« Nous avons besoin de la possibilité d’accès à des ressources financières qui ne passent pas par le canaux des contraintes, en tout cas de la camisole de force qui existe pour le moment dans nos relations avec les institutions financières internationales (NDLR : FMI, Banque Mondiale) qui nous fait notamment obligation de ne pas dépasser un déficit budgétaire au-delà de 3%, etc. (…) », disait en substance le Président de la République, S.E Bazoum Mohamed, à l’occasion du débat intitulé « Insécurité au Sahel: trois chefs d’État africains et le président de la Commission de l’UA » organisé le 10 décembre 2021 par Alain Foka et diffusé sur RFI, en marge de la « 7ème édition du Forum international de Dakar pour la paix et la sécurité en Afrique » qui s’est déroulé au Sénégal. Bien que passée quasi inaperçue, cette phrase traduit en partie l’impuissance, voire l’exaspération du Chef de l’Etat sur les règles budgétaires en vigueur et qui limitent par ailleurs les marges de manœuvre des Etats en matière de politiques budgétaires.
Des critères définis pour favoriser la convergence des économies de la zone UEMOA
La convergence des économies peut revêtir plusieurs formes dont les principales sont : la convergence nominale, la convergence réelle et la convergence structurelle. La convergence nominale est définie comme étant le processus de rapprochement dans le temps des variables nominales indicatives de la stabilité macroéconomique : les taux d’inflation, les ratios de dette ou de déficit publics par rapport au produit intérieur brut, les taux d’intérêt, etc. Il y a également une convergence nominale lorsque ces variables tendent vers une valeur de référence.
La convergence réelle est la relative amélioration des niveaux de vie au sein d’un groupe de pays. Elle y établit une homogénéisation des conditions de vie qui entraîne une « cohésion économique et sociale’’. De manière pratique, elle se traduit par la réduction de la dispersion des niveaux de revenu par tête de ces pays, au cours du temps.
La convergence structurelle est l’homogénéisation des conditions de production. Elle se réfère spécifiquement aux comportements et mécanismes économiques eux-mêmes et requiert pour son analyse, des informations relatives à la productivité, au taux de chômage, à la compétitivité, à la technologie, etc. (Notes d’Information et Statistiques N° 531 décembre 2002).
Selon l’économiste Daniel Ouedraogo, la baisse de la production et la dégradation des conditions de vie des populations induites par la baisse des cours internationaux des matières premières, principales sources des recettes d’exportations, durant les années 1980, ont conduit à la coordination des politiques économiques en Afrique de l’ouest à travers la naissance de l’UEMOA en 1994 (l’UEMOA est née le 10 janvier 1994 et est composée du Bénin, du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire, du Mali, du Niger, du Sénégal, du Togo et de la Guinée Bissau qui a rejoint l’union en 1997). En 1999, un acte additionnel au traité de l’UEMOA, portant sur la convergence des États membres a été adopté. Il s’agit du Pacte de Convergence, de Stabilité, de Croissance et de Solidarité (PCSC). En janvier 2015, l’acte additionnel No 1/2015/CCEG/UEMOA instituant le nouveau pacte de convergence entre les États membres de l’UEMOA a été adopté en remplacement du pacte adopté en 1999. L’ancien pacte instaurait quatre critères de convergence nominale de premier rang qui devaient être respectés et quatre critères de second rang dont l’objet était de concourir au diagnostic de la situation macroéconomique. Il s’agissait pour les critères de premier rang i) d’un solde budgétaire de base nul ou positif, ii) d’un taux d’inflation annuel moyen au plus égal à 3 %, iii) d’un ratio de la dette publique au PIB au plus égal à 70 % et iv) de l’obligation de ne pas accumuler d’arriérés de paiement. Quant aux critères de second rang, ils portaient sur les ratios i) de la masse salariale sur les recettes fiscales (norme ≤ 35 %), ii) des investissements financés sur ressources intérieures par rapport aux recettes fiscales (norme ≥ 20 %), iii) du solde extérieur courant hors dons sur le PIB nominal (norme ≥ -5 %) et iv) des recettes fiscales rapportées au PIB nominal (norme ≥ 17 %).
Pour les nouveaux critères, le nombre a été réduit à cinq (trois de premier rang et deux de second rang) et l’horizon de convergence est fixé à 2019. Les trois nouveaux critères de premier rang sont entre autres i) le ratio du solde budgétaire global, dons compris, rapporté au PIB nominal ≥ -3 %, ii) le taux d’inflation annuel moyen ≤ 3 % et iii) le ratio de l’encours de la dette intérieure et extérieure rapporté au PIB nominal ≤ 70 %. Les deux nouveaux critères de second rang sont relatifs aux ratios de la masse salariale sur les recettes fiscales ≤ 35 % et des recettes fiscales sur le PIB nominal ≥ 20 %.
Des règles budgétaires très, voire trop contraignantes
Si le fait d’appartenir à une union monétaire, qui doit être constituée par des pays ayant des bases économiques et financières saines et solides pour fonctionner correctement, commande d’instaurer des critères pour favoriser la convergence des économies des pays membres, il n’en demeure pas moins que ces critères ne doivent pas être très, voire trop contraignants au point de limiter leur croissance potentielle. Diverses études ont mis en évidence que le retard que connaissent les pays de la zone UEMOA par rapport à certains pays anglophones dans de nombreux domaines serait imputable à l’insuffisance des investissements publics notamment. Preuve encore que ces critères soient contraignants, ils ont été enfreints à plusieurs reprises depuis leur instauration en 1999. Le bilan reste très mitigé, voire décevant. En effet, de 2000 à 2010, le nombre de pays ayant respecté en même temps l’ensemble des critères de premier rang n’a presque jamais dépassé deux. Pour les années 2011, 2012 et 2013, il n’y a qu’un seul pays sur huit qui est arrivé à respecter les quatre critères de premier rang en même temps (rapport 2014 de la surveillance multilatérale de la Commission de l’UEMOA). En 2019, à l’exception de la Guinée-Bissau et du Sénégal, tous les autres Etats membres respecteraient l’ensemble des critères de convergence de premier rang contre aucun en 2018. Le non-respect par bon nombre de pays interroge quant à leur légitimité et leur crédibilité.
Les crises comme moments de vérité
Au sein de l’UEMOA, à titre de rappel, la coordination des politiques monétaires et budgétaires est régulée par le trio : Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), États membres de l’union et Commission de l’UEMOA. La politique monétaire est sous l’autorité de la BCEAO et les politiques budgétaires relèvent des huit États de l’union. Cependant, la Commission de l’UEMOA est une instance de coordination des politiques budgétaires et son rôle consiste à optimiser l’instrument budgétaire des États sous contrainte des orientations de la politique monétaire de la BCEAO (Nubukpo, 2012).
Faute d’avoir une banque centrale qui joue pleinement son rôle – le fait de mener notamment une politique monétaire favorisant une meilleure croissance économique à travers les crédits à l’économie -, les économies de la zone UEMOA souffrent malheureusement d’un sous-financement chronique et se caractérisent par un rationnement des crédits. Ce, malgré qu’elles éprouvent de besoins de financement colossaux. Et les crises multidimensionnelles que connaissent les pays de la zone : système éducatif déliquescent, système sanitaire défaillant, détérioration de la situation sécuritaire…, semblent « émouvoir » peu la BCEAO. Toutefois, la récente crise sanitaire a fait évoluer la position de cette dernière. En effet, face à l’impact négatif que la crise pourrait avoir sur le système bancaire et le financement de l’activité économique dans l’Union, la Banque Centrale a décidé, entre autres, « d’augmenter les ressources mises à la disposition des banques, afin de permettre à celles-ci de maintenir et d’accroître le financement de l’économie ». A cela s’est ajoutée la suspension du Pacte de convergence, de stabilité, de croissance et de solidarité de l’UEMOA le lundi 27 avril 2020 pour permettre aux Etats de la zone de faire face à la crise due au coronavirus. Des avancées certes importantes, mais qui témoignent de la nécessité absolue de changer les règles actuelles pour donner plus de souplesses aux pays membres.
La nécessité d’adopter des règles plus souples
Paul Krugman, Prix Nobel d’économie en 2008, a qualifié le Pacte de Stabilité européen de « Pacte de stupidité » par qu’il estimait que ses règles mettaient une contrainte trop forte sur l’activité économique et en particulier sur les investissements. Une critique aussi valable pour le pacte de convergence de l’UEMOA en raison de son impact très négatif sur la croissance potentielle de la zone. Dans un contexte où la crise du Covid-19 a déjà conduit à la suspension de ces règles, à une action budgétaire commune qui était auparavant impensable et la question sécuritaire qui devient de plus en plus préoccupante, il ne faut pas laisser passer l’occasion de repenser fondamentalement le cadre budgétaire de l’UEMOA. Il est temps de remettre en question les principes du cadre lui-même. S’il y a un consensus général pour simplifier les règles budgétaires, l’un des véritables enjeux des années à venir consistera donc à bâtir un cadre budgétaire et financier crédible, simplifié, transparent, capable de contribuer à faire de l’UEMOA plus compétitives, plus performante, plus prospère, plus forte, plus résiliente, plus juste et plus durable. Pour ce faire, il va falloir trouver de nouvelles règles ou mécanismes à la fois crédibles et réalistes, en prenant en compte les besoins d’investissements des Etats. Chose que semblent prendre conscience les autorités de l’institution avec les réformes en cours. Toute la question est de savoir si ces dernières vont faire émerger de nouvelles règles ou approches ambitieuses devant permettre à l’UEMOA de mieux faire face aux défis / enjeux actuels et futurs. L’avenir nous le dira.
Adamou Louché Ibrahim
Economiste
@ibrahimlouche
Niger Inter Hebdo N°50