L’un des plus grands penseurs français du 20ème siècle, Paul Valery, définissait la politique, ironiquement, en ces termes : « La politique n’est rien d’autre que l’art de nous empêcher de nous ingérer dans les affaires qui nous concernent » ! C’étaitlà sans doute le contre-pied de la finalité dernière que les Anciens grecs voulaient assigner à l’art politique, c’est- à-dire en faire l’affaire de tous les citoyens, quelles que soient leurs origines sociales, leurs croyances religieuses ou encore leurs orientations sexuelles.
Cependant, lorsque l’art politique se mue en activité politique, se professionnalisant de fait, il devient alors impératif de tracer des lignes de démarcation très nettes entre la sphère proprement politique et un certain nombre de domaines au sein de la société qui devraient rester neutres face au jeu politique. Ces domaines ou ces institutions, du fait de leur spécificité qui leur confère un caractère national qui transcende tous les clivages, sociaux, politiques, religieux ou autres, sont appelés, couramment, apolitiques, c’est- à-dire que rien dans leur fonctionnement ne devrait faire apparaître une quelconque orientation politique ou partisane.
Au Niger, avec l’avènement du multipartisme au début des années 90, cette clarification fondamentale entre domaine politique et domaine apolitique a revêtu une importance capitale dans la sauvegarde de certaines valeurs nationales de premier ordre comme l‘unité nationale, la cohésion sociale, la fraternité, le patriotisme et bien d’autres principes marquants de notre identité nationale.
Toute la problématique du multipartisme intégral pour lequel notre pays avait opté un quart de siècle plus tôt consistait à éviter les écueils d’une politisation rampante de certains grands corps de l’Etat tels que l’armée, la police, la gendarmerie, en un mot, tous les hommes en uniforme, l’administration publique, l’école, la justice et les ordres professionnels tels que le Barreau, la Chambre des notaires et les médecins. Avions-nous réussi ce pari si crucial pour l’harmonie sociale ?
C’est à cette grande question que nous tenterons d’apporter des éléments de réponse à la lumière de faits récents qui ont émaillé l’actualité brûlante avec les sorties médiatiques du Syndicat Autonome des Magistrats du Niger (SAMAN), de l’Ordre des Avocats du Niger à travers la lettre du Bâtonnier au Ministre de la Justice dans l’affaire Hama Amadou, et enfin de l’Association Nigérienne de Défense des Droits de l’Homme (ANDDH) pilotée par l’inénarrable conseiller juridique d’un certain … Hama Amadou, Dr Djibril Abarchi.
La ‘’Lumanisation’’ rampante du SAMAN
S’il y a un seul corps au Niger qui aura grandement bénéficié des retombées démocratiques, c’est bien le SAMAN qui n’existait pas sous les régimes politiques antérieurs sous lesquels le Niger avait vécu, contrairement à l’Union des Scolaires du Niger (USN) et l’Union Syndicale des Travailleurs du Niger (USTN) qui furent à l’avant-garde de la lutte démocratique pour le multipartisme au Niger. On peut donc affirmer que le SAMAN est un pur produit de l’évolution démocratique du Niger, car il est inconcevable de bâtir un Etat de droit durable sans une justice véritablement indépendante, ce qui commence par la création d’un syndicat autonome des magistrats du Niger, avancée majeure pour un pays comme le nôtre.
Cependant, le SAMAN aura-t-il été véritablement à la hauteur des nombreuses attentes des démocrates nigériens assoiffés de justice ? Il faut, cependant, rendre hommage aux premiers dirigeants de ce syndicat à ses débuts, principalement le SG, Gayakoye et son adjoint Abdou Djibo, qui, quotidiennement, défiait les velléités de contrôle et d’inféodation de la justice par le régime de la Cinquième ré- publique. On se rappelle d’ailleurs que pour atténuer ou anéantir carrément l’influence du SAMAN sur les militants, Hama Amadou et son compère Elhadj Maty Moussa, Ministre de la justice à l’époque, avaient créé, de toutes pièces, un syndicat concurrent au SAMAN qui fut appelé SYMAN (Syndicat des Magistrats du Niger) dont les responsables n’étaient autres que des valets à la solde du régime en place !
Depuis cette époque dorée, le SAMAN se sera fourvoyé dans des combats qui n’étaient, visiblement, point les siens. Vous l’aurez constaté, avec le départ de Hama Amadou de la majorité présidentielle en 2013, subitement, le SAMAN s’est mué en une officine politique qui atteindra son apogée avec la demande ridicule de ce syndicat adressée au Président de la République aux fins ‘’ de mettre à la disposition de la justice ‘’ deux ministres de la République (Bazoum et Massaoudou) pour avoir simplement émis leur opinion sur certains dysfonctionnements de l’appareil judiciaire ! En réalité, qu’est-ce qui fait courir le SAMAN ?
Pourquoi s’agite-t-il tant et s’échine à monter au créneau pour un oui ou un non ? En effet, pour l’observateur de la chose politique point besoin d’être un devin pour découvrir les motivations profondes qui expliquent le dé- sarroi actuel du SAMAN. Comme vous le savez, dans le cadre de l’assainissement et de la moralisation de la vie publique nationale, les autorités de la Septième République ont initié la ligne verte qui est une institution chargée d’enquêter sur toutes les indélicatesses qui ont cours en milieux judiciaires. Voilà, l’alpha et l’oméga de toute cette agitation du SAMAN dont les membres se sentent inquiets par rapport aux résultats de cet assainissement..
Ce n’est point un secret au Niger, la justice était devenue, depuis un moment, une institution affairiste où le respect de la loi passerait après les espèces sonnantes et trébuchantes. Combien de fois en effet, des voleurs de deniers publics ont-ils pu échapper à la justice, simplement en rétrocédant ‘’une caution’’ pour bénéficier d’une liberté provisoire qui a toutes les allures d’un abandon des charges ? Du reste, la création de la ligne verte est une injonction des Nations Unies en direction de tous ses Etats membres afin de promouvoir la bonne gouvernance et l’état de droit à travers le monde, convention des Nations Unies contre la corruption ratifiée par notre pays à travers la loi N° 2008- 26 du 03 juillet 2008.
Ainsi, faute de pouvoir disposer d’éléments de droit susceptibles de rendre la ligne verte anticonstitutionnelle, les masques tombant les uns après les autres, nos chers magistrats du SAMAN ont trouvé la parade : rendre la ligne verte inopérante ! Quelle inconséquence de la part du SAMAN qui veut une chose et son contraire, c’est- à-dire l’indépendance de la magistrature et l’impunité des magistrats indélicats ! Pourtant, l’égalité des citoyens devant la loi exige que de la même façon que le magistrat applique la loi aux autres citoyens fautifs, que cette même loi s’applique aux juges lorsqu’ils sont confondus dans des impairs.
A ce que nous sachions, les magistrats, même si leur vocation est d’appliquer la loi, il n’en reste pas moins qu’ils ne sont pas au-dessus de celle-ci. Tout le problème du SAMAN est là, conformément à l’adage populaire qui enseigne ceci : ‘’L’assassin abhorre toujours le couteau’’ ou pour faire simple ‘’ à chacun son tour chez le coiffeur’’ ! En tout état de cause, séparation des pouvoirs pour séparation des pouvoirs, comme le SAMAN aime le claironner, la ligne verte est un organe purement administratif, et par conséquent, il ne revient point à un syndicat, fût-il celui des magistrats, de faire injonction au pouvoir exécutif quant à la nécessité de création de cette ligne verte.
En outre, nous avons été choqués et scandalisés par les propos du SG du SAMAN qui, avec emphase, invitait le procureur de la République à engager des poursuites contre ceux qu’il considère comme des ‘’délinquants’’ s’agissant des Ministres qu’il a, depuis longtemps dans sa ligne de mire ! Au nom de quoi et en vertu de quel pouvoir un syndicat peut s’arroger le droit et le pouvoir d’intimer des ordres au Ministère Public pour poursuivre des personnes ? Le SAMAN, simple syndicat des magistrats, n’a pas plus le monopole de la poursuite que l’USN, l’USTN ou n’importe quel autre syndicat du Niger.
En conclusion, on peut aujourd’hui affirmer sans risque de se tromper que le masque du SAMAN est tombé avec à sa tête les dirigeants actuels : c’est désormais un acteur politique affiché au Lumana, le parti de ‘’Séko’’ Hama Amadou. Après le SAMAN, venons-en à présent au cas du Barreau nigérien qui avait surpris plus d’un observateur par sa surprenante lettre adressée au Ministre de la Justice, relativement au transfèrement de Hama Amadou au camp pénal de Fillingué.
La faiblesse juridique du Bâtonnier
Rappelez-vous, dans notre dernière livraison, nous mettions en lumière les défaillances notoires des conseillers juridiques de Hama Amadou qui n’ont jamais su trouver la bonne alchimie pour tirer leur client d’affaire. C’est vrai, nous les avions trouvés d’une légèreté et d’une inconsistance lamentable et surtout affligeantes pour des avocats professionnels. Un bon étudiant de première année de droit, doué d’un minimum de bon sens, aurait certainement présenté une meilleure copie. Mais, à la lecture de la lettre du Bâtonnier au Ministre de la justice, nous avions compris qu’en réalité c’est toute la profession qui était en danger de nullité avancée.
En effet, le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats, confondant, sans doute, vitesse et précipitation, ou mieux encore prenant des vessies pour des lentilles, s’était cru obligé de s’ingérer dans une affaire purement personnelle qui ne concernait que Hama Amadou et ses conseillers. D’ailleurs, dans sa réponse au Bâtonnier, le Ministre de la Justice, Marou Amadou, avant d’apporter des élé- ments de réponse, n’avait pas manqué de relever quelques curiosités du ‘’courrier’’ du Bâtonnier : ‘’la lettre’’ du Bâtonnier était déjà largement diffusée sur les réseaux sociaux et dans certains médias de la place avant que le destinataire n’en entre en possession !
Le bâtonnier s’était fondé sur l’article 49 alinéa premier du décret n° 99/368/PCRN/MJ/DH du 3 septembre 1999 pour dénoncer l’arrêté de transfèrement de Hama Amadou pris par le Ministre de la justice. Au terme de cet article 49, il est bien précisé que ‘’ les transfèrements des détenus prévenus sont requis par les magistrats saisis de la procédure’’. Cet article est on ne peut plus clair, car, lorsqu’on parle de requérir, c’est qu’il y a bien une personne qui requiert et une autorité qui accorde ou qui refuse. Avant d’entrer dans les détails, il nous paraît judicieux de nous attarder sur la notion de transfèrement.
En effet, le transfèrement, communément appelé transfert, est le terme générique pour désigner toute opération de changement d’établissement, qu’elle émane de l’autorité judiciaire (translation judiciaire) ou de l’administration pénitentiaire (translation administrative). Dans le cas qui nous intéresse ici, nous sommes bien en pré- sence d’un transfèrement administratif qui relève de l’autorité administrative. Or, en tant que chef de l’administration pénitentiaire, le Ministre de la justice ne serait-il pas habilité à prendre un arrêté de transfèrement d’un détenu pré- venu ?
C’est ce que le Ministre de la justice a cru être en devoir de faire en considérant que l’arrêté de transfèrement était un acte purement administratif et non judiciaire. Du reste, même s’il s’agissait d’une véritable immixtion dans une procédure judiciaire de la part du Ministre de la justice, est-ce qu’il appartiendrait pour autant au Bâtonnier de le relever ? Le Bâtonnier avait-il simplement le droit de se substituer à la défense de Hama ou à la juridiction chargée du dossier, selon le principe sacro saint ‘’nul ne doit plaider par procureur’’ ? Alors, on peut se demander les véritables motivations du Bâtonnier dans cette affaire si ce n’est pas l’exécution d’un service commandé.
Combien de dé- tenus sont transférés quotidiennement par le même procédé sans que cela soulève l’ire de notre cher Bâtonni ? Visiblement, ici aussi il y a anguille sous roche. Hama Amadou serait-il plus justiciable que les autres ou auraitil plus de droits que les autres détenus transférés dans les mêmes conditions ? Pour finir, a l’endroit du Bâtonnier, nous avons envie de lui dire ceci : si réellement Monsieur le Bâtonnier nourrit de grandes ambitions politiques, qu’il se rende à l’évidence que le Barreau ne saurait servir de tremplin idéal pour cela.
Qu’il veuille alors descendre dans la fosse aux lions pour livrer son combat politique à visage découvert. Point de louvoiements, allons droit au but, comme disent les supporters de l’Olympique de Marseille, car à ce jeu ouvert tout le monde est gagnant. Après le SAMAN, le Barreau, pour clore cette dissertation, nous en venons au cas de l’ANDDH du conseiller juridique de l’ancien président de l’Assemblée Nationale, Hama Amadou.
L’ANDDH, une arrière-cour du Lumana !
Née dans le sillage de la revendication démocratique au début de la décennie 90, l’Association Nigérienne de Défense des Droits de l’Homme (ANDDH) fut longtemps un acteur majeur dans la défense et la promotion des droits de l’homme au Niger. Avec l’association Démocratie, Liberté et Développement (DLD) du vénérable professeur Yenikoye Ismaël et Garkoua Adam du sage Bagnou Bonkoukou, l’ANDDH formait avec ce trio d’association le bouclier antimissile des droits de l’homme au Niger. Ces associations pionnières de la société civile au Niger représentaient la conscience morale des démocrates nigériens.
Sous la conduite éclairée du sage Khalid Ikrit, l’ANDDH forçait le respect de tous par ses prises de position courageuses et impartiales pour exiger le respect des droits humains au Niger. Mais ça, c’était avant. Depuis son départ de cette association pour la Commission Nationale des Droits de l’Homme, belle promotion au passage, l’ANDDH n’est plus que l’ombre d’elle-même, réduite aujourd’hui à être un simple suppositoire d’une formation politique de la place, en l’occurrence, le Lumana, pour laquelle elle semble avoir pris fait et cause.
En effet, sous la conduite ténébreuse de Dr Djibril Abarchi, cette association aura vendu son âme au diable de la politique en discréditant totalement son discours et sa méthode dans la défense et la promotion des droits de l’homme au Niger. En se perdant dans les dédales de la politique politicienne, l’ANDDH aura tout simplement perdu le véritable sens de sa mission. Ses rapports réguliers sur la situation des droits de l’homme au Niger ont cessé depuis longtemps d’être objectifs, car faits à la tête du client.
En effet, que viendrait faire le Conseil Supérieur de la Communication dans cette histoire de droits de l’homme, lorsque l’on sait que c’est aux acteurs politiques ou syndicaux qu’il appartient de faire prévaloir leur droit de passage sur les médias publics ? Monsieur Abarchi se veut, aujourd’hui, le dénonciateur attitré des soidisant répressions policières contre des manifestants ou contre certains journalistes. Mais où était Djibril Abarchi, lorsque, sous le tazarché, les sbires de Tandja gazaient les démocrates nigériens qui manifestaient simplement et pacifiquement contre la remise en question de l’ordre constitutionnel ?
En sa qualité de défenseur des droits de l’homme, qu’a-t-il fait pour dénoncer toutes ces dérives autoritaires ? Sous la Cinquième République toujours, où se trouvait-il lorsque son patron Hama Amadou a jeté pas mal de journalistes en prison au terme de procès expéditifs, notamment Mamane Abou, Lallo Keita, Abdoulaye Tiémogo, Idrissa Soumana Maiga, Salif Dago, Zakari Alzouma et bien d’autres ? Moussa Kaka avait passé deux ans en prison sans que cela eût ému notre cher défenseur des droits du Lumana, pardon, des droits de l’homme !
Ce que l’on reproche à Abarchi, ce ne sont point ses convictions et choix politiques, car il est libre d’en avoir comme tout citoyen, en revanche, c’est surtout l’instrumentalisation de l’ANDDH à des fins politiques qui pose problème. Qu’il chante à tue-tête les louanges de son maître, Hama Amadou, qu’il dise de lui qu’il est le meilleur des hommes politiques nigériens, c’est son droit le plus absolu, quoique cela soit discutable, mais dans tous les cas cela ne mériterait point la potence !
Par contre, qu’il s’abrite derrière une association comme l’ANDDH pour distiller son combat politique, c’est à ce niveau que sa démarche devient condamnable, car il n’ya point de sélectivité dans les droits de l’homme, ils sont les mêmes pour tous sous toutes les latitudes et les longitudes.