Moins d’un mois après un passage de témoin bien réussi, l’ex-Président de la République du Niger s’est prêté aux questions de nos confrères de l’Opinion. Le Président Issoufou, après deux mandats consécutifs à la tête de notre pays, mandats au cours desquels il a fait montre d’un leadership exceptionnel, a cédé sa place à Mohamed Bazoum, le nouveau Président de la République démocratiquement élu. Par cet acte plein de symboles, il a été salué de partout et a obtenu des distinctions honorifiques nombreuses et des distinctions multiples parmi lesquelles, le très prestigieux Prix de la Fondation Mo Ibrahim.
Le geste du Président Issoufou est une première au Niger, voire même au niveau de nombreux Etats africains. En Afrique, il faut le dire, de nombreux Chefs d’Etat se cramponnent au pouvoir pendant des décennies et ne le quittent que par la force ou quand la mort les surprend.
Le départ du Président Issoufou s’explique par une profonde conviction qu’il a commencé à nourrir dès l’aube des années 1980 et qui s’est renforcée par un concours de circonstances : sa rencontre, vieille de trente ans, avec Mohamed Bazoum, un chargé d’enseignement en poste à Maradi.
«Je l’ai rencontré la première fois le 1er août 1990, explique-t-il, dans une maison du quartier Nouveau Marché à Niamey après avoir eu des contacts indirects, via nos camarades, depuis 1986. J’étais à l’époque à la tête de la Société des Mines de l’Aïr (Somaïr). Lui était jeune professeur de philosophie à Maradi. C’était l’époque des partis uniques. Nous avions un projet marxiste révolutionnaire qui n’avait rien de démocratique. Nous l’avons abandonné à l’avènement du multipartisme, après le discours de La Baule de François Mitterrand et la Conférence nationale du Bénin. Le lendemain de cette première rencontre, nous nous sommes revus et avons décidé de fusionner nos deux groupes clandestins, d’écrire le manifeste du futur parti et de préparer son assemblée générale fondatrice. Elle s’est tenue le 23 décembre 1990 et je suis devenu le premier secrétaire exécutif provisoire ».
Le combat du Président Issoufou remonte au début des années 1980. Quant à celui de Mohamed Bazoum, il débuta quand il composa son propre groupe clandestin, trois ans plus tard. C’est de la fusion des deux groupes qu’est né le PNDS Tarayya, un parti fondé « autour des valeurs fondatrices, non pas sur une base ethnique, communautariste ou régionaliste », précise-t-il.
De ce qui précède, l’on comprend aisément que, contrairement à bien d’autres formations politiques créées à l’avènement de la démocratie, le parti politique né de leur rencontre, le PNDS Tarayya, s’est fondé autour d’une vision globale du Niger en tant qu’entité unique, indépendante et indivisible.
Il faut souligner que le Président Issoufou est ce type d’homme forgé à partir d’une certaine discipline qui, certainement, lui a servi de lanterne jusqu’à la concrétisation de ses objectifs : être Président de la République.
« Mon comportement est lié à mes convictions, explique-t-il. L’Afrique n’a pas besoin d’homme providentiel. Elle n’a ni besoin de dictature ni d’anarchie. La meilleure façon d’éviter ces écueils est d’avoir des institutions fortes et non pas des hommes forts, comme l’a expliqué Barack Obama ».
Il n’est pas de ces hommes d’Etat africains qui parviennent au pouvoir sans avoir de projet de développement concret pour leur pays.
Pourtant, sans un programme de développement bien élaboré, ces derniers, une fois en place sur le fauteuil présidentiel, auront du mal à faire fonctionner les institutions démocratiques qui leur obéissent.
Sans le dépassement du tribalisme, du régionalisme, de l’ethnocentrisme, voire même du racisme, ils ne pourront point gouverner de manière optimale, leur pays ne connaîtra que des soubresauts et des déchirures de toutes sortes.
Le Président Issoufou demeure convaincu que les « institutions démocratiques doivent fonctionner quel que soit le dirigeant à leur tête ».
L’arrivée de Mohamed Bazoum, son successeur, au pouvoir répond à cet autre objectif qui est le sien, celui de « la modernisation de la politique et sa détribalisation ». Pour l’ex-Président de la République, il arrive souvent que « les hommes politiques africains tombent dans le piège, en instrumentalisant leur communauté. Au moment des élections, cela donne lieu à des affrontements intercommunautaires. Il faut en sortir comme nous sommes en train de le faire au Niger. Le nouveau Président appartient à une minorité arabe. C’est un message fort envoyé aux autres peuples d’Afrique ».
La vision du Lauréat du Prix Mo ibrahim est globale, elle embrasse le Niger comme un tout hermétique et non une association disparate de tribus, d’ethnies ou de régions. C’est pourquoi il conseille à toutes les générations qui ont des ambitions politiques d’envergure de comprendre qu’un « projet présidentiel doit être érigé sur un socle de valeurs, dans le sens de l’intérêt général ».
Et cette vision de la politique comme ambition présidentielle est la sienne, celle de son parti, en même temps celle du Président Bazoum.
L’alternance qui s’est réalisée au Niger et dont il est en grande partie l’initiateur, le chantre, il la souhaite à tout les pays d’Afrique. « J’espère que cette alternance va réussir et fera tache d’huile en Afrique. Car si ce modèle échoue, les vieux modèles persisteront ».
Grâce à cette interview accordée au journal Opinion, l’on apprend, par ailleurs, que des chefs d’Etat lui ont conseillé de rester au pouvoir. Il a rappelé à cette occasion que « des partisans m’ont aussi demandé de faire un troisième mandat en organisant des manifestations. Ils ont été interpellés par la police ».
Il faut aussi souligner cette toute autre révélation qui nous enseigne que Mohamed Bazoum n’a jamais demandé ni exigé de postes au Président Issoufou, « je n’ai pas le souvenir d’une quelconque anicroche », explique-t-il car, d’après lui, « nous partageons les mêmes convictions, les mêmes valeurs, la même vision ».
Qualitativement, selon l’ex-Président de la République, « Mohamed Bazoum est un homme de convictions. Il est intègre, courageux et fidèle en amitié. C’est un patriote qui aime son pays. Il est déterminé à se mettre au service de son peuple. Il porte aussi un projet panafricaniste ».
Tant mieux, alors, pour notre pays que d’avoir à sa tête un homme avec tant de qualités comme le Président Mohamed Bazoum.
Bassirou Baki Edir