DE LA QUESTION TOUARÈGUE ET DE LA PAIX EN GÉNÉRAL : CONTRIBUTION A UN CADRAGE POLITIQUE

 

Nous allons fêter le vingt-deuxième anniversaire de la Journée de la Concorde le 24 avril prochain. Cependant, combien de Nigériens se souviennent que cette initiative a été proposée pour célébrer la fin d’un conflit qui n’aurait jamais dû éclater ? Combien en connaissent encore les raisons et les véritables enjeux ? De plus, que faut-il rappeler à cette occasion à notre jeunesse, qui compose plus de la moitié de la population du Niger et qui n’a évidemment qu’une idée assez vague de ce que cette tentative de renforcer la concorde représentait pour les contemporains ? A celle qui découvre différents modes de vie de par le monde et qui s’impatiente de devoir attendre encore et encore un bien-être complaisamment développé ailleurs, et dont les anciens eux-mêmes n’avaient pas osé rêver ! Ces anciens, justement, qui avaient pourtant tenté de croire à la naissance de temps forcément meilleurs au sein de ce nouvel État, puisqu’on le leur affirmait bien haut ! De surcroît, que doit-on dire à cette jeunesse qui doute de plus en plus de pouvoir obtenir des moyens décents de subsistance lui permettant de fonder une famille en toute tranquillité ?

Il serait désormais salutaire de ne plus laisser des prophètes peu enclins à l’objectivité développer en notre nom des analyses superficielles. Ces analyses ont contribué à des incompréhensions préjudiciables au vœu le plus cher des Nigériens : vivre en paix

Tentons de rappeler des faits et périodes de notre passé récent en se gardant de les hiérarchiser selon leur critère de gravité ou leur chronologie. Il s’agit de clarifier au mieux notre analyse de ces événements, vécus souvent différemment par leurs protagonistes, produisant ainsi des mémoires contradictoires.

Nous allons, malgré la gageure de cette entreprise, essayer d’en rappeler les points forts… Et efforçons nous de demeurer vigilants afin de rendre ces événements définitivement révolus. Notre avenir commun en dépend.

Depuis les indépendances, le système politique qui a pris en main la destinée du Niger n’a, à l’évidence, pas été en mesure de construire un ensemble national cohérent et stable. Les gouvernements successifs n’ont pas su organiser, dans la transparence et l’intérêt national, la coexistence entre des communautés qui ont pourtant toujours cohabité bien avant même la création de l’État sous sa forme postcoloniale. Ceux qui ont été aux commandes de l’État ont voulu ignorer que la stabilité et la sécurité du pays passaient nécessairement par la consolidation de l’unité et de la cohésion nationales. Les insuffisances des politiques à régler des questions de gouvernance pourtant assez simples, notamment en reléguant coûte que coûte la communauté et la culture touarègues à un rôle très secondaire, ont constitué un manquement grave. Ainsi, des décennies plus tard, une répartition par trop déséquilibrée de l’espace public entre les différentes langues et cultures nationales demeure encore un point de crispation entre la communauté touarègue et l’État.

Au Niger, comme d’ailleurs dans beaucoup d’autres pays, la pratique politique n’est encore trop souvent structurée que par des considérations ethniques ou régionalistes. Ainsi, le pays a beaucoup souffert des décisions que prenait un pouvoir trop centralisé, mais cependant quasi évanescent, demeuré en permanence entre les mains d’une caste peu habituée à consentir au partage et à l’acceptation de cultures dont elle préfère avant tout nier l’existence pour gérer les affaires à son aise. Au nom d’un État qui a une fâcheuse tendance à nier la complexité des réalités régionales et locales, politiques et administratives. Les élites s’épuisent, de fait, à administrer un pays chimérique, trop théorisé ou fondé sur des analyses totalement hors contexte afin de se présenter officiellement dans des atours démocratiques que d’autres ont encore tant de mal à revêtir. Ils négligent ainsi ce qui devrait être entrepris au plus vite pour tenter de répondre aux besoins élémentaires de citoyens harassés.   Compte tenu des risques que font courir ces pratiques, il devient urgent que les élites se ressaisissent et admettent que la cohésion nationale ne peut se réaliser uniquement à travers des partis politiques qui doivent encore faire les preuves de leur sens de l’État et de l’intérêt supérieur du pays. D’autres sources, ô combien légitimes et porteuses de stabilité existent et doivent être interrogées pour asseoir un véritable socle national dans lequel tous les citoyens pourraient se retrouver. Les autorités coutumières, religieuses et la société civile de manière générale, devraient jouer un rôle plus important pour maintenir le débat démocratique dans les limites exigées par l’intérêt supérieur du pays.

De plus, l’écart entre la légitimité politique et la légalité représentative n’a jamais été aussi important au Niger. N’importe qui, dès lors qu’il dispose de moyens matériels adéquats, peut se faire « élire », surtout dans les régions du Nord, pour représenter des populations dont il n’a que faire. Il peut même arriver que ces « élus » mandatés œuvrent contre les intérêts de ces populations ou de ces régions qu’ils sont censés représenter. Un déphasage trop important entre ces « élus » et la population risque à terme d’engendrer des troubles à l’ordre public, car il menace les équilibres nécessaires à la stabilité au niveau local et national. Il apparaît que nous sommes dans un pays où les élus, surtout dans ces régions, se prennent trop souvent pour des fonctionnaires qui tiennent leur légitimité plus du système ou de leurs partis politiques que des populations qui les élisent…Ces dernières années nombre de leaders Touaregs se comportent ouvertement en « obligés » d’intérêts privés qui instrumentalisent leur fonction à des fins purement cupides et bafouent éhontément leur dignité ! En conséquence, on observe une colère toujours latente au sein de la jeunesse envers ces réseaux qui instrumentalisent souvent la classe politique par une pratique outrancière de la corruption et le travestissement du suffrage universel. Le clientélisme affairiste que développent tous les partis politiques, y compris ceux qui se prétendent progressistes, constitue à terme une menace sérieuse pour la cohésion nationale.

Pour nombre de Nigériens, évoquer la question touarègue relève d’une victimisation, qui fige cette communauté dans un particularisme devenu une sorte de fonds de commerce pour certains ou qui, pour d’autres, serait orchestré par un complot international. Ceux qui adhèrent à ces visions le font généralement par paresse intellectuelle, par ignorance des réalités purement nigériennes ou par hypocrisie coupable envers le pays. A leur décharge, il faut reconnaître que les élites touarègues elles-mêmes n’ont pas su déjouer suffisamment les manœuvres de forces contraires qui ont constamment voulu empêcher que ne s’organise réellement le débat de fond sur la gouvernance du pays. Beaucoup de choses ont changé ces dernières années, mais le devoir de mémoire et la volonté d’aller de l’avant nous imposent encore de nous regarder en face et d’assumer collectivement notre Histoire.

 

Des occasions manquées

La Conférence nationale souveraine de 1991 devait être une belle occasion de refonder l’État sur des bases authentiquement nigériennes. Nous espérions que toutes les communautés qui forment le peuple nigérien allaient exprimer souverainement leur volonté commune de construire des institutions capables de leur assurer un développement harmonieux dans le respect de leurs spécificités. C’est la facilité du statu quo qui l’a emporté, et ainsi la Conférence nationale fut un échec sur ce plan. La classe politique issue de cette Conférence nationale n’a pas su non plus innover dans sa pratique et a perpétué les mêmes erreurs d’analyse et de gestion que celle qui l’avait précédée et qui avait été formée à l’époque coloniale.

Bien que le processus démocratique né de cette Conférence ait permis l’émergence d’une multiplicité d’acteurs politiques nouveaux, il n’a pas donné de résultats probants en matière de pluralisme d’idées et encore moins de projets de société. La plupart des partis politiques issus de cette « ouverture démocratique » ont dupliqué les mêmes méthodes et perpétué l’esprit clientéliste que l’ancien parti unique avait érigé en dogme. Au Niger, l’engagement en politique semble demeurer essentiellement un moyen d’accéder aux avantages que procure le pouvoir : marchés publics pour les uns ; postes lucratifs pour les autres.

Dès lors, cette classe politique élargie n’avait manifestement, à l’instar de la précédente, pas davantage la capacité d’imaginer et de proposer une politique pragmatique et responsable qui aurait pu permettre de mettre un terme au climat de tension né de la mal-gouvernance postcoloniale.

La question touarègue avait été débattue lors de cette Conférence à la suite des massacres de Tchin-Tabaraden au printemps et en été 1990. Ces massacres, qui ont causé la mort de 600 personnes, selon Amnesty International, plus de 1 700 selon d’autres sources, n’ont toujours pas fait l’objet d’un traitement judiciaire, malgré le travail remarquable accompli par la Commission Crimes et Abus mise en place par la Conférence nationale. Les élites politiques du moment n’ont pas jugé utile de se pencher sérieusement sur les raisons qui avaient poussé une partie de la jeunesse touarègue à s’exiler en Libye, en Algérie, au Nigeria… dès les années 1970. Ainsi, face à ce silence suivi d’une volonté manifeste de certains de « casser du Touareg », la naissance des premières organisations politico-militaires devenait du même coup inévitable. Aucune disposition n’a été prise pour apporter des réponses appropriées aux questions qui se posaient alors sur la place de la communauté touarègue au Niger. Ce sentiment d’injustice a été aussi partagé par l’ensemble de la communauté touarègue au-delà de la population de l’Azawagh.

Ainsi beaucoup de Nigériens trouvent encore illégitimes les revendications du Mouvement touareg, car ils n’ont pas conscience de la terrible marginalisation dont a souffert cette communauté depuis la création du Niger. Une stigmatisation multiforme doublée d’une méfiance irrationnelle durant les années 1970-1980 avait fini par installer un climat intenable, notamment dans la région de l’Azawagh. Des contrôles d’identité au faciès étaient régulièrement pratiqués comme si certains faciès pouvaient être moins nigériens que d’autres ! Des ressortissants de certains pays voisins pouvaient dès lors plus facilement accéder à des emplois dans les sociétés minières de l’Aïr que les natifs de cette même région. Et cette pratique est devenue systématique au fil du temps. De plus, si ces extractions minières profitent assurément à certains, il n’est pas moins sûr que les natifs en question, ainsi que leur milieu de vie, supportent les conséquences d’une terrible pollution sans moyens pour la juguler…

Malgré la stigmatisation, la répression, les massacres et les violations de leurs droits les plus élémentaires, les Touaregs n’ont pas pris les armes contre le Niger, leur pays. Ils n’ont jamais désigné telle ou telle communauté nationale comme responsable de cette situation. La communauté touarègue a interpellé un système qui avait montré ses limites dans sa capacité à mener le pays sur la voie d’un développement équitable entre les différentes régions du pays.

Dans ces moments les plus tragiques, la France et l’Algérie se sont très vite chargées du dossier et ont poussé les protagonistes à la signature d’accords de paix censés mettre fin à l’ « insécurité dans la zone ». La manière dont ces accords ont été préparés et signés mettait en évidence certaines faiblesses du Mouvement touareg, qui s’est ainsi laissé enfermer dans une logique exclusivement sécuritaire en faisant de l’intégration des combattants une fin en soi et hélas ! son seul acquis tangible. Il n’est pas inutile de rappeler que si ces mesures ont été adoptées, c’est surtout parce que l’État n’a pas su, au moment donné, traiter les citoyens avec l’équité qu’on pouvait attendre. Ces intégrations ne furent finalement qu’un écran de fumée, car le système qui génère les injustices et les inégalités des citoyens peine encore à évoluer et à se remettre en question.

On constate aujourd’hui que les recrutements au sein des différentes institutions de l’État, y compris l’armée, restent toujours problématiques quant au respect des équilibres et de l’équité entre les communautés nationales. S’il est donc parfois nécessaire de passer par des mesures symboliques et fortes pour faire évoluer les mentalités (intégrations, nominations), la question de fond demeure celle d’un partage structurel de la décision politique, donc de la juste répartition des pouvoirs au sein des institutions de l’État.

De manière globale, l’Algérie et la France, en favorisant uniquement l’aspect sécuritaire des accords de paix, avaient choisi d’occulter la dimension politique de la question touarègue qui n’a du coup pas pu être traitée. Cette question fut l’objet d’une déshérence totale. De plus, l’avènement de la décentralisation n’a pas encore permis de décrisper l’ambiance générale et de libérer les initiatives. L’État et son système continuent à exercer une pression négative sur la vie locale limitant ainsi l’impact de la décentralisation sur la qualité de la gouvernance. D’ailleurs, le même schéma se retrouve au Mali voisin, alors que la question y a pris une dimension internationale beaucoup plus importante, l’évolution sur le terrain ayant été plus dramatique, avec le massacre de plusieurs milliers de civils Touaregs et Maures par l’Armée nationale et ses milices parallèles. L’émergence spectaculaire de l’Azawad comme acteur désormais incontournable constitue un acquis pour l’ensemble des peuples de la région sahélo-saharienne.

Les réponses envisagées par le Niger et les pays impliqués dans la résolution de ce conflit, comme la France, l’Algérie et la Libye d’alors, se sont également caractérisées par des manœuvres clientélistes, illustrant assez bien l’absence de réelle volonté politique. L’insatisfaction consécutive à la signature des accords de paix de 1995 explique les actions sporadiques enregistrées par la suite et qui ont provoqué leur lot de violations des droits de l’Homme et leur cortège d’arbitraires. Une attitude qui demeure une constante à travers les générations, les pouvoirs en place et les mouvances politiques.

Violemment stigmatisées, les élites touarègues n’ont pas su faire preuve d’audace dans la cohérence de leurs convictions et de leur action politique, car, pour être simplement admises, elles devaient apparaître dans le paysage national comme des pions décoratifs, mais sans pouvoir réel. En effet, le noyautage de l’État par des clans fermés et sans véritable projet a longtemps empêché l’émergence d’une gouvernance plus ouverte permettant une compétition saine et loyale au sein de l’élite politique du pays.

 

Des reforme audacieuses pour une meilleure gouvernance dans la stabilité et pour l’unité du pays.

Il semble évident que ce que nous venons de décrire plus haut ne peut être modifié que si la force d’inertie ambiante et la puissance des incantations généralisées cessent de focaliser leurs aigreurs sur des hommes et des femmes impuissants censés représenter la communauté touarègue. Ces représentants ne s’autorisent toujours pas à exprimer ouvertement les attentes des populations concernées. Les députés, les maires et les chefs traditionnels de nos régions n’ont pas joué suffisamment leur rôle et demeurent souvent involontairement trop éloignés des véritables centres de décision.

La solution ne peut venir que de notre affranchissement des pratiques passées et de notre farouche certitude qu’il ne peut en être autrement. Faisons preuve d’audace dans la mise en cohérence de nos convictions à tous, que nous soyons originaires du Nord ou du Sud et contribuons ainsi à la construction d’un nouveau pacte national et républicain. Il est urgent de briser certains tabous concernant l’organisation entre l’État et les régions pour mieux assurer la prise en compte de nos diversités, dans les politiques publiques de développement par exemple. Notre patriotisme se mesure aussi au degré d’attachement que nous maintenons à nos cultures et à nos régions.

Pour mettre un terme à toute tendance à la cristallisation des tensions et à la crispation des esprits, le pays a besoin d’une réforme profonde de son système politique. Pour cela, les Nigériens devraient accepter de s’asseoir autour d’une table et jeter les bases d’un véritable pacte national construit par la volonté de l’ensemble des composantes ethnoculturelles qui font le Niger d’aujourd’hui. À travers cette démarche, il s’agira de s’adresser à la conscience nationale de chaque Nigérien pour faire évoluer un pays sclérosé par un système figé depuis l’Indépendance. Cela permettra à tous les citoyens de prendre part à la construction d’un destin commun, structuré au sein d’une entité étatique pensée et voulue par toutes les composantes du pays. En effet, quoi que l’on puisse dire, le Niger reste encore un projet que les différentes composantes nationales se doivent de structurer et de faire vivre pour que naisse demain un pays dans lequel aucune communauté ne se sentirait investie de la mission d’administrer les autres, et où aucune autre ne pourrait s’estimer mise à l’écart pour d’obscures raisons liées à l’héritage colonial.

Le Mouvement touareg, tant décrié par des esprits étriqués et incapables de recul, n’en est pas moins caractérisé par des exigences démocratiques et de bonne gouvernance. Il s’agit, en effet, d’une question qui mérite un traitement sérieux et moins passionné. Il apparaît, en effet, illusoire de vouloir stabiliser le Niger et de le construire sans apporter au préalable une réponse politique claire et sans ambiguïté aux injustices subies par cette communauté depuis la création du pays. Le Mouvement touareg a le mérite, par conséquent, de questionner la manière dont l’État gère la coexistence des différentes communautés qui composent le peuple nigérien.

Cinquante ans après l’Indépendance, nous continuons encore à singer vulgairement les institutions de l’ancien colonisateur et sommes encore incapables d’imaginer une organisation politique respectueuse de nos propres réalités. Par cette insuffisance, nous contribuons, volontairement ou non, à entretenir cette situation d’instabilité que connaissent nombre de pays africains. D’autant plus que certaines de nos régions sont sujettes à des convoitises qui entretiennent le désordre ou l’anarchie afin de contrôler plus aisément l’exploitation de leurs ressources… Pour faire face à cette réalité le Niger se doit de mieux adapter sa politique et son action diplomatique aux réalités géostratégiques en définissant un positionnement clair et pragmatique par rapport aux autres acteurs régionaux et internationaux engagés dans la bande sahélo-saharienne. Bien plus que par le passé, cette question se pose dans un contexte international caractérisé par un intérêt grandissant des puissances internationales et régionales pour le sous-sol et le positionnement géostratégique de cette partie du Monde.

Afin d’endiguer les sources des tensions politiques liées aux questions de gouvernance, l’État devrait se remettre en question et impulser une nouvelle évolution institutionnelle, y compris sur sa forme elle-même. L’autonomie des Régions et le fédéralisme ne devraient plus constituer des sujets tabous, dès lors que le pays est assuré de son intégrité territoriale. La décentralisation poussée qui se met laborieusement en place depuis quelques années devra aboutir, à terme, à cette réorganisation de l’État qui correspondrait plus à la réalité géographique, historique et culturelle de nos régions. C’est la nature même du pays qui exige une évolution vers un système de ce type, basé sur la prise en compte des spécificités de nos régions naturelles. Il s’agira aussi pour le pays d’oser des réformes importantes sans être sous la pression de situations de crise. Cela pourrait aboutir à donner à nos régions naturelles un statut administratif et permettrait ainsi de corriger les effets pervers des découpages actuels essentiellement issus de la période coloniale. Cet héritage colonial dont les conséquences continuent à brider les initiatives dans le domaine économique, social et culturel.

L’exemple qui me vient à l’esprit, et dont la pertinence semble de plus en plus évidente est celui de l’Azawagh. La même situation se retrouve naturellement dans plusieurs autres régions du pays dont les contours administratifs constituent un frein à l’essor économique et culturel car ils ne correspondent pas à la représentation que s’en font les ressortissants. Ce type de réforme administrative représente un levier non négligeable et généralement reconnu par les experts pour accélérer et rationaliser les politiques publiques de développement et de sécurité.

De manière concrète et pragmatique, ces reformes pourraient se traduire aussi par la création ou le renforcement d’infrastructures régionales de base qui constitueraient des unités de développement. Des embryons de ces infrastructures existent déjà, mais ne sont aujourd’hui que des relais d’une administration encore trop centralisée. Les directions régionales de certains services devraient disposer d’une autonomie d’action et de financement qui leur permettrait de s’ancrer réellement dans leurs environnements économiques et culturels. Cela pourrait désamorcer durablement les tensions nées de la mal-gouvernance et des insuffisances de l’Etat central. Cette approche pourrait être même envisagée dans le domaine sécuritaire par une rationalisation des moyens humains et matériels dans le but d’optimiser et de mettre en cohérence les stratégies de l’Etat en matière de défense et de sécurité.

La place qui a été faite à la culture touarègue au cours de ces années dans les médias publics constitue également un scandale eu égard au poids démographique de cette communauté nationale et à sa présence sur la quasi-totalité du territoire national. On peut également déplorer le désintérêt total des élites pour l’alphabet tifinagh, l’un des deux alphabets dont l’Afrique peut s’enorgueillir (l’autre alphabet étant utilisé en Éthiopie). Cet alphabet amazigh a été surtout conservé par les Touaregs au fil des millénaires et le Niger abrite la communauté touarègue la plus importante en nombre au Monde. Le Niger est donc fondé à faire des Tifinagh un alphabet national qui pourrait constituer un des ciments de la construction nationale. Un usage, même symbolique, sur les frontons des édifices et dans la signalisation publique suffirait à convaincre de la bonne volonté et de la hauteur d’esprit de la classe dirigeante et à donner un plus formidable à ce pays traité par les statistiques des institutions internationales comme l’un des plus pauvres du monde.

Afin de mener à bien ces réformes fondamentales, le pays à l’instar de certains de ses voisins pourrait convoquer une conférence de refondation nationale. L’objet de ce nouveau forum serait de terminer le travail d’assainissement de notre mémoire collective et de jeter les base d’une nouvelle république dotée d’une Constitution qui aura fait l’objet d’un réel débat national. Il revient à la classe dirigeante de déterminer les modalités pratiques de cette refondation de l’Etat nigérien en commençant par restituer au peuple sa souveraineté afin de décider librement du mode d’organisation qu’il souhaite donner au pays.

La société civile nigérienne devrait cultiver davantage son indépendance et renforcer sa vigilance pour empêcher que des politiciens irresponsables n’engagent le pays dans une fuite en avant qui ne pourrait déboucher que sur des impasses. Dans son expression locale et nationale, la société civile pourrait s’emparer de ce débat et allier la vigilance démocratique à une forme de culture de proposition afin de contribuer à améliorer les règles qui présideront à la refondation et au fonctionnement des institutions de l’Etat.

L’élite touarègue elle-même, peine encore à se poser comme telle en s’appuyant sur sa propre légitimité et sur les outils de la vie politique traditionnelle consolidée par les récents acquis démocratiques. Cette élite, dans ses composantes modernes et coutumières, joue difficilement son rôle car encore marquée par le poids du passé. Elle demeure encore enfermée dans une attitude de résignation, voire de soumission à un système dans lequel elle tarde encore à trouver sa place.

L’option militaire a contribué à faire prendre conscience des dysfonctionnements de l’Etat, dans sa gestion de l’équité entre les différentes composantes nationales. Il est vite apparu que les réalités nationales et internationales ne permettent pas une issue militaire et qu’il revient aux acteurs politiques de créer les conditions d’une paix durable en apportant des réponses appropriées aux questions soulevées. Le discours sur la paix ne devrait cependant pas être un slogan destiné à bloquer le débat sur la gouvernance et la manifestation de certaines vérités. L’impérieuse nécessité d’une justice crédible nous impose de nous questionner sur les responsabilités et les dérives de la classe dirigeante dans sa gestion de l’Etat.

La célébration du 24 avril 1995, destinée à marquer le retour de la paix entre l’État et la communauté touarègue, devrait être associée à la commémoration du 7 mai 1990, cette journée noire qui a inauguré le début des massacres dits de Tchin-Tabaraden. Nous devons penser aux innocentes victimes d’une barbarie que nous souhaitons être d’un temps totalement révolu, mais nous ne devons jamais oublier. Faisons tous en sorte que ce qui a été considéré comme une Journée noire ne se reproduise plus jamais.

Abdoulahi ATTAYOUB

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Lyon (France)                                                                                                                                                                    avril 2017

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               * Ce texte reprend des éléments d’un autre publié en juillet 2007 sous le titre : « Face à la question touarègue, l’État nigérien manque décidément d’imagination »