Avant d’abattre les sacrifices, les touaregs leur appliquent du khôl sur les yeux, un rituel qui peut paraître insolite mais dont la motivation est louable. Ce trucage vise, en effet, à épargner aux bêtes la vue de celui qui va les abattre.
Chez les Touaregs, une communauté de 1.5 millions de personnes répartie sur cinq pays de la bande sahélo-saharienne, la fête de l’Aïd al-Adha, appelée Amoud Wane Tisabdar en tamasheq local, rime avec solidarité comme chez toutes les communautés musulmanes du monde.
C’est aussi l’occasion d’entendre les percussions du Tindé (proche du tam-tam) local et de se délecter à l’écoute des Iswat (chants traditionnels). Khôl pour les moutons et henné pour les femmes, viennent enfin parachever les contours d’une célébration universelle, et pourtant si originalement fêtée par les Touaregs.
Un jour avant la fête de l’Aid, les Touaregs donnent l’aumône sous forme d’argent ou d’animaux (Timoukassen), de graines de riz ou autres (Tanafaghaten), explique à Anadolu, Zouda Ag Doho, Professeur en histoire et géographie à Gao, dans le Nord du Mali.
Le jour de l’Aïd commence par la grande prière suivie par un échange de visites entre parents et proches, une occasion pour aplanir d’éventuel conflits et se réconcilier avec ses semblables.
Avant d’abattre les sacrifices (moutons ou chèvres), les Touaregs leur appliquent du khôl sur les yeux, un rituel qui peut paraître insolite mais dont la motivation est louable. Ce trucage vise, en effet, à épargner aux bêtes la vue de celui qui va les abattre, explique à Anadolu, Mohamed Elansari, vice-directeur du centre des recherches culturelles de Tombouctou (Nord).
Une partie de la viande est utilisée pour le repas du jour, soit pour le Tajila (viande grillée dans le sable et accompagnée de pain) ou l’Alabadja, un plat à base de riz et de viande.
Le reste de la viande est distribué aux voisins et aux personnes démunies, indique Mohamed, un ressortissant de Tombouctou. « On ne garde que la viande que les voisins nous offrent à leur tour », précise-t-il ajoutant que c’est « un moyen de renforcer les liens et de se faire pardonner par Dieu ».
Dès l’après-midi, on commence à faire la fête au rythme du Tindé accompagné de chants traditionnels. Les festivités se prolongent jusqu’à quatre jours après le jour du sacrifice.
Si les Touaregs mettent du Khôl sur les yeux des moutons, leurs femmes se mettent, elles sur leur trente et un pour fêter l’Aïd. Elles se teignent les cheveux au Henné et se font des coiffures recherchées avec des tresses enroulées recouvertes d’un « N’Gofa » (parure de tête en or et argent ornementée de pierres), indique à Anadolu, Balkissa Walet Mohamed, styliste designer, spécialiste de la mode touareg.
Oumar Ag Idoual, poète et enseignant de français dans la commune de Tin-Aicha (Cercle de Goundam-nord du Mali), relève, pour sa part, que les Touaregs font tout pour faire durer les festivités. « Ils commencent, en effet, à préparer la fête bien avant le jour de l’Aïd et prolongent les festivités jusqu’à plusieurs jours après », explique-t-il.
Des spectacles de danse et de chants se tiennent tous les soirs alors que des courses de chameaux sont organisées un peu avant la tombée de la nuit et ce durant les trois jours après l’Aïd, précise-t-il.
Ces trois jours de fête, appelées Tamakanit («meilleurs moments de l’année » en Tamasheq), sont minutieusement préparés une semaine avant le jour de l’Aïd par les notables et chefs de villages et de communes d’une même province, précise Ag idoual.
Un intérêt qui s’explique notamment par l’importance de ces festivités en tant qu’espaces appropriés pour consacrer les échanges en tout genre. Ces événements sont, en effet, l’occasion pour certains de vendre leurs chameaux et pour les célibataires de faire des rencontres.
Ces traditions sont partagées par la plupart des Touaregs, encore que certaines régions revendiquent des spécificités, explique Zouda Ag Doho. Ainsi à l’ouest de Tombouctou, à partir de Gao et jusqu’à Tamanrasset en Algérie, les jeunes hommes passent de tente en tente, à l’occasion de l’Aïd, pour chanter, on leur offre ensuite des animaux, des parfums, du thé et du tabac.
A l’est, dans la région d’Agadez (Nord du Niger), une grande procession est organisée durant le troisième jour de l’Aïd, les fidèles sillonnent la ville au son des tambours tout en dansant, indique encore Ag Doho.
Bien qu’attachés à son patrimoine et ses habitudes, facteurs qui font son unité et sa force, le peuple touareg, réparti sur les cinq pays de la bande sahélo-saharienne (Mali, Niger, Burkina Faso, Algérie et Libye), a, quand même, perdu certaines au file du temps. Il en est de même pour la fête du sacrifice, note Zouda Ag Doho. « La caravane des peaux », rituel qui consistait pour les femmes à aller de tente en tente pour ramasser les peaux des bêtes sacrifiées (utilisées ensuite pour la confection de tentes et de coussins) a ainsi disparu au file du temps tout autant que le partage par deux ou plusieurs familles d’un même sacrifice.
Mohamed Ag Ahmedou et Nadia El CHAHED
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