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La Condamnation du Meurtre de «Floyd » par les Anciens Chef d’Etats Africains et la Problématique de Coopération Sécuritaire USA-Afrique

Cela fait plus d’une semaine que les Etats-Unis sont engouffrés dans une cadence de protestations, de fois violentes, animées par un sentiment collectif de condamnation de la violence policière contre les minorités, notamment les noirs, malgré les efforts consentis pendant des décennies pour y pallier. En effet, le 25 mai dernier, un policier de la ville de Minneapolis dans l’état de Minnesota aux Etats-Unis a été accusé du meurtre de George Floyd, un homme de 46 ans. Cet acte exécrable a suscité des manifestations dès fois violentes et jalonnées d’actes criminels et de pillages des magasins et autres biens d’autrui et institutions qui n’ont rien à voir avec le crime.

Comme un feu de brousse, les médias et réseaux sociaux ont propagé la nouvelle. En réaction, des voix se sont levées dans tout le monde entier pour condamner ce meurtre. La déclaration des anciens chefs d’état et de gouvernement des pays africains a particulièrement attiré notre attention. Ils ont exigé que, «les auteurs du crime soient punis dans les termes les plus forts» comme l’a courageusement articulé l’ancien président béninois Nicéphore Soglo dans le communiqué du 3 juin auquel est ajouté l’extrait d’un tweet «#GeorgeFloyd #JusticeForGeorgeFloyd»[1] ou «Justice pour GeorgeFloyd» du Président du Ghana, Nana Addo.

[1] https://emedia.sn/LES-ANCIENS-CHEFS-D-ETAT-AFRICAINS-CONDAMNENT-LE-MEURTRE-DE-GEORGE-FLOYD.html

Sitôt, un constat se dégage de cette déclaration. En premier lieu, la perception globale de l’image cagneuse de la police américaine risque de teinter à tort ou  à raison la perception des forces de l’ordre et de la protection des droits individuels dans l’esprit des forces de l’ordre Africaines de même que la coopération sécuritaire entre les Etats-Unis et les pays du Sud.

Pour rappel, les Etats-Unis dépensent des milliards de dollars chaque année en équipement et formations militaire, sécuritaire et humanitaire en Afrique. C’est le cas au Burkina Faso, Ethiopie, Libéria, Mali, Mauritanie, Nigéria, Niger, Sénégal, Somalie, etc…où des coopérants et autres spécialistes en sécurité et développement œuvrent pour promouvoir le « Rule of Law» ou l’Etat de droit qui garantit l’égalité de tous les citoyens devant la loi ainsi que le caractère sacré de la personne humaine. Ces efforts sont soutenus par des organisations internationales pointues de renommée de défense de droit de l’Homme comme Amnesty International et Human Right Watch qui publient souvent des rapports qui incriminent des institutions étatiques africaines comme la Police, la Gendarmerie et l’Armée d’exactions et autres abus contre les populations civiles qu’elles sont censées protéger. Paradoxalement, le meurtre de M. Floyd expose le déficit de professionnalisme d’un faible pourcentage des policiers Américains. «Faible pourcentage» parce qu’il faut avoir le courage de le dire, la Police Américaine est en majorité très professionnelle et constitue un modèle d’une Police au service de la démocratie et protectrice des citoyens, leurs droits et biens.

En outre, la déclaration des anciens chefs d’État africains me semble symbolique et se limite à une condamnation de principe parce que, ni eux, ni les chefs d’état africains au pouvoir, ni leurs représentations diplomatiques ne peuvent influencer la politique intérieure des Etats-Unis, à plus forte raison, reformer son système judiciaire vue ses caractéristiques structurels et institutionnels. La Police Américaine est fortement décentralisée avec plus de 18.000 unités ou commissariats de police répandus au niveau local, régional et étatique dont certains avec seulement deux ou trois policiers. Et ces commissariats sont fortement influencés par la politique locale (moins par la politique fédérale) parce qu’ils sont financés par les contribuables et politiciens locaux.

Aussi, à peine, un Chef de Police arrive-t-il à exercer ses fonctions pendant quatre (4) ans sans être affecté ou limogé. Ce qui rend toute réforme pratiquement impossible. A cela s’ajoute le lot des procureurs et juges élus localement qui sont idéologiquement derrière des politiciens qui les « font » et « défont».

A l’échelle résiduelle, le meurtre de Floyd est arrivé presque deux ans après l’introduction d’un rapport de 200 pages par la Commission américaine des droits humains ou «the United States Commission on Civil Rights (USCCR)» exhortant l’Administration du Président Trump à exercer plus de contrôle sur les services de police locaux qui ont un record mitigé de droit de l’Homme et de liberté individuelle. En vue de cela, le journal Washington Post a rapporté dans un article du 15 novembre 2018, que USCCR a intimé l’ordre aux autorités fédérales de rétablir le bureau de police communautaire au sein du Ministère de la Justice qui était chargé des relations avec les communautés sous les administrations antérieures. En rédigeant le rapport, USCCR voudrait «étouffer» les efforts entrepris par l’ancien Ministre de la Justice, Jeff Sessions, pour limiter le contrôle du Gouvernement fédéral sur la police locale.[1] Ceci est une évolution positive, en particulier pour les minorités et leurs supporteurs blancs qui luttent depuis des années pour la réforme du régime d’auto-enquête policière. En effet, le code de procédure pénal qui régit la Police, donne plein droit à toute unité de Police d’investiguer ses propres policiers accusés d’abus. Et, rare sont les cas où des investigateurs externes à la Police sont commis.

Subséquemment, cet aspect du droit et de la procédure pénale a toujours suscité un tollé public aux États-Unis surtout quand les confrontations entre la Police et les citoyens se terminent par mort d’Homme. Bien que, l’usage de la force par la Police soit de fois justifié (cas de force majeure ou confrontations avec des bandes criminelles armées), les données sur la violence des policiers sur les citoyens suggèrent qu’il est urgent d’augmenter et de normaliser le recours à des procureurs spéciaux externes dans les enquêtes sur des cas suspects d’usage illégal ou démesuré de force. C’est en tout cas la principale recommandation du document de USCCR qui soutient que tous les états fédérés devraient mettre fin à la sombre pratique de l’auto-enquête policière dans les cas surtout d’homicides, et mettre en place des lois qui renvoient automatiquement ces infractions à un procureur indépendant pour diriger l’enquête. Cela améliorerait la confiance entre la police et la communauté et protégerait les droits des victimes et des policiers impliqués.

Nonobstant ce qui précède, certains états ont pris des mesures pour résoudre ces problèmes avec un succès limité. C’est pourquoi je soutiens fortement l’expansion à l’échelle nationale la nomination automatique d’experts externes en dehors de la juridiction de la Police en cas de meurtres ou de mort d’Homme comme modèle de réforme. Cette approche donnerait à un procureur indépendant l’opportunité d’enquêter en toute impartialité et de limiter les risques de conflit d’intérêts comme c’est le cas avec les procureurs locaux qui souvent entretiennent des liens professionnels étroits, parfois amicaux, avec les policiers accusés. A titre illustratif, les lois: 175.47(2) et 175.47(3) (a) et (b) de 2013 de l’état de Wisconsin sur les investigations concernant des policiers impliqués dans des cas d’homicides (volontaires ou involontaires) dans l’exercice de leurs fonctions exigent au moins la commission de deux enquêteurs indépendants.[2]

Pour mieux sauvegarder ces acquis dans les états qui ont des offices permanents de procureurs spéciaux, nous suggérons la nomination de deux enquêteurs indépendants qui travailleraient avec le Procureur de l’état dans lequel le crime est commis. Cela protégerait le dossier et limiterait l’influence des procureurs et autres forces locales. Mieux, il est préférable qu’un des enquêteurs provienne des institutions fédérales spécialisées dans l’investigation des crimes comme la FBI, et le second d’un service de police d’un autre état. Le plus gradé et expérimenté des deux enquêteurs devrait superviser l’enquête.

Dans les états qui n’ont pas des offices permanents de procureurs spéciaux, nous recommandons d’assigner trois enquêteurs–deux indépendants et un de l’état dans lequel le crime est commis-qui travailleraient avec le Procureur local. Un d’entre eux doit venir du FBI ou d’une agence fédérale spécialisée ; le second d’une police d’un autre état, et le troisième de l’entité policière objet de l’enquête. Ici aussi, le plus gradé et expérimenté des deux enquêteurs indépendants devient le superviseur principal de l’enquête. Ces garde-fous pourraient autant aider les grands jurys à mieux comprendre les faits et à poser des questions plus appropriées aux procureurs et

[1] https://www.washingtonpost.com/nation/2018/11/15/calls-more-federal-oversight-local-police-departments/?noredirect=on&utm_term=.1e1c65b451c8

[2] https://www.policefoundation.org/wp-content/uploads/2017/05/Investigative-Guidelines-for-Officer-Involved-Death-Investigations.pdf

juges courant le procès avant de rendre leurs verdicts. En vue de cela, l’éminent juriste et l’un des principaux détracteurs du système du grand jury aux Etats-Unis, le professeur William Campbell, affirme que «plus de la moitié des États Américains n’exigent même pas l’examen d’un dossier par un grand jury dans des affaires de crimes impliquant la Police ou des forces de l’ordre ».[1]  Il précise que «là où les procureurs utilisent un grand jury, l’affaire est généralement présentée et examinée très superficiellement».[2]

En conclusion, cette analyse a évoqué la ténacité avec laquelle le monde a réagi au meurtre de George Floyd, et de façon générale, au passé sulfureux de la police avec les noirs et autres minorités aux Etats-Unis. La réaction des anciens Chefs d’Etat Africains est particulièrement avérée vu que c’est pour la première fois que leur forum se prononce ouvertement sur ce sujet. Leur déclaration s’inscrit dans la logique du public Américain préoccupé par l’impartialité des procureurs et juges locaux, et le soubresaut judiciaire qui bloquent pour l’heure les reformes désirées et contribuent généralement à l’acquittement ou un non-lieu des accusés et suspects. Toutefois, il nous semble que la déclaration n’aura aucun effet sur le système de répression criminelle aux Etats-Unis, surtout dans des affaires qui incriminent des policiers et autres forces de l’ordre. Tout simplement parce que, comme soutenu dans cet article, seuls les professionnels de la police, les juges, les politiciens et les représentants des communautés ont le pouvoir de remplacer ou améliorer le régime actuel de l’auto-enquête policière avec un nouveau mécanisme d’investigation et de contrôle indépendant en cas de bavure policière.

Les recommandations proposées contribueraient à la protection des droits des victimes et des policiers et renforceraient la confiance entre les citoyens et les forces de l’ordre.

Par conséquent, il est fort probable que la réaction des anciens Chef d’états Africains contribue à estropier l’image des Etats-Unis en Afrique et sa coopération sécuritaire avec les états africains. Néanmoins, Même si le meurtre de George Floyd a terni l’image de la Police Américaine, il ne reste pas moins vrai que c’est une des meilleures polices au monde qui est ainsi blessée. Il est donc grand temps que la diplomatie Américaine s’attèle à mieux engager ses partenaires africains sur les reformes entreprises pour améliorer les rapports entre la Police et les citoyens afin de sauvegarder et de promouvoir les acquis fruits de la coopération sécuritaire les pays africains et les Etats-Unis d’Amérique. Ainsi, les mémoires de George Floyd, et autres victimes de la Police seront honorées.

Par Maître Rabiou I. Hassane Yari, Juriste Criminologue, Fellow, American Security Project, Washington, DC

(Cet article est une web-contribution personnelle de l’auteur et ne reflète en aucun cas l’avis de l’institution à laquelle il est affilié).

[1] Campbell W. J (1973). « Éliminer le Grand Jury, 64 J. CJante. L. & Criminologie 174. » https://scholarlycommons.law.northwestern.edu/jclc/vol64/iss2/4

[2] Simmons, R (2002). « Réexamen du Grand Jury : y a-t-il place à la démocratie dans le système de justice pénale? » 82 BOStonne Université. L. Rev. 1, 44-51 (2002)