Le salafisme vu par Hama Amadou …

Dans une interview moulée par Jean-Christophe Ploquin réalisée  au bar du Fouquet’s, à Paris le 15 septembre dernier et publiée par le Blog la Croix, Hama Amadou « a développé ses idées » sur plusieurs questions d’intérêt national. Survolant de l’économie à la politique en passant par la sécurité,  la population, le socioculturel,  cet entretien (repris par Niger Inter) se veut tout un programme du candidat annoncé à la présidentielle 2016. Ses propos sur le salafisme en Afrique de l’Ouest, objet de ce commentaire, nous paraissent assez excessifs et scandaleux. Tout au moins, on pourrait dire,  qu’il fait un procès d’intention à cette partie de la communauté musulmane qui prêche la bonne nouvelle et le civisme bien en phase  avec l’esprit de notre peuple.

En effet, Hama Amadou parle du salafisme en ces termes : « L’erreur des gouvernements antérieurs a été d’envoyer massivement des jeunes étudier la théologie en Égypte, en Arabie saoudite, dans les émirats du golfe persique. Quand ils revenaient, ils construisaient des mosquées et des médersas salafistes. On s’est rendu compte trop tard de la déstabilisation en cours, le mal était fait. Aujourd’hui, ils sont là. Sous couvert d’aide humanitaire, notamment dans des orphelinats, ils forment des jeunes, ils contribuent à renforcer le radicalisme alors que nos traditions n’avaient rien à voir avec les femmes en burqa. La Tidjaniya résiste mais les autres ont beaucoup plus de moyens et d’argent ».

Sur la base de quelle herméneutique se fonde cette affirmation de Hama Amadou ?

Quelles preuves a-t-on par exemple de la participation des salafistes nigériens dans les actions terroristes d’Aqmi ou Boko Haram ? En indexant l’humanitaire version islamique, Hama Amadou ne prône-t-il pas de jeter le bébé avec l’eau de bain au vu de la contribution substantielle des Ongs et associations islamiques pour le bien-être des populations ?

Dans un article intitulé : « L’Islam au Niger : éviter l’amalgame », publié par la revue Humanitaire, Dr Abdoulaye Sounaye – qui vient d’ailleurs de soutenir sa thèse d’habilitation à diriger des recherches en philosophie –  soutient rigoureusement : « Ce serait une grave méprise que de voir dans l’Islam politico-social nigérien un exercice de violence et de terrorisme comme celui que l’on associe généralement à Aqmi. Ce serait aussi, et très certainement, une façon de se tromper sur la généalogie du phénomène Aqmi en lui-même et de ses soutiens sahéliens. Nous avons besoin de sortir de ce prêt-à-porter explicatif pour comprendre la nature de la présence d’Aqmi dans cette partie du Sahel. »

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 Et ce chercheur qui force l’admiration d’ajouter en parlant du travail islamique de ceux que le politicien Hama appelle salafistes : « Cette revendication de l’Islam comme base exclusive de la morale publique va ainsi progressivement donner naissance à la société civile islamique, un corps d’organisations et d’acteurs religieux dont le projet s’énonce en termes de défense de l’identité islamique du Niger et la réalisation du bien commun selon un cadre normatif conforme à l’Islam. »

C’est justement cet amalgame qui explique certains stéréotypes sur les efforts de ces hommes et ces femmes qui ne visent qu’à vivre leur foi conformément aux enseignements du noble coran et la sunna du prophète Mohamed (SAW). Cette partie intégrante de la communauté musulmane au Niger est en train d’abattre un travail utile pour reformer notre société corrompue par les mauvaises pratiques des politiciens. Ces gens ont une vision faite de civisme et de responsabilité à l’égard des deniers publics.

Grâce à l’action de ces salafistes, au Niger chaque année il y a une tournée de solidarité islamique dans une région du pays,  où dans une sorte d’université d’été,  on enseigne les valeurs éthiques aux jeunes pour le bien de notre pays.

Que dire alors des actions humanitaires inhérentes aux initiatives salafistes au Niger ? Nous disons que l’humanitaire islamique a un impact réel sur le plan socioéconomique au Niger. Et les actions des Ongs islamiques sont comptabilisées par l’Etat dans le cadre de la lutte contre la pauvreté et le développement du pays.

Le Niger dispose d’un hôpital ophtalmologique de référence grâce à la bienfaisance salafiste. Et chaque année ce sont des campagnes foraines de lutte  contre le cataracte que les salafistes organisent au Niger sans tenir compte des forages, puits , vivres distribuées et financement des activités génératrices de revenus (AGR) à l’endroit des femmes par les salafistes au Niger.

Et l’objectif essentiel des salafistes nigériens est d’organiser la solidarité,  d’éduquer les masses en vue de reformer positivement la société à la lumière des valeurs islamiques comme fil conducteur de l’esprit de notre peuple.

 Le scientifique, Dr Abdoulaye Sounaye, une voie plus autorisée le dit avec plus éloquence : « La connaissance de l’Islam, de son histoire et de sa tradition scripturaire a été un des domaines dans lequel la dynamique islamique de ces dernières décennies s’est le plus manifestée. L’émergence de madrasa et de centres d’apprentissage du Coran et de l’arabe a fortement contribué aux initiatives qui visent à donner à l’Islam un rôle normatif, non seulement dans la vie personnelle, mais également dans la vie collective et publique. Il faut noter à ce propos le rôle joué par des centres urbains comme Maradi, Zinder et Niamey dans cette promotion de l’éducation islamique, aussi bien dans le cadre formel des madrasa, mais surtout dans les Makaranta, les cercles et groupes informels où élèves, fonctionnaires et femmes se rencontrent pour « connaître l’Islam ». Dans ces nouveaux espaces de la culture islamique, non seulement on voit émerger une démocratisation du savoir islamique, mais en plus, on constate de nouvelles formes de sociabilité. La Makaranta, dans la plupart des cas, n’est pas seulement un espace d’instruction ou d’apprentissage ; elle est devenue un lieu où les sociabilités musulmanes se forment et se réinventent. La communauté de la Makaranta devient, par exemple, une famille et un groupe de solidarité qu’on sollicite en cas de décès, de cérémonie de mariage ou encore de baptême. »

Le philosophe A. Sounaye parle de « démocratisation du savoir islamique », c’est toute la ligne de démarcation avec l’obédience Tidjaniya bien notée par Hama Amadou. En effet, à la différence du caractère ésotérique du savoir et sa transmission sous la gouverne de la voie tidjaniya où n’accèdent au cercle de marabouts ou savants que quelques-uns, il faut admettre qu’au niveau des salafistes ou izalalistes on encourage à la connaissance directe, sans intermédiaire. Il n’y a assez pas de protocoles comme  toutes ces corvées qui frisent la servitude à l’endroit du Cheikh.

C’est dire que pour un souci de rigueur de son raisonnement, le président Hama Amadou aurait pu éviter ce deux poids, deux mesures en ce sens qu’il ne saurait produire des preuves de ce qu’il accuse les salafistes du terroir. A la vérité, malgré quelques dénonciations de certaines innovations (bidi’as) à l’occasion des maoulids, il y a plutôt symbiose entre les confréries musulmanes au Niger. A preuve : lorsque les valeurs islamiques sont aux prises avec l’ennemi ou l’adversaire commun, on a vu les musulmanes toute tendance comprise, la main dans la main en train de lutter pour défendre l’essentiel.

Le danger viendrait plutôt de la manipulation du politique, nous prévient l’anthropologue Jean Olivier de Sardan dans un article publié par le site Marianne « Comment le salafisme a pu prospérer au Niger ? ».

Dans cette analyse le chercheur Jean Olivier de Sardan abordant les malheureux événements de Niamey et Zinder écrit ceci : « Mais ces manifestations ont aussi mis en évidence le jeu très dangereux des partis de l’opposition nigérienne. Ceux-ci en effet ont soufflé sur les braises, en tentant d’instrumentaliser la réaction populaire d’indignation face à cette histoire de caricature du prophète. Ils ont ainsi, dès avant les manifestations de Zinder et Niamey, accusé le président Mamadou Issoufou de s’être rendu à Paris pour « soutenir Charlie Hebdo » et donc soutenir la caricature « blasphématoire »… C’était bien sûr confondre délibérément le « Je suis Charlie » de la grande marche de Paris, qui signifiait clairement « Je suis avec les victimes contre le terrorisme », avec un tout différent « Je suis Charlie » consécutif à la parution du nouveau numéro, qui signifierait « Je soutiens la caricature », et qu’aucun des dirigeants musulmans présents à Paris n’a proféré ni cautionné… »

On le sait, entre le savant et le politique, la démarche n’est pas la même. L’un vise la vérité et l’autre tient à ses « intérêts politiques ». Mais nous pensons qu’il n’y a pas d’excuses à raconter certaines contre-vérités à l’endroit de son peuple lorsqu’on prétend le diriger au sommet. Dans cet ordre d’idées, nous disons que ces propos de Hama Amadou relèvent d’une vue de l’esprit très loin de la réalité sur le terrain.

Et l’épistémologue Gaston Bachelard ne disait-il pas : « On fait la science toujours avec les faits » ?

Elh. M. Souleymane