L’Insécurité dans le Sahel : Quelques pistes de solution

Le lourd bilan de l’attaque de la base d’Inates, au Niger, précédé de ceux du Mali, du Burkina Faso et de la France, vient rappeler, dramatiquement, l’urgence de régler les conflits qui sous-tendent l’insécurité dans le Sahel : la situation chaotique de la Libye, la zone grise de Kidal au Mali puis le flou régissant les relations entre la France et les pays du G5 Sahel. Les trois hypothèques ne sont, nullement, étanches les unes des autres. Leur liquidation suppose de profondes révisions, sinon une forme de révolution, dans la diplomatie internationale.

Depuis le renversement du régime de la Grande Jamahiriya, l’État des masses, et l’assassinat du Guide Mouammar Kadhafi en octobre 2011, officiellement par le Conseil national de Transition (CNT), soutenu par une coalition de pays occidentaux, la Libye ne cesse de s‘enfoncer dans le chaos. C’est un truisme que d’évoquer cette poudrière à ciel ouvert et cet espace sans contrôle véritable. Des armes en sortent, en direction du Sahel. Des armes y entrent, depuis des pays voisins immédiats et lointains. Ces machines de la mort sont livrées aussi bien au gouvernement reconnu du Premier ministre Fayez al-Sarraj qu’au maréchal Haftar, officiellement et clandestinement. Les Libyens sont obligés de reconnaitre qu’ils se livrent à un combat dont les enjeux leur échappent, graduellement. Depuis la chute de Daech, des combattants y entrent et sortent, pour aller faire le coup de feu au Sahel, entre autres. Aux souffrances du peuple libyen, se greffent celles, encore plus atroces, des migrants victimes de divers trafics, ainsi que le martyr de pays tels le Burkina Faso, le Mali, le Niger, le Tchad et le Nigeria.  Un cessez-le-feu et l’instauration d’un État de droit en Libye constituent les premiers pas du chemin de la paix au Sahel.

Des guerres dans le conflit

Quels sont les acteurs extérieurs en présence ? L’homme pivot du conflit libyen est l’emblématique maréchal Khalifa Haftar. Officier de l’armée libyenne, déserteur à la fin des années 1980, le maréchal a été formé, en partie, dans l’ancienne Union soviétique et s’est réfugié aux États-Unis, avant de rentrer en 2011 à Benghazi, la grande ville de l’Est libyen. Il s’est forgé une stature d’homme d’État et d’homme fort, grâce à ses campagnes militaires contre des groupes islamistes de l’est et du sud de la Libye. Le maréchal se présente comme le seul leader à même de garantir la stabilité de son pays et d’écraser les mouvements jihadistes. Cette prétention a trouvé une oreille plus qu’attentive, notamment à Paris, Moscou et au Caire, dans un premier temps. Récemment, il a réussi la même opération de charme à Washington. Son rival, Fayez al-Sarraj, qui dirige le gouvernement de Tripoli, en principe reconnu par la communauté internationale, peut, lui, compter sur l’appui du Qatar et de la Turquie. La Turquie qui, par ailleurs, se dit prête à envoyer des militaires, sur place, pour soutenir le combat contre le maréchal. Malgré ces soutiens, le maréchal piétine aux portes de Tripoli, depuis son offensive, déclenchée en avril dernier. Pour pimenter la poudrière, notons, entre autres, que l’Égypte voit d’un mauvais œil la Turquie débarquer à ses frontières car, proche des Frères musulmans, dont est issu feu le président élu, Mohammed Morsi, renversé par le maréchal Abdel Fattah al-Sissi, actuel homme fort du pays des pharaons. Notons aussi que, ce mois de décembre 2019, les États-Unis demandent des comptes à la Russie, accusée d’avoir abattu leur drone au-dessus du ciel libyen, en novembre dernier. Des guerres dans le conflit donc que l’Envoyé spécial des Nations-Unies en Libye dénonce, régulièrement… Il est urgent que les puissances en présence s’entendent sur le nouveau régime à instaurer à Tripoli.

Qui « tient » Kidal ?

Le président nigérien, Issoufou Mahamadou, a dit, tout haut, ce qui se murmurait, avec colère, dans les pays du Sahel, depuis l’intervention de l’opération Serval, en 2014 : « Le statut actuel de Kidal est une menace pour le Niger. L’État malien doit impérativement y reprendre ses droits. Le chef d’État nigérien a également déclaré détenir des preuves « qu’il y a des mouvements signataires des Accords de paix d’Alger qui ont une position ambigüe et qui sont de connivence avec les terroristes. » Lesdits mouvements avaient protesté. Dans la réalité, la menace est dirigée contre tous les autres États du Sahel. Qui « tient » Kidal ? La réponse à cette question pourrait permettre de prendre des mesures sécuritaires idoines car chacune des parties présentes dans cette région serait mise face à ses responsabilités. On y dénonce, pèle mêle : des vols de bétail, des trafics d’armes, de la drogue, de migrants, de cigarettes… Des « commerces » fort lucratifs, qui permettent aux groupes terroristes de recruter, en toute résilience. Régulièrement, des « pays du Golfe » sont accusés aussi de financer des groupes djihadistes qui sévissent dans cette zone. Vrai ou faux ? La question mériterait d’être posée aux présumés bailleurs, à qui il serait intimé l’ordre de cesser cette alimentation de la mort.

Le flou des relations entre la France et le G5 Sahel

 Par ordre de croissance, au Mali, au Burkina Faso et au Niger, des manifestations anti-françaises sont organisées, dans l’évocation du combat anti-terroriste. La France est-elle vue comme une partie de la solution ou comme le problème ? Tant qu’elle n’enregistrait que des victoires, la France était accueillie en sauveur, au Mali, par exemple. Au fur et à mesure que les bilans des attaques terroristes s’alourdissent, des responsables politiques, de même que l’opinion des trois pays, s’interrogent, à la fois sur l’efficacité de ses interventions et sur son rôle réel dans ce vaste espace du Sahel. C’est le lieu de rappeler que c’est la France de Nicolas Sarkozy qui a pris la tête de la croisade contre la Libye de Mouammar Kadhafi, « sans assurer le service après-vente » se plaignent des chefs d’États africains. C’est également la France qui, en prélude à son éventuel ou futur retrait, a porté sur les fonts baptismaux le G5 Sahel. Ses propres difficultés sur le terrain, celles qu’éprouve le G5 dans son déploiement puis les lourds bilans des attaques terroristes cristallisent contre la France les critiques des pays concernés. Il s’agirait donc d’apporter plus de clarté dans les relations entre la France et ses supposés alliés.

Pourrait-on envisager une table ronde, réunissant l’ensemble des puissances militaires présentes au Sahel, les principaux groupes armés et tous les pays, concernés officiellement, et ceux agissant dans l’ombre ? Ça ne coûte rien d’essayer…

 

Dr André Marie POUYA

Journaliste et Consultant