« J’invite mes compatriotes à élever le niveau du débat politique pour le porter sur les programmes politiques ou les projets de société », déclare Issoufou Sidibé.
Niger Inter hebdo : Vous êtes acteur de la société civile, ancien leader de la Confédération démocratique des travailleurs du Niger (CDTN). A ce titre, vous êtes un grand témoin du processus démocratique nigérien. Quelle est votre impression sur l’état des lieux de la démocratie au Niger ?
Sidibé Issoufou : Je vous remercie sincèrement de m’avoir donné l’opportunité de me prononcer sur le processus démocratique dans notre pays et particulièrement sur l’état des lieux.
Il faut d’abord rappeler que l’instauration de la démocratie dans notre pays s’est faite à l’image de l’acquisition de l’indépendance de certains pays à travers le monde c’est-à-dire, après de longues luttes et de multiples sacrifices consentis par le peuple Nigérien. Pour simple preuve, le Niger a connu cinq (5) Républiques de la conférence nationale à ce jour. Des Républiques ponctuées de coups d’Etat, de mutineries et même d’assassinat d’un Président de la République. En un mot, le processus démocratique au Niger a été une vraie école pour les Nigériens et même pour les observateurs de l’extérieur. Je vous signale au passage, que le Niger est l’un des rares pays de la sous-région à avoir expérimenté un régime de cohabitation politique, au moment où beaucoup de pays Africains cherchaient leurs marques dans les systèmes politiques classiques. Je pense sincèrement que c’est cette longue marche de notre processus démocratique avec ses hauts et ses bas qui nous vaut ce label de « laboratoire de la démocratie » selon certains observateurs extérieurs.
C’est aussi cette riche expérience qui nous a permis d’atteindre le stade actuel que beaucoup de pays admirent ou même envient. C’est peut-être l’occasion de rappeler opportunément ici, que c’est la première fois dans l’histoire démocratique au Niger que nous allons assister à un passage de témoin de gouvernance d’un Président démocratiquement élu, à un autre démocratiquement élu. Ceci n’est point une prouesse dans plusieurs pays certes, mais au Niger c’est une grande première qui va s’inscrire dans les annales de l’histoire.
En gros, je pense qu’une bonne autopsie de notre démocratie nous permet de la déclarer très vivace, ce qui est un réel motif de satisfaction.
Niger Inter Hebdo : D’aucuns disent que le Niger est un laboratoire de la démocratie. Comment expliquez-vous le fait qu’on est tombé aujourd’hui aussi bas avec le débat honteux sur la nationalité de Mohamed Bazoum, qui a focalisé la période de la campagne électorale et même bien avant ?
Sidibé Issoufou: Je pense qu’il faut relativiser les choses. Le président Bazoum n’est pas le premier leader politique qui a été concerné par ce genre de débat. Rappelez-vous que le premier leader politique pris sous cet angle, fut le président Tandja Mamadou (paix à son âme) lors de la conférence nationale et même au cours de la campagne électorale des premières consultations démocratiques en 1992, quand certains de ses adversaires politiques le traitait de Mauritanien. Ce fut ensuite le tour du président Mahamane Ousmane que ses adversaires politiques donnaient pour un Tchadien. Même le président Issoufou Mahamadou n’a pas échappé à cette hérésie des adversaires politiques qui lui donnaient des origines Burkinabé. Aujourd’hui c’est au tour du président Bazoum de connaitre le même traitement. Donc pour beaucoup de nigériens, ils savent que c’est un refrain qui revient à chaque fois que des adversaires politiques estiment à tort ou à raison qu’un homme politique est menaçant pour eux dans une compétition électorale ou même dans sa gouvernance. Du reste, tout ceci ne les empêche pas de se retrouver après les compétitions pour des compositions ou recompositions d’alliance pour gouverner ou pour s’opposer. Donc personnellement, je considère ce débat comme une tempête dans un verre d’eau. Cependant, j’invite mes compatriotes à élever le niveau du débat politique pour le porter sur les programmes politiques ou les projets de société dont les uns et les autres sont porteurs. C’est à cette seule condition à mon avis que nous pouvons enrichir le débat démocratique et renforcer notre culture démocratique.
Niger Inter Hebdo : En tant que leader de la Convergence citoyenne pour la démocratie et la République (CCDR), vous venez de rendre publique une déclaration sur le déroulement du processus électoral et la démocratie dans notre pays. Pourquoi cette déclaration et que voulez-vous en substance dire aux Nigériens ?
Sidibé Issoufou : Effectivement, nous avions rendu publique une déclaration la semaine dernière pour apprécier d’abord le processus électoral en cours dans notre pays, sur la base des différents rapports préliminaires transmis par nos différentes organisations engagées dans l’observation de ces élections. Ensuite il était de notre devoir de tirer la sonnette d’alarme, en tant que défenseurs de la démocratie quant à certaines velléités perceptibles de certains acteurs politiques et leurs corolaires associatifs qui tentaient de décrédibiliser la CENI et même de tourner en dérision tout le processus électoral, alors même que la CENI avait à peine commencé à diffuser les premiers résultats. En fait, il s’agissait pour nous de mettre en garde ces individus qui prenaient sans doute ces consultations électorales comme une simple foire d’empoigne, oubliant tout le sacrifice consenti par notre peuple pour en arriver là. Dans tous les cas, il me semble que le message avait été bien perçu par les uns et les autres et tous ont bien compris que notre cadre démocratique dispose des soldats prêts à le défendre et c’est tant mieux.
Niger Inter Hebdo : Le Président Issoufou est en passe de transmettre le pouvoir à un autre président démocratiquement élu comme vous l’avez souligné dans votre déclaration. Quelle est votre appréciation du bilan du président Issoufou après ses 10 ans aux commandes du Niger ?
Sidibé Issoufou : Je pense que le bilan du président Issoufou se passe de tout commentaire comme dirait l’autre. Il serait fastidieux d’apprécier le bilan des dix années de sa gestion et de sa gouvernance au bout de ces lignes. Cependant, nous pouvons observer ensemble la notoriété que notre pays a connue au plan mondial sous sa conduite, l’amélioration des conditions de vie des masses laborieuses à travers les multiples actions de développement en direction surtout des masses rurales ; notamment dans les secteurs sociaux de base. Il faut aussi reconnaitre que le président Issoufou a beaucoup œuvré durant ses dix ans de mandat pour le renforcement du cadre démocratique, à travers l’installation et le fonctionnement régulier de toutes les institutions démocratiques. La liberté d’expression des citoyens à tous les niveaux est palpable aujourd’hui. Cependant, comme toute œuvre humaine il y’a eu quand même des insuffisances, notamment dans la lutte contre la corruption et les infractions assimilées malgré l’existence d’une institution dans ce domaine.
Niger Inter Hebdo : Récemment au Burkina Faso, à l’investiture du président Rock Mark Christian Kaboré, le président Issoufou a fait l’objet d’un ‘’standing ovation’’ et par ricochet c’est la démocratie nigérienne qui était à l’honneur. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué sur le leadership du président Issoufou pendant ses 10 ans au sommet de l’Etat ?
Sidibé Issoufou : Oui, vous savez le peuple Burkinabé fait partie des plus grands admirateurs du président Issoufou et de la démocratie au Niger. Rappelez-vous des prises de positions de notre président sur la situation politique au Burkina suite à l’irruption de l’armée sur la scène après le renversement du régime du président BLAISE Compaoré. Rappelez-vous également de la même ovation que le Général Salou Djibo avait connu dans ce même pays pour avoir mis fin au régime anti démocratique et constitutionnel de tazartché à l’époque. Donc c’est en quelque sorte notre attachement aux valeurs démocratiques qui nous vaut cette admiration grandissante dans la quasi-totalité des pays de la sous-région et même au-delà dans le monde entier.
Concernant le leadership du président ISSOUFOU, il faut reconnaître sincèrement que depuis les présidents Diori Hamani et Seyni Kountché (paix à leurs âmes ) le Niger n’a connu autant de présences remarquables et d’offensive diplomatique sur la scène mondiale que durant ces dix années de gouvernance du président Issoufou. Certes qu’au début de son mandat, beaucoup de nos compatriotes comprenaient mal ou concevaient mal les multiples et réguliers déplacements du chef de l’Etat. Ceci est sans nul doute, dû au fait que les Nigériens avaient perdu l’habitude de voir un président aussi assidu et régulier sur la scène internationale. Mais aujourd’hui les résultats sont là, on ne nous confond plus à notre voisin du sud, beaucoup de nos compatriotes ont intégré les institutions internationales dans les quatre coins du monde, une carte diplomatique suffisamment élargie, la confiance des partenaires au développement retrouvée, d’où le financement par eux de plusieurs projets de développement dans notre pays.
Niger Inter Hebdo : La CENI vient de proclamer les résultats provisoires des élections législatives et présidentielles, un deuxième tour aura lieu le 21 février 2021. Quelle est votre analyse pour les prochaines alliances politiques pour ce deuxième tour ?
Issoufou Sidibé : C’est vraiment le lieu pour nous de réitérer ici toutes nos félicitations et nos encouragements à l’endroit de la CENI et tous ses démembrements pour avoir organiser de manière satisfaisante cinq (5) scrutins en un temps record. Les résultats de ces consultations prévoient un deuxième tour comme à l’accoutumée dans notre pays. Les états-majors des partis politiques sont donc en pleine réflexion pour trouver la combinaison gagnante à travers les alliances que les uns et les autres vont sceller. Vous observerez que dans cette dynamique, toutes les joutes oratoires que nous avions connues lors de la première campagne, feront place à de nouveaux discours et c’est tout cela à mon avis qui fait le charme de notre démocratie. Maintenant concernant la nature de ces alliances et les conditions qui les soutiendraient, je ne saurais m’y prononcer car le jeu politique à ce stade est très délicat et on ne peut que souhaiter une clairvoyance de nos leaders politiques pour mettre en avant les seuls intérêts du Niger et la stabilité de ses institutions.
Niger Inter Hebdo : Si vous avez un appel à la classe politique nigérienne au sortir de ces élections générales ce serait lequel ?
Sidibé Issoufou : Vous savez, dans tous les discours politiques les gens parlent du peuple souverain, des intérêts du Niger, de l’amélioration des conditions de vies des masses laborieuses et que sais-je encore ? Ils ont donc une autre occasion de donner un contenu à tous ces discours en décidant objectivement du sort de ce peuple et de ce pays le 21 Février prochain. Le seul appel qui vaille aujourd’hui à leur endroit, c’est qu’ils créent les mêmes conditions de sérénité et de discipline comme au premier tour du scrutin. Dans tous les cas au finish c’est le Niger qui gagne.
Interview réalisée par Elh. Mahamadou Souleymane