Après avoir essuyé à trois (3) reprises une interdiction de manifester, au mépris des dispositions de la Constitution de notre pays et des instruments juridiques internationaux ratifiés par l’État du Niger, nous voilà aujourd’hui rassemblés à la Place de la Concertation pour exprimer, à la face du monde entier, notre colère et notre refus d’accepter la loi de finances 2018 adoptée par l’Assemblée nationale. Les raisons de notre colère sont connues de tout le monde; mais, il n’est pas superflu de les rappeler une fois de plus.
Nous rejetons cette loi de finances 2018 parce qu’elle comporte toute une batterie de mesures à caractère fiscal et administratif susceptibles d’affecter sérieusement la situation, déjà difficile, des ménages nigériens.
En effet, le gouvernement nigérien envisage, à travers ce projet de loi de finances, d’accentuer la pression fiscale sur les couches défavorisées de la population, tout en accordant des cadeaux fiscaux inacceptables à certaines catégories de contribuables, notamment les compagnies de téléphonie et les marketteurs et promoteurs indépendants du secteur des hydrocarbures. Les mesures à caractère fiscal contenues dans ce projet et affectant les couches populaires, concernent notamment :
1-la création d’une taxe d’habitation que devront désormais acquitter toutes les personnes disposant d’un compteur relié au réseau d’électricité ou d’un système autonome d’énergie électrique, qu’elles soient propriétaires des maisons, simples locataires ou de personnes y habitant à titre gratuit;
2- le rehaussement du taux de l’Impôt Synthétique de 2 à 5% pour les activités commerciales et de 3 à 7% pour les prestations de service, assorti de la fixation de minima de 60 000F pour le commerce et 80 000F pour les prestations de service ;
3- l’extension de l’assiette de la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) qui sera appliquée désormais au transport routier des marchandises et des voyageurs, aux affaires faites par les commerçants qui se livrent à la commercialisation des produits agricoles après acquisition auprès des producteurs ruraux, à divers produits, notamment des denrées alimentaires, des intrants agricoles, des fournitures scolaires jusque là exonérés;
4-la réévaluation du prix de base de cession des terrains relevant du domaine privé de l’État;
5-l’institution du prélèvement d’un acompte constituant un minimum de perception de l’impôt sur les plus-values de cession immobilières;
6- l’institution de l’apposition d’un droit de timbre de 200F sur tout document légalisé sous peine de nullité ;
7-la réactualisation et la diminution de certains taux de droits de mutation par décès pour la part nette recueillie par chaque ayant droit.
A travers toutes ces mesures à caractère fiscal ciblant les contribuables les plus modestes, c’est-à-dire ceux qui reçoivent également moins de la part de l’État en termes de prestations de services, le gouvernement a voulu surtout compenser le « manque-à-gagner » lié à la suppression de la taxe sur la terminaison du trafic international entrant (TATTIE) et à la révision des taux et modalités de calcul de l’impôt sur le minimum forfaitaire. L’objectif est clair : il s’agit de faire payer aux contribuables les plus modestes les cadeaux fiscaux destinés à des amis.
Comme nous l’avons souligné dans nos précédentes déclarations, les cadeaux fiscaux offerts par le gouvernement s’élèvent à environ 29 milliards de francs CFA pour les seules compagnies de téléphonie du fait uniquement de la suppression de la taxe sur la terminaison du trafic international entrant (TATTIE) ; tandis que le « manque-à-gagner » lié à la modification des taux et des modalités de calcul de l’impôt minimum forfaitaire pour les marketteurs et les promoteurs indépendants du secteur des hydrocarbures, est estimé à près de 15 milliards de francs CFA.
Contrairement aux propos tenus hier par le Président du PNDS-Tarayya, M. Bazoum Mohamed, les mesures fiscales contenues dans la loi de finances 2018 ne s’expliquent ni par la récession économique que connait le Nigeria, ni par la chute des prix des matières premières, notamment le pétrole et l’uranium. Ces mesures sont l’illustration parfaite de la propension des autorités en place à privilégier et défendre les intérêts étrangers, notamment celles des grosses compagnies multinationales, au détriment de ceux du peuple nigérien.
C’est le lieu de rappeler que notre pays est devenu un véritable eldorado pour les quelques grosses compagnies étrangères qui s’y sont installées; car, elles bénéficient non seulement de divers avantages fiscaux légaux, mais aussi de la complaisance totale des autorités en matière de contrôle de la qualité des services et des conditions environnementales.
C’est le cas notamment d’AREVA, qui refuse l’application de la loi minière 2006 et qui exploite notre uranium sans avoir signé une convention en bonne et due forme; c’est aussi le cas des compagnies de téléphonie, qui refusent une taxe appliquée partout dans le monde; c’est enfin le cas de la CNPC qui exploite notre pétrole dans des conditions opaques.
Si nous rejetons la loi de finances 2018, ce n’est pas seulement à cause des mesures injustes qu’elle contient; c’est aussi parce qu’elle ne prend pas en compte les préoccupations populaires dans son volet des dépenses. C’est le lieu de rappeler que la part des secteurs sociaux de base, notamment l’éducation, la santé, l’agriculture et l’élevage, qui sont érigés en priorité par la Constitution du 25 novembre 2010, reste encore très faible et largement en dessous des engagements internationaux de l’État du Niger et des promesses faites par les autorités elles-mêmes.
La part de l’enseignement, tous ordres confondus, dans le budget 2018 est seulement de 11,99%, celle de la santé est seulement de 5,12%; tandis que l’agriculture et l’élevage ne représentent que 6% des ressources inscrites au budget 2018; tandis que la part des dépenses du ministère de la défense dans les allocations budgétaires se situe au-delà de 120 milliards de francs CFA. Les dépenses du secteur de la sécurité représentent 17% du total des dépenses inscrites au budget 2018, selon le ministre de finances; tandis que celles destinées à l’ordre et à la sécurité publique est de 1,93%.
Le niveau élevé de ces ressources constitue un sujet de préoccupation majeure, eu égard à ses conséquences sur les secteurs sociaux de base, et aussi compte tenu de l’absence de transparence et contrôle des fonds alloués; sans oublier que ces ressources ont en partie servi à l’enrichissement de ceux qui sont en charge de ce secteur.
Comme nous l’avons déjà souligné lors de nos précédentes déclarations, l’examen des différentes rubriques de dépenses du budget 2018 montre clairement qu’aucune mesure n’est prise pour réduire le train de vie de l’État et mettre fin à la pratique des emplois fictifs entretenue par les plus hautes autorités à travers la nomination massive de ministres à la présidence, de conseillers et chargés de mission en tous genres.
L’examen des budgets affectés à certaines institutions et ministères, notamment la Présidence de la République, l’Assemblée nationale, les ministères des finance, de l’intérieur et de la défense, montre qu’il est possible de faire des économies de l’ordre de 55 milliards de francs, affectés à des dépenses superflues ou de prestige telles que la construction d’un nouveau palais présidentiel, la construction de divers bâtiments administratifs, l’acquisition de moyens de transport, etc.
Pour toutes ces raisons, nous sommes déterminés à poursuivre notre lutte contre la loi de finances 2018; sans oublier tous les autres problèmes auxquels notre pays est confronté depuis des années. Notre lutte porte également sur :
-la défense et la protection des libertés d’association et de manifestation, qui sont régies par des lois scélérates dont nous exigeons l’abrogation de certaines dispositions;
-Le renforcement de l’indépendance de la justice, qui est aujourd’hui instrumentalisée par le pouvoir exécutif, comme on l’a récemment à travers les décisions rendues concernant nos manifestations;
-La réalisation d’audits systématiques des finances publiques, des marchés publics, des entreprises publiques et parapubliques, des contrats miniers et pétroliers, des contrats de partenariat public privé, de la dette extérieure, ainsi que de toutes les compagnies et sociétés privées gérant des secteurs stratégiques concédés par l’État (téléphonie, eau potable, transport).
-La dénonciation de tous les accords de défense secrets liant l’État du Niger à d’autres puissances, et la fermeture immédiate de toutes bases militaires étrangères établies dans notre pays;
-La réforme du système éducatif, la réhabilitation de l’école publique et la revalorisation de la fonction enseignante ;
-L’amélioration progressive de l’accès des populations aux soins de santé à travers la mise en place d’un système de couverture médicale pour tous à travers des régimes d’assurances maladies et/ou de mutuelles de santé.
-L’adoption et la mise en œuvre de mesures visant à lutter contre la cherté de la vie, y compris de mesures portant sur la régulation des prix des denrées de base et des loyers.
-La mise en place d’un programme de création d’emplois pour les jeunes diplômés, les jeunes non scolarisés et déscolarisés.
-La renégociation des contrats miniers et pétroliers afin d’accroitre la mobilisation des ressources internes indispensables pour la concrétisation des droits économiques, sociaux et culturels, ainsi que le respect par les compagnies minières et pétrolières des droits des travailleurs.
-La création des conditions favorisant le développement rural et l’autosuffisance alimentaire.
-L’arrêt immédiat de la chasse aux migrants et de la criminalisation des activités liées à la migration conformément à l’esprit et à la lettre des instruments juridiques internationaux ratifiés par le Niger.
Notre lutte s’appuie donc sur une plate-forme prenant en compte les préoccupations populaires; elle vise à faire barrage à la régression sociale et démocratique en marche dans notre pays. Cette lutte est une lutte pour la défense de la souveraineté de notre pays, et de la dignité de son peuple.
La lutte continue !!!
Niamey, le 14 janvier 2014