M. Joseph Ntamatungiro, représentant résident du Fonds Monétaire International (FMI) au Niger

Monsieur M. Joseph Ntamatungiro, vous venez de prendre fonction à Niamey en qualité de représentant résident du Fonds Monétaire International. Dans quel état d’esprit abordez-vous votre mission ?

Je me sens très honoré de pouvoir représenter le FMI au Niger, au cours des trois prochaines années, comme courroie de la contribution de l’institution à l’effort de développement du peuple nigérien.
Y a-t-il des domaines précis sur lesquels vous comptez mettre l’accent dans le cadre de votre mission au Niger ?
En plus de veiller au bon déroulement des activités du FMI au Niger, en l’occurrence la provision de conseils en matière macroéconomique et financière, le suivi de la mise en œuvre du programme du Gouvernement appuyé par la Facilité Elargie de Crédit (FEC) du FMI et le suivi des différentes missions d’assistance technique en faveur du Niger, je mettrai un accent particulier sur la communication en rapport avec les missions du FMI en général et les activités du FMI au Niger en particulier, ainsi que sur le renforcement du cadre de coopération entre le Niger et les Partenaires Techniques et Financiers en vue de maximiser l’impact et l’effectivité des appuis au Niger.

A l’issue de votre première rencontre officielle avec le Premier ministre, vous avez exprimé votre engagement à aider les Nigériens dans leurs efforts de développement. Y a-t-il un élan particulier que vous projetez d’imprimer aux relations entre le Niger et le FMI ?

Comme je l’ai dit à la presse à la suite de la rencontre, son Excellence le Premier ministre a exprimé l’appréciation du Gouvernement nigérien par rapport au travail accompli par le FMI au Niger. Un tel message de reconnaissance est important, car il nous donne des ailes et nous encourage à travailler davantage. Les relations continueront à se situer dans le cadre des activités du FMI au Niger, tel que souligné plus haut. Dans ce contexte, je m’attacherai particulièrement à prêter une oreille attentive aux préoccupations des décideurs, tout en attirant leur attention sur la nécessité de prendre des mesures appropriées pour sauvegarder les équilibres macroéconomiques à moyen et long termes; m’assurer que les interventions du FMI cadrent avec les intérêts à long terme du peuple nigérien; aider les services de l’administration à coordonner leurs activités pour accroître l’efficacité des actions gouvernementales; communiquer le plus possible, dans un langage accessible, sur les politiques du FMI et ses activités au Niger; et conjuguer les efforts du FMI avec ceux des autres partenaires techniques et financiers pour en maximiser l’impact sur le développement économique et social du Niger.

Avez-vous une appréciation particulière quant à la politique économique du Niger ?

La grande force de la politique économique du Gouvernement du Niger est qu’elle s’intègre dans un cadre cohérent de développement à long terme, matérialisé par la Stratégie de Développement Durable et la Croissance Inclusive (SDDCI) Niger 2035, et les Plans triennaux de Développement Economique et Social (PDES). La stratégie, décidée à l’issue d’un processus consultatif participatif, traduit les aspirations de la population nigérienne. Ainsi, les différents programmes et orientations du Gouvernement, comme le Programme de Renaissance, la Déclaration de Politique Générale du Gouvernement, l’Initiative 3N, ou le programme de formation professionnelle, sont une déclinaison conforme du cadre de développement à long terme. De surcroît, les différents Partenaires Techniques et Financiers apportent leurs appuis au Niger dans le respect de ce cadre.

Le programme économique et financier du Gouvernement appuyé par le FMI s’inscrit bien dans ce cadre. Ce programme vise le maintien de la stabilité macroéconomique en vue d’asseoir les bases saines pour un développement élevé, durable et inclusif. Les réformes structurelles visent notamment le renforcement des finances publiques, l’établissement d’un environnement propice au développement du secteur privé, et l’exploitation optimale des ressources naturelles.

Ce programme répond aux préoccupations de développement à long terme du Niger. La stabilité macroéconomique établit un environnement prévisible favorable à l’investissement privé. Il convient de rappeler que l’instabilité macroéconomique est défavorable aux pauvres dont les revenus sont fixes et qui ne disposent pas d’assurance. Elle tend également à n’attirer que des investissements spéculatifs, pas du tout susceptibles d’impulser une véritable dynamique de croissance et de développement. Comme l’air que l’on respire, l’on découvre les bienfaits de la stabilité macroéconomique une fois que l’on en est privé.

Quant au renforcement des finances publiques, il passe notamment par l’amélioration du système de perception des droits et taxes pour asseoir le financement du développement sur des ressources domestiques stables, où les contribuables sont imposés selon leur capacité contributive; l’amélioration de la gestion des dépenses pour s’assurer que les ressources sont utilisées conformément aux priorités de dépenses établies dans les programmes de développement, et avec le minimum de pertes; la protection des ressources réservées à la réduction de la pauvreté; et l’amélioration du système de gestion de la dette pour s’assurer que les emprunts publics sont de nature à contribuer au développement plutôt qu’à un surendettement préjudiciable à la crédibilité de l’Etat.

En ce qui concerne le développement du secteur privé, les autorités sont conscientes de l’existence d’un environnement peu attractif pour les investissements privés, couplé avec les contraintes naturelles liées à l’enclavement du pays et aux difficultés climatiques. Ainsi, le cadre juridique et réglementaire de création des entreprises a été amélioré depuis 2012, une loi sur la promotion des investissements a été adoptée en 2014, suivie par les différents décrets d’application de 2014 et 2015. Les chantiers d’infrastructures ou la stratégie nationale de micro finance, qui a été complétée par la récente stratégie nationale de la finance inclusive, concourent également à la facilitation des activités du secteur privé, créatrices d’emplois et de richesses. Enfin, en ce qui concerne les ressources naturelles en l’occurrence l’exploitation des minerais d’uranium et de pétrole, le Gouvernement est conscient de la volatilité de telles ressources et qu’elles doivent être gérées prudemment et dans la transparence (d’où l’adhésion à l’Initiative ITIE) et contribuer à l’essor des secteurs non miniers durables.
Le Gouvernement reconnaît que la route du développement est encore longue, et qu’elle est jonchée de multiples contraintes. Ces contraintes ont trait notamment aux faiblesses administratives, techniques et financières, à la vulnérabilité par rapport aux nombreux chocs, notamment climatiques et sécuritaires, et à la forte croissance démographique. Les partenaires techniques et financiers, dont le FMI, sont heureux de contribuer au développement tracé par le peuple nigérien, en fonction de leurs compétences et intérêts respectifs.

Monsieur le représentant résident, est-ce que les voix des pays non développés, comme le Niger, portent vraiment dans les orientations des politiques du FMI ?

Le FMI est une organisation de coopération internationale de 188 pays membres créée en 1944 dans le but d’encourager des politiques visant à assurer la stabilité économique sur le plan mondial, à réduire la vulnérabilité face aux crises économiques et financières, et à améliorer les niveaux de vie. A travers le temps, ce mandat a été adapté, notamment pour mieux tenir en compte les préoccupations des pays en voie de développement. En particulier, à partir des années 1990, le FMI a mis l’accent sur la réduction de la pauvreté à travers le monde, de concert avec les autres institutions de développement.

La prise de décision au FMI tient compte de la situation relative des pays membres dans l’économie mondiale, selon le principe de quotes-parts, c’est-a-dire le montant maximum de ressources financières que chaque pays membre s’engage à fournir au FMI au titre sa souscription. La quote-part détermine le nombre de voix du pays membre et constitue la base de l’aide financière qu’il peut obtenir du FMI.
La plus forte quote-part au FMI est celle des États-Unis, avec 42,1 milliards de droits de tirages spéciaux (DTS), soit environ 58 milliards de dollars, ou 17,7% des quotes-parts et 16,7% des voix. La moins élevée est celle de Tuvalu, avec 1,8 million de DTS, soit environ 2,47 millions de dollars, ou 0,001% des quotes-parts et 0,03% des voix. La quote-part du Niger est de 65,8 millions de DTS, soit 0,03% des quotes-parts et 0,06% des voix. Les parts respectives des deux géants africains, à savoir le Nigéria et l’Afrique du Sud, sont de 0,74% et 0,78% des quotes-parts du FMI.

Le FMI continue de mener des réformes pour veiller à ce que sa structure de gouvernance reflète fidèlement les grandes mutations que connaît l’économie mondiale (une forme de  »démocratisation »). Les réformes actuelles, en l’occurrence la réforme de décembre 2010, ont pour but de donner aux pays émergents et en développement un rôle accru, à la mesure de la place qu’ils occupent aujourd’hui dans l’économie mondiale. Les pays émergents, comme la Chine, auront un poids beaucoup plus important au sein de l’institution. En même temps, les réformes protègent le pourcentage de vote des pays membres les plus pauvres. En plus de mieux refléter les réalités de l’économie mondiale, ces réformes renforcent la légitimité et l’efficacité du FMI.

À tort ou à raison, le FMI est présenté comme une entité supranationale, imposant certaines conditionnalités, notamment le fameux Plan d’Ajustement Structurel (PAS), pour l’obtention des crédits, limitant ainsi la souveraineté des économies nationales. Que pensez-vous aujourd’hui de ces critiques ?
Le sujet m’intéresse beaucoup, dans la mesure où j’ai été acteur aussi bien du côté Gouvernement que des services du FMI pendant la période des  »programmes d’ajustement structurel » au cours des années 1980 et au début des années 1990. Beaucoup de débats, parfois houleux, ont été consacrés à ce sujet, certains mettant effectivement en cause l’effectivité des mesures et réformes mises en œuvre au cours de cette période. A mon humble avis, et avec le recul dont on dispose, ce qui peut être incriminé, ce n’était pas la nécessité des réformes, mais plutôt la manière avec laquelle les réformes ont été menées dans certains pays. Les principes de bonne gestion demeurent incontournables aussi bien pour le citoyen lambda que pour l’Etat, car nul ne peut vivre au-dessus de ses moyens pendant longtemps. Les déficits qui en résultent mènent fatalement à un surendettement ou à un ajustement forcé qui peut être brutal, avec des impacts négatifs sur l’activité et les populations vulnérables, surtout dans un contexte de pays ne disposant pas de mécanismes de protection sociale. Un audit indépendant de la facilité d’ajustement structurel renforcée (FASR), l’instrument d’assistance du FMI aux pays en développement au cours de cette période, a conclu que les réformes ont produit des résultats positifs dans l’ensemble, particulièrement dans les pays réformateurs comme l’Ouganda et le Mozambique. Les résultats en deçà des attentes enregistrés dans d’autres pays étaient liés aux situations spécifiques.
Dans certains pays africains, et plus particulièrement les pays avec des monnaies à taux de change fixe, les économies étaient caractérisées par des taux de croissance faibles ou négatifs, et étaient plombées par d’importants déficits des secteurs publics. Dans la plupart des pays, les déséquilibres (déficits budgétaires et de la balance des paiements) accumulées pendant une longue période d’hésitation ou d’incertitudes au niveau des politiques à prendre, ont conduit au surendettement et à l’éviction du secteur privé. Les ajustements dits  »internes » entrepris par certains pays de la Zone Franc, avant la dévaluation du Franc CFA de 1994, ont été destructifs ; ils impliquaient par exemple la réduction des salaires nominaux. Dans beaucoup de pays, la réforme du secteur public s’est faite dans l’urgence, la solution au problème des entreprises publiques déficitaires étant essentiellement limitée aux aspects financiers de court terme sans plans de restructuration crédibles. La privatisation des entreprises publiques n’a pas non plus produit les résultats escomptés, à cause non seulement de l’inexistence de culture d’entreprise à gestion purement privée, mais également de l’absence d’un environnement favorable au développement des affaires et de mécanismes appropriées de régulation. Mais, par-dessus tout, il faut relever que les pays ne s’appropriaient pas véritablement les réformes, d’où l’impression que ces réformes étaient imposées de l’extérieur, au détriment de la souveraineté nationale.
Dieu merci, les relations entre le FMI et les pays membres ont beaucoup évolué par rapport à cette période. Le FMI, tout comme les pays membres, notamment les pays africains, ont beaucoup appris et tiré des leçons constructives de l’expérience des réformes passées. Le FMI a ajusté les modalités de ses interventions, les pays membres recourant à ses concours sont responsables des réformes, et les conditionnalités sont établies de concert et évaluées dans le cadre d’un dialogue constant. Il faut reconnaître que l’initiative PPTE, qui a desserré l’étau financier de la dette, a contribué à l’amélioration des relations. Depuis la seconde moitié des années 1990, les programmes des pays en développement appuyés par le FMI ont les caractéristiques suivantes: l’appropriation des programmes qui, tous, reposent sur une stratégie de développement nationale visant la croissance et la réduction de la pauvreté. Cette stratégie est adoptée à la suite d’un processus consultatif interne de façon à générer un consensus sur la nature et la cadence des réformes;
la protection des groupes vulnérables. Les programmes comportent généralement un volet  »filet social » pour minimiser l’impact négatif de l’ajustement sur les populations vulnérables et protègent les dépenses sociales dites de réduction de la pauvreté (héritage de l’initiative PPTE). La conditionnalité a été simplifiée, le nombre de conditions a été réduit et la séquence des réformes tient compte des capacités de mise en œuvre du pays. La transparence aussi a été renforcée. Les documents relatifs au programme sont publiés et rendus accessibles au public (publiés sur le site web du FMI : www.imf.org). Les réformes structurelles sont mieux ciblées. Elles sont centrées sur quelques domaines clés à savoir la réforme des finances publiques, l’amélioration de la gouvernance (ETIE, la lutte contre la corruption, l’amélioration du climat des affaires et des structures de régulation économique et financière.
La coordination avec les autres partenaires au développement est renforcée. La coordination avec la Banque Mondiale et les autres partenaires techniques et financiers accroît déjà la synergie des appuis, dans des pays ayant des capacités humaines et techniques limitées.

 

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