Il se passe quelque chose au centre de notre Galaxie

Le trou noir géant situé au coeur de notre galaxie semble soudain s’être réveillé et dévore toute la matière qui passe à proximité. Un tel regain d’activité laisse les astrophysiciens perplexes.

Le centre de la Voie lactée (mélange d?images de Hubble, Spitzer et Chandra) abrite Sagittarius A*, un trou noir de plus de 4 millions de fois la masse du Soleil.
Le centre de la Voie lactée (mélange d?images de Hubble, Spitzer et Chandra)
abrite Sagittarius A*, un trou noir de plus de 4 millions de fois la masse du Soleil.

Un monstre que l’on croyait dormant et presque anorexique semble se réveiller. Depuis quelques mois, les astronomes ébahis qui l’observent via les satellites assistent à une brusque accélération d’émission de flashs de rayons X. Ce monstre, c’est Sgr A (Sagittarius A*), le trou noir géant qui se trouve au centre de notre galaxie, à 27.000 années lumière, et dont la masse équivaut à 4,3 millions de fois celle du Soleil. Et cette succession de flashs prouve qu’il est en plein festin, dévorant de la matière. En effet, au voisinage d’un trou noir, celle-ci s’échauffe, se déforme et finit par être ingurgitée en décrivant une spirale… Mais avant de disparaître à jamais, elle forme un disque qui rayonne autour du trou noir.

C’est même ainsi que l’on détecte ces astres qui ne laissent rien échapper, ni matière ni lumière. Si ce festin intrigue tant les astrophysiciens, c’est que, pendant longtemps, le trou noir de notre galaxie semblait avoir piètre appétit ou peu de choses à se mettre sous la dent. En effet, depuis sa première détection en onde radio (1974), les chercheurs avaient établi qu’il rayonnait 100 milliards de fois moins que ce qu’il pourrait. Sa lumière étant très faible, ils en déduisaient que Sagittarius A* n’avait rien à « manger » ou très peu. Que se passe-t-il donc qui puisse justifier un tel regain d’activité ? Ce n’est pas la première fois qu’il « éructe ». Mais jamais avec autant de force.

Il y a 23 ans en effet, l’instrument français Sigma, monté sur le satellite russe Granat, avait déjà capté un rayonnement gamma. Mais la résolution de Sigma ne permettait pas de repérer où ce phénomène se produisait exactement. Dès 1999, les satellites européen XMM-Newton et américain Chandra ont pris le relais. Depuis 16 ans, ils pointent régulièrement leur nez vers le centre galactique et détectent de temps en temps des flashs de lumière X d’une durée de quarante minutes à une heure, dont la luminosité n’est pas constante. Certains sont assez faiblement lumineux, d’autres très brillants. Et c’est en analysant toutes les données recueillies que l’équipe menée par Gabriele Ponti, de l’Institut Max-Planck de Garching (Allemagne), s’est rendu compte du brusque changement : le taux de flashs brillants ou très brillants a été multiplié par dix. Alors qu’il y en avait en moyenne un tous les quatre jours jusqu’en 2013, le taux est monté à 2,5 par jour depuis l’été 2014 !

FLOU. « Il se passe quelque chose au centre de la Galaxie« , déclare Andrea Goldwurm, du Laboratoire astroparticule et cosmologie (APC) de l’université Paris-Diderot et coauteur de l’étude. Pour l’heure, les astronomes ont du mal à y voir clair, au sens propre comme au figuré. Chandra ne permet pas en effet de repérer des détails de moins de 0,5 seconde d’arc et la résolution de XMM- Newton est deux fois moindre. À la distance qui nous sépare du centre galactique, cela représente environ 500 milliards de kilomètres ou 20 jours-lumière. Or, il s’agit d’une région très dense. À moins d’un mois-lumière du trou noir et de son disque de matière — dit disque d’accrétion car il accumule le futur festin de Sgr A* — gravitent une centaine d’étoiles, dont certaines, très actives, s’approchent à quelques heures-lumière à peine. Dès lors, pas facile de distinguer d’où sont émis les flashs de rayons X observés par XMM-Newton et Chandra.

Un festin de nuages gazeux

Dans un article issu de l’Astrophysical Journal, Ya-Ping Li, de l’université Xiamen à Fujian (Chine), et ses collègues américains et allemands émettent cependant plusieurs hypothèses. L’une d’elles suggère qu’il pourrait s’agir d’un endroit plus chaud qu’alentour, qui tournerait dans le disque de poussières et de gaz entourant le trou noir. Si tel était le cas, les flashs devraient alors être visibles périodiquement quand le point chaud serait détectable par les instruments. Problème : ces flashs semblent aléatoires et non périodiques. Autre hypothèse émise par Ya-Ping Li : la présence intermittente de jets de matière turbulente. Mais Andrea Goldwurm a une tout autre idée, celle d’un festin dont le plat principal serait un nuage de gaz : « Il ne faut pas oublier que SgrA* avale en ce moment le nuage G2. » Ce qui pourrait expliquer bien des choses.

Ce nuage — ou cette étoile entourée d’une atmosphère diffuse — découvert en 2012 par Stefan Gillessen de l’Institut Max-Planck, a commencé à passer au plus près du trou noir début 2014… soit six mois à peine avant que le taux de flashs X brillants décuple. « Il y a sûrement un lien de cause à effet, pense le chercheur qui établit des scénarios mais reste perplexe. Il faut en effet plusieurs dizaines d’années, et non quelques mois, pour que du gaz situé à 20­ heures-lumière tombe dans le trou noir. Nous pensons donc que ce sont plutôt les chocs entre des morceaux de G2 et le disque d’accrétion qui produisent ces flashs de rayons­X. »


Le nuage de gaz G2 a été découvert en 2012 par Stefan Gillessen de l’Institut Max-Plank (Garching, Allemagne), Son évolution près du centre galactique a été simulée par l’astronome allemand Marc Schartmann. En janvier 2013, le nuage s’approchait du trou noir supermassif Sagittarius A*. En juin 2014, une grande part était déjà passée au plus près du trou noir. En janvier 2016, la tête du nuage commence à revenir vers le centre.

ÉRUPTIONS. Ainsi, quand la matière de G2 arrive aux abords du disque, les collisions entre les deux flots accéléreraient les électrons présents dans le champ magnétique, ce qui leur ferait émettre soudainement cette lumière X si particulière, appelée lumière synchrotron. Une hypothèse partagée par Stefan Gillessen : « Je pencherais aussi pour des perturbations dans le disque d’accrétion. Comme Ya-Ping Li l’écrit, de par leur forme et leur énergie, les flashs ressemblent plus à des éjections de matière alimentées par le champ magnétique comme le sont les éruptions solaires. » Reste que ces hypothèses se fondent sur des données et des connaissances partielles. Les télescopes Chandra et XMMNewton n’ont observé le centre galactique — et donc les flashs— que durant quelques jours au total sur seize ans. Ils ont pu rater nombre d’entre eux, et le peu de données empêche de savoir si les flashs sont uniques ou émis en groupe. Il faut donc plus d’éléments pour répondre à la question.

Autre biais possible : l’augmentation du nombre de flashs ne serait-elle pas due à la multiplication des observations faites durant la période 2013-1015 du fait de la présence actuelle de G2 ? L’hypothèse n’est pas à écarter. Le sommeil de la raison engendre des monstres, titrait le peintre Goya en 1797 l’un de ses dessins. Pourtant, le réveil du monstre a bien une raison. Qu’il reste à trouver.

Jacques-Olivier Baruch

Source : http://www.sciencesetavenir.fr/espace/astrophysique/20151230.OBS2093/il-se-passe-quelque-chose-au-centre-de-la-galaxie.html?xtor=RSS-9