photo DR

Médias : Quand « l’information à tout prix » mène au « faux »

La reprise systématique de certaines informations, sans les préalables requis dans le traitement, conduit souvent à des erreurs collectives. C’est le cas au Sénégal, récemment avec un prétendu rapport, d’une ONG « introuvable », sur le nombre de femmes célibataires au Sénégal. C’était du faux. Notre rédacteur en chef adjoint met en garde contre les dangers de l’information à tout prix.

4,5 millions de femmes  célibataires au Sénégal. Ce chiffre « alarmant », a fait la Une de nombreux sites internet du Sénégal le 2 mars 2019. Il s’agirait d’un rapport d’une ONG britannique : «Family Optimize». Un taux de 40 % de femmes célibataires, selon  la fameuse ONG qui estimerait  à 42 % les femmes célibataires en Mauritanie et au Nigeria et à 52 % au Mali. Tandis que la Tunisie, serait au sommet en Afrique avec 62 %.

Il était prêté à la même ONG d’avoir affirmé dans un rapport publié en avril 2018 que le célibat touche 60 % des femmes marocaines. Du moins, c’est ce que rapportait le journal Al Ahdath Al Maghribia, repris par www.bladi.net et d’autres médias en ligne qui précisaient que les femmes marocaines en âge de se marier sont au nombre de 8 millions.

Ce qui est curieux, est que l’ONG citée est « introuvable ». Aucune trace sérieuse sur les moteurs de recherche. Pas l’ombre d’un rapport. Comme le souligne le site sénégalais www.pressafrik.com.

Allant plus loin, ces informations sur le nombre de femmes célibataires ont été remises en question par des chiffres de l’Agence nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD) du Sénégal rapportés le 3 mars 2019 notamment par le journaliste sénégalais Moussa Ngom.

Les différentes observations et précisions n’ont pas du tout empêché cette infox de continuer à se propager et d’être l’objet de sujets de discussions intenses. Ce qui pose encore la question de la « reprise systématique » de certaines nouvelles par les médias traditionnels et en ligne au Sénégal et ailleurs, sans pour autant essayer de savoir si l’info est vérifiée ou provient d’une source crédible.

De telles légèretés s’expliquent par la course aux nouvelles, sans les efforts requis pour une information crédible. « L’information à tout prix » (Ina Editions 2017) de Julia Cagé, Nicolas Hervé et Marie-Luce Viaud met en relief cette problématique.

C’est ainsi que sur la construction et l’analyse d’une base de données unique, « l’intégralité du contenu produit en ligne par les médias d’information en France sur l’année 2013, a été étudiée. Il s’agit de la presse écrite, de la télévision, de la radio, des pure internet players ou encore de l’AFP ».

Le règne du « Copié/Collé »

Leur constat, fait grâce à leur algorithme de détection de copie,  est assez illustratif.  64 % du contenu média, dans le cas des « actualités chaudes » publié sur le web serait entièrement copié/collé d’un autre contenu en ligne. D’où cette grave interrogation : le journalisme en ligne a-t-il signé la mort de l’information originale ?

Les auteurs, l’économiste Julia Cagé (Sciences Po) et les chercheurs en informatique Nicolas Hervé et Marie-Luce Viaud (Ina), alarmistes, expliquent cette baisse d’originalité, en partie, par la baisse de la taille moyenne des rédactions des médias d’information en France de 1 % par an depuis 2013. « Or, 1 % de journalistes en moins, c’est 1,20 % de moins d’information originale produite ».

« Si la diminution de la taille moyenne des rédactions devait continuer au rythme actuel, cela impliquerait qu’en 2020, ce seraient plus de 30 000 articles d’information entièrement originaux de moins qui seraient produits qu’en 2013 », prédisent-ils. Cette vérité en France est naturellement plus remarquable au Sénégal où les rédactions, surtout pour la presse en ligne,  souffrent d’un manque de journalistes capables de fournir du contenu original.

Comment faire ?

De nouveaux modèles économiques pour les médias afin de tirer le meilleur parti des nouvelles technologies et éviter le copié /collé aveugle qui peut mener à la reproduction des fake news, comme c’est le cas actuellement ?

Des solutions économiques et juridiques ont été proposées par les auteurs de « L’information à tout prix ». Des mesures aux premiers rangs desquels se trouvent : l’application plus stricte du droit d’auteur sur internet, la mise en place de murs payants, la syndication de contenu et la mutualisation des coûts de production de l’information ; le soutien public transmedia à la production d’information ; ou encore de nouvelles formes juridiques pour les médias.

Ces propositions sont-elles transposables dans nos pays ? Ce qui est clair, est qu’à l’état actuel des choses, la presse sénégalaise voire africaine, est en butte à des difficultés notoires avec une multiplication des fake news qui annihile de plus en plus sa crédibilité.

« Les informations truquées réaffirment la mission traditionnelle du journalisme, qui est de tenter d’éclairer la société et le grand public. Nous devons renforcer cet aspect central de notre mission, qui est d’éclairer le débat, de montrer où se trouvent les faits réels et les vrais débats ». Ces propos de Ricardo Gandour – directeur du journalisme au Réseau radio brésilien – parus dans le Courrier de l’Unesco sont à méditer.

Mame Gor Ngom

africacheck.org