiérarchie.

Niger Inter Hebdo : La jeunesse nigérienne est de plus en plus exposée à l’usage des stupéfiants. Quelle est l’ampleur de la consommation des stupéfiants par les jeunes au Niger ?

Général Aboubacar Issaka Oumarou : La population nigérienne est majoritairement jeune. Malheureusement, les jeunes constituent la frange la plus exposée au phénomène de drogue.

A titre illustratif, depuis 2015, 75 à 80% des personnes interpellées pour fait de drogue ont un âge compris entre 18 et 39 ans.

Niger Inter Hebdo : Quel est votre message pour les parents et la société en général pour lutter efficacement contre l’usage des stupéfiants par les jeunes ?

Général Aboubacar Issaka Oumarou : Au regard des proportions inquiétantes que prend le trafic de drogue dans notre pays, il est impératif que les parents prennent leurs responsabilités dans l’éducation et le suivi quotidien de leurs enfants. On assiste malheureusement à une démission des parents dans l’accomplissement de ce devoir. Le plus souvent lorsqu’ils interviennent dans les cas où leurs enfants sont en proie à la drogue, la situation de ces derniers est quasi irréversible et nécessite une grosse prise en charge médicale. Malheureusement, nous n’avons pas de structures spécialisées dans la prise en charge des addictions.

Niger Inter Hebdo : Dans ce contexte d’insécurité, les terroristes s’alimentent de cette économie criminelle pour se procurer les armes et les moyens logistiques. Quel est votre appel à l’endroit des nigériens ?

Général Aboubacar Issaka Oumarou : Avant de terminer, je voudrais saluer le soutien des autorités au plus haut niveau qui ne ménagent aucun effort pour faire de la lutte contre la drogue une priorité sur le plan sécuritaire.

Comme vous l’avez dit, on a toujours établi un lien étroit entre le trafic de drogue et le terrorisme, le premier étant un support au second.

C’est pourquoi j’appelle les nigériens à plus de collaboration car l’efficacité d’une unité d’enquête dépend largement de la multiplication et de la qualité de ses sources d’information.

Interview réalisée par Elh. M. Souleymane et Abdoul Aziz Moussa