Discours d’ouverture du Ministre d’Etat à la Rencontre des Ministres de l’Intérieur, des Affaires étrangères et de la Défense nationale du Niger, de la Libye, du Tchad et du Soudan

Messieurs les Ministres, Messieurs les chefs d’Etat-major des armées, mesdames et Messieurs,

C’est pour nous, un réel plaisir de vous recevoir mes chers frères, chez vous au Niger, pour parler d’un sujet qui nous intéresse tous au plus haut point. Je voudrais, tout en vous souhaitant la chaleureuse bienvenue, vous remercier sincèrement pour le niveau particulièrement élevé auquel vos différents pays se sont fait représenter. Cela dénote tout l’intérêt que vous accordez à l’ordre du jour de notre réunion et donnez en cela raison à son Excellence, Monsieur le Président Issoufou Mahamadou qui est à l’initiative de cette rencontre.

 En effet, nos quatre pays ainsi réunis font face, nous le savons, à une même situation de menaces graves et persistantes à leurs frontières communes avec la Libye du fait de la prévalence dans le sud et le Sud-Est de ce pays d’un état d’anomie totale constituant une dangereuse hypothèque  pour la stabilité sous-régionale. L’affaiblissement de l’Etat libyen consécutif aux événements de l’année 2011 a favorisé l’installation dans cette partie isolée du territoire de groupes armés à caractère tant endogène qu’exogène vivant de diverses activités criminelles. Ainsi s’est-il progressivement installé un état de grand désordre générant des menaces de nature à remettre totalement en cause la stabilité de chacun des 4 pays en question. La spécificité de cette situation tient à deux facteurs importants sur lesquels, permettez-moi, de m’appesantir.

Messieurs les ministres, mesdames, messieurs,

Le premier facteur procède du fait que le Sud et le Sud-Est de la Libye sont une vaste zone désertique, traversée de surcroît, par plusieurs milliers de kilomètres de frontières. Ces paramètres géographiques ont favorisé l’intégration de cette zone dans le grand espace sahélo-saharien ainsi que son insertion dans l’économie criminelle qui s’est emparée de ces  territoires. Mieux, cette partie du territoire libyen est devenue le centre névralgique de toutes ces activités criminelles. Ainsi est-il du trafic illicite des migrants africains vers l’Europe dont le segment saharien, crucial s’il en est, a acquis l’essentiel de ses moyens à partir du sud de la Libye. En effet, tous les véhicules qui servent au transport des migrants dans le désert saharien sont acquis dans cette partie du territoire libyen, dans le cadre d’activités peu ou prou criminelles (vols, extorsions, orpaillage clandestin).

Il en est de même pour les trafics des armes qui alimentent les différentes guerres qui ont cours dans la zone sahélienne, notamment au nord du Mali et dans le bassin du Lac Tchad, et même au-delà. En plus de l’arsenal de l’ancien régime libyen dont une partie s’est déversée sur la zone sahélienne, les réseaux des trafics des armes vers l’Afrique à partir du sud de la Libye ont continué à d’autant plus prospérer qu’ils sont insérés dans une économie interconnectée de trafics divers et solidaires. Les milices tribales qui entretiennent un état de belligérance permanent sur toute l’étendue du territoire libyen semblent à cet égard accéder à des possibilités d’acquisition d’armements quasi infinies, ce qui rend ce trafic particulièrement florissant.

La zone du sud et du Sud Est libyen est devenue ces dernières années un véritable carrefour des routes de la drogue en direction de l’Asie via l’Egypte et de l’Europe via la mer méditerranée. Les ressources financières importantes qui sont générées par cette activité servent à entretenir le terrorisme sur l’ensemble de cet espace.

Messieurs les ministres, Mesdames, Messieurs,

Le second facteur qui confère son importance à notre réunion d’aujourd’hui tient au fait que la zone du sud et du Sud Est de la Libye n’est point désormais qu’en proie, à l’image d’autres régions de ce pays, à des tensions tribales endogènes, mais est confrontée à une situation totalement inédite. En effet, des mouvements armés rebelles du Tchad et du Soudan se sont installés dans ce territoire avec des moyens militaires importants et prennent part aux luttes mettant en cause les différents protagonistes locaux. La participation de ces acteurs à la violence généralisée complique singulièrement les différents paramètres en leur conférant un caractère asymétrique des plus dangereux.  Ainsi l’agenda national libyen est-il parasité par l’agenda d’acteurs étrangers dont les interférences dans les problèmes internes à ce pays dictés par leurs intérêts propres ajoutent à une situation par trop complexe en elle-même.

Ces groupes, dont l’objectif est de s’armer  et qui caressent le rêve de retourner un jour dans leurs pays respectifs pour y livrer la guerre sont un facteur d’instabilité pour la Libye et pour la sous-région. Ils sont une des causes majeures de la prévalence des différents réseaux criminels générant les ressources qui permettent aux acteurs  non étatiques de disposer d’armées puissantes et d’être capables de faire face aux intendances qui les soutiennent.

Messieurs les Ministres, Mesdames et Messieurs,

La situation que je viens de d’écrire, laissée à elle-même et aux dynamiques qui la travaillent actuellement ne peut évoluer que dans un sens négatif, favorable aux acteurs qui profitent de la faiblesse de l’Etat en Libye. Or du fait de la porosité des frontières de nos pays, du fait du caractère désertique et très vaste de cet espace ainsi que de la faiblesse de nos capacités financières, notre sécurité est soumise à des menaces graves aussi longtemps que perdurera cet état de fait.

Aussi est-il urgent que nous agissions plutôt que de rester passifs et de contempler une situation qui n’a de cesse de se dégrader. Ainsi devons- nous inventer les mécanismes d’une coopération opérationnelle dans le domaine de la gestion de nos frontières et du renseignement pour lutter contre la criminalité transfrontalière et toutes les menaces dont elle est porteuse vis-à-vis de notre sécurité et de l’intégrité de nos territoires respectifs.

Nous devons sensibiliser la communauté internationale sur la spécificité de la situation qui prévaut dans les zones Sud et Sud Est de la Libye ainsi que sur ses effets immédiats et à terme sur la stabilité de ce pays.

Notre rencontre, la première en son genre, dispose des atouts à même de lui permettre de faire un bon diagnostic de la situation qui est soumise à notre attention ainsi que de faire des propositions diplomatiques, politiques et militaires de nature à faire évoluer les choses dans le sens de la sécurisation de la sous-région.

Nos chefs d’Etat attendent de notre rencontre l’amorce d’un processus vertueux de nature à concourir à la mise en place d’une dynamique nouvelle qui contribuera au retour à la paix en Libye d’une part et la sécurité sous-régionale d’autre part.

                                                                                                Je vous remercie