La finance islamique pèse plus de 2000 milliards de dollars

FOCUS- En plein boom, cette finance basée sur les principes de l’Islam, connaît un fort développement. Comment fonctionne-t-elle ? A qui s’adresse-t-elle ? Explications.

Il y a quelques jours se tenait à Dubaï la 10e édition du Forum Islamique Economique Mondial (WIEF), un événement qui a réuni de nombreux acteurs de la finance islamique. Basée sur les principes de la loi islamique (charia), cette dernière connaît une croissance effrénée, plus importante que celle de la finance conventionnelle.

• Qu’est-ce que la finance islamique?

Apparue en 1975 à Dubaï avec la Dubai Islamic Bank, cette finance impose le respect de plusieurs principes religieux fondamentaux dans l’Islam: l’interdiction du «riba» (l’intérêt assimilé à l’usure), du «gharar» et du «maysir» (l’incertitude, la spéculation), du financement d’activités «haram» (alcool, viande de porc, pornographie…). La finance islamique fonctionne également sur le principe de la «Moucharaka», c’est-à-dire le partage des profits et des pertes entre les différentes parties, ainsi que l’obligation d’investir dans l’économie réelle via des actifs tangibles. En théorie, les produits dérivés sont donc interdits. Par ailleurs, des conseils, formés de docteurs en religion islamique, sont chargés d’examiner dans chaque établissement la conformité des produits proposés.

• Quels sont les instruments financiers proposés?

L’un des principaux instruments est la «Mourabaha», une forme d’emprunt sans intérêt. Son principe: lorsqu’un client veut acheter un bien, la banque en fait l’acquisition à sa place. Le client lui rembourse ensuite en une ou plusieurs fois le montant du bien, majoré d’une commission déterminée à l’avance et qui reste fixe. A l’échéance du contrat, la banque transfère la propriété du bien à son client. Un des autres produits phare est l’ «Ijara», une sorte de crédit-bail: comme dans la Mourabaha, la banque acquiert le bien. Mais cette fois, elle ne le revend pas au client. Elle le lui donne en location, avec possibilité de rachat au terme du contrat. Autre produit phare: la «Moucharaka»: deux partenaires investissent ensemble dans un projet. Les profits comme les pertes sont partagés en fonction du capital investi par chacun. Reste enfin les «Sukuk», assez proches des obligations proposées par la finance conventionnelle.

• La finance islamique est-elle réservée aux Musulmans?

Pas seulement, selon les experts. Cette finance se base sur des principes éthiques universels de responsabilité et d’absence de spéculation, rappellent-ils. Toutefois, ce sont bien les 1,6 milliard de Musulmans à travers le monde qui sont prioritairement visés.

• Que représente la finance islamique à l’échelle mondiale?

Depuis sa création, la finance islamique a connu une croissance exceptionnelle. Le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et d’autres organismes financiers internationaux estiment que les avoirs des banques islamiques ont été multipliés par neuf à 1800 milliards de dollars entre 2003 et 2013, soit une progression de 16% par an. Ils dépasseraient actuellement les 2000 milliards. Plus de 40 millions de personnes dans le monde sont actuellement clientes d’une banque islamique. Ce secteur va encore doubler de volume à 4000 milliards de dollars en 2020, selon des experts.

• Où se situent ces avoirs?

L’Iran détient environ 40% des avoirs des banques islamiques, l’Arabie saoudite 12% et la Malaisie 10%. Globalement, les banques islamiques sont situées à 60% dans le Golfe persique, à 20% en Asie du Sud et à 20% dans le reste du monde.

• Pourquoi ce succès?

«En dépit du fait qu’elle soit régie par de stricts principes religieux, cette activité reste très souple et moins risquée. C’est ce qui l’a aidée à se développer rapidement et à répondre à différentes demandes», assure l’économiste koweïtien Hajjaj Bukhdur. En plus de la manne financière qu’elle représente, la finance islamique jouit d’une forte crédibilité, renforcée pendant la dernière crise économique à laquelle elle a mieux résisté que les banques conventionnelles. «Les banques islamiques ont su éviter les pires conséquences de la crise financière de 2008 parce qu’elles n’étaient pas exposées aux ‘subprimes’ et aux créances toxiques et qu’elles ont maintenu un lien fort avec l’économie réelle», affirmait Mahmoud Mohieldin, directeur général de la Banque mondiale, dans une récente étude. La force de la finance islamique provient du fait qu’ «elle ne traite pas les produits dérivés et ne s’adonne pas à la spéculation», ajoute l’économiste saoudien Abdulwahab Abu-Dahesh. «Avec de grandes réserves de fonds propres et de liquidités, les banques islamiques sont mieux outillées pour résister aux chocs du marché», estime de son côté le FMI.

Le secteur a toutefois lourdement souffert de l’effondrement de l’immobilier et d’autres secteurs économiques dans le Golfe pendant la deuxième phase de la crise.

• Le monde occidental est-il exclu?

Non, bien au contraire. La finance islamique avec son fort potentiel séduit de nombreux pays occidentaux qui cherchent à capter les revenus des investisseurs du monde arabe. La Grande-Bretagne est la plus entreprenante: en juin dernier, le pays est devenu le premier émetteur de «sukuk» en dehors des pays islamiques avec une émission de 323 millions de dollars qui a été 12 fois sur-souscrite. C’est aussi à Londres que s’est tenue la 9e édition du Forum Islamique Economique Mondial l’an dernier. D’autres pays européens se sont lancés dans l’aventure dont l’Italie où le nombre d’opérations d’investissements liées à la finance islamique a doublé cette année à un milliard de dollars. En France, les équipes de Nicolas Sarkozy ont mis en place fin 2008 «des aménagements fiscaux pour favoriser les montages de finance islamique afin d’attirer les investisseurs du Proche-Orient», explique Bercy. Plusieurs banques occidentales sont aussi présentes sur ce marché, comme Société générale, BNP Paribas, Crédit Agricole, mais aussi Goldman Sachs.

En France, trois cursus ont été ouverts pour enseigner les principes de la Finance islamique: l’un à Paris-Dauphine et deux autres à la faculté de droit de Strasbourg.

Le Figaro.fr