Maître Bachir analyse la récusation de la Cour constitutionnelle par l’opposition politique nigérienne

Dans une communication orale présentée aux doctorales de l’université de Toulon le 17 octobre 2014, nous nous étions attachés à mettre en lumière les relations croisées qui se sont établies au fil du temps entre deux acteurs majeurs de la vie démocratique nigérienne : le juge constitutionnel et le pouvoir politique. Nous rappelions dans cette communication que, de l’histoire du constitutionnalisme en Afrique francophone, la justice constitutionnelle au Niger a été la plus marquée par les vicissitudes de l’événement politique avec des multiples mutations à la clé. Comme beaucoup d’autres Etats en Afrique, le Niger est en transition démocratique depuis 1990. Cette longue transition encore inachevée, est l’épilogue de multiples crises démocratiques, jalonnées par plusieurs interruptions de l’ordre constitutionnel. Depuis la proclamation de la République du Niger le 18 décembre 1958, pas moins de huit Constitutions ont contribués à réguler la vie politique du pays, notamment au progrès du droit, des libertés et de la démocratie . La promulgation, le 25 novembre 2010, de la nouvelle Constitution actuellement en vigueur et les élections générales de 2011, marquent le début de la VIIème République. Le constitutionnalisme a connu « des fortunes diverses » au Niger. Il traverse depuis deux décennies une phase d’intenses activités et est devenu un élément déterminant de la vie politique. Quelques remarques et observations ne sont certainement pas inutiles dans l’appréhension de la délicate question relative aux rapports entre juge et politique, dans un contexte globalement perturbé par des crises politiques sans précédent.

Revenons-en aux faits. De quoi s’agit-il ? Dans une déclaration publique rendue le 18 janvier 2015, une coalition de partis politiques de l’opposition regroupée au sein d’une alliance : l’alliance pour la réconciliation la démocratie et la république (A.R.D.R), a solennellement annoncé la récusation « stricto sensu » de la Cour constitutionnelle régulièrement installée le 25 mars 2013.

En effet, l’opposition accuse la Cour constitutionnelle de partialité et de faire allégeance au pouvoir en place. A l’appui de sa déclaration, cinq griefs ont été relevés par l’ARDR pour illustrer sa suspicion légitime quant à la partialité de la Cour. Ainsi, elle relève :

– une tendance de la Cour à sa propre saisine en statuant « ultra petita » incluant dans les Arrêts des réponses à des questions qui ne lui sont pas posées dans les requêtes de l’opposition ;
– des ambigüités, des incohérences et des contradictions traduites dans ses Avis et Arrêts;
– Sa prétention à outrepasser ses compétences, attributions et ses missions en s’arrogeant des pouvoirs que ne lui confère aucunement la Constitution, notamment le rôle de régulateur du fonctionnement des institutions et des pouvoirs publics ;
– L’accointance et les affinités de la cour constitutionnelle, en particulier sa présidente, avec le régime ;
– L’immixtion de la Présidente de la Cour Mme ABDOULAYE DIORI NÉE KADIDIATOU LY dans les affaires politiques.

Cette déclaration, de l’opposition politique, a suscité un débat d’une rare importance aussi bien dans les milieux politiques que dans le monde universitaire ; sur les réseaux sociaux, les débats sont parfois d’une violence inouïe entre les Nigériens. Ce qui n’a pas manqué d’inquiéter certains observateurs et/ou critiques, quant à « l’évolution des rapports entre le juge constitutionnel et le pouvoir politique au Niger ». Se pose ainsi le problème de la séparation des pouvoirs et l’épineuse question de l’impartialité du juge.

C’est en effet l’article 60 de la loi organique 2012-35 du 19 juin 2012, déterminant l’organisation, le fonctionnement de la Cour constitutionnelle et la procédure suivie devant elle, qui pose le principe du respect de l’impartialité de la Cour en ces termes : « Les membres de la Cour constitutionnelle doivent s’abstenir de tout ce qui pourrait compromettre leur indépendance, leur impartialité et la dignité de leurs fonctions.» Ce principe d’impartialité, on le retrouve dans plusieurs textes internationaux auxquels le Niger est partie et qui constituent le bloc de constitutionnalité visé dans le préambule de la Constitution. Sans être exhaustif, on peut citer l’article 14 § 1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de New York, l’article 10 §1 de la Déclaration Universelle des droits de l’homme et l’article 7 de la Charte africaine des droits de l’homme et des Peuples.

L’impartialité du juge, est en effet, un principe incontournable, non seulement pour les juridictions ordinaires, auxquelles il est traditionnellement rattaché, mais aussi pour les juridictions de la constitutionnalité de la loi. Les éléments permettant de suspecter la partialité du juge peuvent avoir une origine subjective, tenant à ses relations personnelles avec l’une des parties, ou encore une origine objective ou fonctionnelle, tenant au fait que le juge a déjà été amené à intervenir dans l’affaire, de telle sorte qu’il a pu se faire une opinion sur celle-ci. C’est le sens de l’arrêt de la Cour européenne de droit de l’homme, Le Stum c/ France, du 4 oct. 2007 sur les cumuls de fonction d’un juge. La Cour européenne a estimé que par ses fonctions, le juge commissaire est placé dans une situation telle qu’il a pu se faire une opinion sur les fautes de gestion du dirigeant, ce qui lui interdit de siéger ultérieurement dans la procédure en sanction.

La garantie de l’équilibre constitutionnel d’une société pluraliste, au travers de la « résolution judiciaire des plus importants conflits politiques par des normes juridiques constitutionnelles positives », impose en effet que le juge de la Constitution soit indépendant et impartial, afin que les parties en conflit reconnaissent son autorité comme légitime et se soumettent à ses décisions. Si l’indépendance de l’organe « s’exprime en externe, par rapport à d’autres pouvoirs que le pouvoir judiciaire, celui de l’exécutif et du législatif», en revanche, l’impartialité est « davantage liée à l’organisation et au fonctionnement internes des juridictions, aux qualités personnelles du juge ». Tel est le principe exprimé par la doctrine majoritaire.

Au Niger, l’inquiétude devient grandissante, lorsque, courant mois de janvier 2015, la même opposition, rendit publique un document intitulé « livre blanc sur les institutions de la République » dont le Tome 1 est exclusivement consacré à la Cour constitutionnelle et dont le contenu consistait à argumenter les différents griefs soulevés dans la déclaration du 18 janvier 2015. Ce « livre blanc » dont le texte a été relayé par la presse nationale et internationale, a provoqué un vif émoi et a suscité l’indignation de certaines familles citées dans le document, notamment celle de la présidente de l’institution, qui ne s’était pas fait prier pour y répondre vigoureusement à certaines accusations . Nous ne nous y intéresserons pas au bien fondé de ces allégations qui n’intéressent en rien notre démarche.

Dans ce document atypique, l’opposition regroupée au sein de l’ARDR, récuse la Cour constitutionnelle comme juge du Contentieux électoral en lui déniant les pouvoirs qu’elle détient des alinéas 1 et 3 de l’article 120 de la Constitution qui dispose « La Cour constitutionnelle est la juridiction compétente en matière constitutionnelle et électorale. Elle interprète les dispositions de la Constitution. Elle contrôle la régularité, la transparence et la sincérité du référendum, des élections présidentielles et législatives. Elle est juge du contentieux électoral et proclame les résultats définitifs des élections ». La Cour est ainsi perçue par ses détracteurs comme une chambre d’enregistrement et de validation de la volonté du président de la République.

Cette situation atypique, suscite de notre point de vue, plusieurs interrogations nécessaires à la compréhension de cette situation. Peut-on, au regard des dispositions de l’alinéa 3 de l’article 121 de la Constitution en vertu duquel « les membres de la Cour sont nommés pour six (6) ans…non renouvelables » et l’alinéa 1er de l’article 122 de la Constitution qui dispose : « les membres de la Cour constitutionnelle sont inamovibles pendant la durée de mandat », récuser la Cour constitutionnelle, sans enfreindre les dispositions susvisées ?

Dans le cas où, une telle possibilité s’offre à l’opposition, quel est le juge qualifié pour connaître du bien-fondé de la demande de récusation ? Dans le cas où la même Cour devra continuer son fonctionnement, les partis politiques, signataires de cette récusation, se seraient-ils disqualifiés des compétitions électorales de 2016, sinon devant quelle juridiction entendent-ils enregistrés leurs candidats ? Existe-t-il une limite admissible dans les rapports privés que pourraient entretenir les juges et les politiques? A l’état actuel du droit positif nigérien, les membres de la Cour constitutionnelle offrent-t-ils une garantie suffisante d’impartialité ? Les différentes réponses que nous tenterons d’apporter, le long de notre développement, permettront, je l’espère, de mieux comprendre la problématique de la récusation du juge notamment le juge constitutionnel par ailleurs juge du contentieux électoral et l’épineuse question de l’organisation des élections crédibles en 2016.

Notons que depuis l’arrêt Piersack c/ Belgique de 1982, la jurisprudence européenne a opéré une distinction nette entre l’impartialité subjective, qui tient « au juge en tant qu’homme », et l’impartialité objective, qui est liée à l’organe ou à la fonction. Les notions d’indépendance et d’impartialité sont liées par un rapport de causalité : « l’indépendance est un préalable à l’impartialité ; on ne peut être impartial, si, déjà, on n’est pas indépendant ; mais à l’inverse, un juge indépendant de tout pouvoir peut devenir partial dans un dossier particulier ». Or, au Niger, si sur la base de différents critères, notamment les garanties tenant à son fonctionnement, la Cour constitutionnelle apparaît comme une juridiction indépendante, aucun dispositif législatif, relatif à la récusation de ses membres ou l’abstention volontaire des juges, ne permettait de garantir son impartialité. Il convient dès lors de tirer les conséquences des compétences juridictionnelles de l’office du juge constitutionnel et d’introduire une procédure de récusation de ses membres. Mais avant, analysons d’abord les raisons de la demande de récusation soulevées par l’opposition.

I. Les raisons de la demande de récusation du juge constitutionnel

Il convient de souligner que l’indépendance de la justice, c’est-à-dire l’absence de toute soumission des juges, dans l’exercice de leur fonction juridictionnelle à des pouvoirs extérieurs, est une des composantes essentielles de l’Etat de droit. Sans cette indépendance, aucune garantie de droit n’existe. Mais l’indépendance est statutaire et constitue un préalable à l’impartialité qui est une exigence universellement partagée, traduisant l’aptitude d’un juge à traiter les parties de manière égalitaire, sans opinion préconçue, sans pré-jugement. L’impartialité est conçue comme un attribut du droit de l’homme qu’est le droit à un procès équitable, et comme une obligation déontologique du juge . Cette exigence se trouve en bonne place dans le bloc de constitutionnalité et à l’article 60 de la loi organique 2012-35 du 19 juin 2012, déterminant l’organisation, le fonctionnement de la Cour constitutionnelle et la procédure suivie devant elle.

Mais force est de reconnaitre qu’aucune procédure de récusation n’est déterminée. Ni la loi organique du 19 juin 2012 ni le règlement intérieur de la Cour, ne font cas de procédure de récusation des membres de la Cour constitutionnelle. Pourtant, la garantie d’impartialité, dont la récusation constitue un des moyens de défense, est une garantie fondamentale permettant de légitimer et d’accepter la décision rendue par une juridiction.

L’analyse des différents points évoqués ci-haut, permet de démontrer que l’exigence d’impartialité est un gage de stabilité politique (A) qui pourrait être renforcé à travers des décisions dénuées de toute ambigüité (B) dans l’optique de la création d’un véritable Etat de droit.

A. L’exigence d’impartialité du juge, gage d’une stabilité politique

Dans un arrêt Micallef contre Malte du 15 janvier 2008, la Cour européenne des droits de l’homme a décidé que la frontière entre l’impartialité subjective et l’impartialité objective « n’est
pas hermétique car non seulement la conduite même d’un juge peut, du point de vue d’un observateur extérieur, entraîner des doutes objectivement justifiés quant à son impartialité mais elle peut également toucher à la question de sa conviction personnelle». L’appréciation de l’impartialité du juge constitutionnel semble mieux s’encadrer dans le cas de figure d’un juge qui exerce successivement et cumulativement des fonctions législatives et des fonctions juridictionnelles, comme dans l’affaire McGonnell C/ Royaume-Uni du 8 février 2000. Cet arrêt concerne un cas de partialité d’un juge dans l’exercice successif et cumulatif de fonctions législatives et de fonctions juridictionnelles. L’affaire est relative au bailli, le premier citoyen et premier représentant de l’île de Guernesey, qui préside les States of Deliberation, organe législatif, et il est le premier magistrat de la Royal Court, organe judiciaire. Dans le cas d’espèce, le bailli avait présidé les States of Deliberation lors de l’adoption de l’acte en cause dans l’affaire postérieure du requérant. Sur cette affaire avait ensuite statué la Royal Court, dans laquelle siégeait également le bailli en tant que juge. Le bailli s’est donc trouvé à appliquer, et par conséquent à interpréter, des dispositions tout en ayant participé à leur élaboration.

La Cour constitutionnelle nigérienne, étant composée essentiellement de membres élus, la plus haute juridiction ne pourrait pas connaître de cette situation d’impartialité objective. C’est donc sur le terrain de l’impartialité subjective qu’il convient de rechercher l’impartialité soulevée par la coalition des partis politiques d’opposition.

Un comportement impartial est celui qu’adopte une personne ou une organisation « qui agit sans entrer elle-même en considération dans l’action ». Or c’est bien ce que l’opposition reproche à certains membres de la Cour constitutionnelle, lorsqu’elle évoque « L’accointance et les affinités de la cour constitutionnelle, en particulier sa présidente, avec le régime ». En effet, l’argument de l’opposition est sur ce point discutable. Conformément à l’article 121 de la Constitution, « les membres de la Cour sont nommés pour six (ans) non renouvelables » pour garantir leur indépendance. Et l’article 122 leur garantie l’inamovibilité pendant la durée de leur mandat. Quant à l’article 124, il organise le serment des membres de la cour dont chacun est tenu, avant son entrée en fonction, de prononcer: « Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de les exercer en toute impartialité dans le respect de la Constitution et en toute indépendance, de garder le secret des délibérations et des votes, de ne prendre aucune position publique et de ne donner aucune consultation sur les questions relevant de la compétence de la Cour. Puisse Dieu nous venir en aide ».

Notons que cette prestation de serment se fait sur le livre de confession de chaque membre, surtout quant on sait l’influence qu’exerce la religion au quotidien dans ce pays. L’incompatibilité du mandat de membre de la cour constitutionnel avec toute activité politique ou professionnelle (hormis l’enseignement), prévu à l’article 125 de la constitution, est à cet égard significatif. Mais, toutes ces dispositions constitutionnelles, sauraient-elles suffire à garantir la pleine application du principe d’impartialité du juge constitutionnelle ?

Un juge fort des compétences techniques qui ont permis sa nomination est certainement plus indépendant de son autorité de nomination et moins susceptible d’être récusé qu’un juge qui a été fortement impliqué dans la vie politique et qui a été nommé davantage en vertu de sa sensibilité politique . Or, en l’espèce, la demande de récusation de la présidente de la Cour constitutionnelle par l’opposition, semble se fonder sur deux points ; d’abord, parce qu’elle est l’un des deux membres non élus de la Cour, désigné par le président de la République ; l’autre membre étant désigné par le bureau de l’assemblée nationale. Ensuite, la manifestation de partialité fondée sur les relations privées entre la présidente de la cour et le président de la République.

Or, selon la doctrine, il y a manifestation de partialité « S’il y a amitié ou inimitié notoire entre le juge ou son conjoint et l’une des parties ». c’est sans doute ce principe doctrinal qui conforte la requête de l’opposition lorsqu’elle souligne au soutien de sa demande, « l’immixtion de la Présidente de la Cour Mme ABDOULAYE DIORI NÉE KADIDIATOU LY dans les affaires politiques. »Celle-ci apparait comme une requête pour cause de suspicion légitime et dans ce cas de figure, elle doit démontrer que des éléments objectifs sont de nature à faire naître un doute sur l’impartialité de la Cour dans son ensemble.

C’est à ce titre que l’ARDR a invoqué, un entretien accordé par le président du Parti de la majorité, à l’époque ministre des affaires étrangères, à une télévision locale au cours de laquelle celui-ci, « en relatant les faits ayant conduit à la rupture de son parti avec son ancien allié principal, a fait cas de l’implication personnelle de la Présidente de la Cour …à la demande du Président de la République dans les négociations politiques avec M. HAMA AMADOU. ». Bien entendu, il n’entre pas dans le rôle des membres de la Cour, de mener une médiation politique, à quelque degré que ce soit, au risque d’enfreindre aux dispositions constitutionnelles d’impartialité et de neutralité de l’article 124 de la constitution.

A l’évidence, il existe là, un réel vide juridique. Pourtant, la mise en œuvre de l’impartialité s’impose à la Cour constitutionnelle, dès lors qu’elle est dotée de prérogatives qui l’amènent à abroger erga omnes une disposition légale qu’elle juge non conforme à la Constitution, laissant croire, sans le moindre doute, qu’elle dispose des mêmes caractéristiques d’un tribunal tel que défini par la jurisprudence internationale. A ce titre, elle est soumise à l’obligation d’impartialité et l’article 60 de la loi organique 2012-35 du 19 juin 2012, l’a bien rappelé. Même si, on a pu regretter, que cette loi n’ait pas organisée les procédures de récusation et d’abstention des membres de la Cour.

Car, la justice constitutionnelle, pour être effective et efficace, ne peut s’accommoder d’un système marqué par l’existence d’un pouvoir fort et surtout d’un chef omnipotent, or comme le notait le professeur Gérard Conac, « En Afrique, c’est le Chef de l’Etat qui est dans les faits le juge suprême de la constitutionnalité. Le respect de la constitution dépend plus de son vouloir que des juges, si courageux soient-ils. » même si au Niger, cette affirmation doit être nuancée, Le juge constitutionnel à des occasions, a pu démontrer qu’il n’entendait pas toujours rester dans une situation de dépendance à l’égard du chef de l’Etat . Il a fait parfois preuve d’audace en s’affirmant en véritable gardien de la Constitution. L’arrêt n° 04/CC/ME du 12 juin 2009 en est la parfaite illustration. Dans cet arrêt, le juge constitutionnel, a déclaré non-conforme à la Constitution le décret du président de la République, convoquant le collège électoral. Pour ne pas se heurter à une résistance de la part de l’exécutif, la Cour a en outre annulé le décret du président de la République.

B. L’exigence de clarté des décisions rendues, garantie d’une décision acceptable.
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L’adage anglais, fondateur de la théorie de l’apparence, « Justice must not only be done, it must be seen to be done» conduit à réfléchir sur la compatibilité de la garantie de l’impartialité avec la préservation du bon fonctionnement de la Cour constitutionnelle. La jurisprudence européenne désormais bien établie, est assez claire, en matière d’impartialité du juge, « mêmes les apparences peuvent revêtir de l’importance ».

Au Niger, du fait du mode de désignation des membres de la Cour constitutionnelle , on croyait ce débat inopportun. Il s’est pourtant avéré indispensable. Il convient d’éclairer les raisons d’être de ce phénomène. Mais avant, qu’il soit permis de reconnaitre ici que l’indépendance est une vertu et que comme toutes les vertus, elle ne se prescrit pas dans un texte. La qualité de la justice n’est qu’une affaire de statut. Elle repose sur la compétence du magistrat. La meilleure indépendance est celle qui s’affirme dans du raisonnement, la hauteur de vue, l’absence de parti pris. Celle qui fait que le jugement est respecté par ce que respectable . Une justice indépendante est avant tout une justice compétente au service de la loi et des citoyens.

Dans le point IV de son livre blanc, intitulé « Des ambigüités, incohérences, contradictions et déni de justice des décisions rendues par la Cour », l’ARDR argue quatre principaux points au soutien de sa déclaration à savoir : les différents arrêts contradictoires de la Cour, les arrêts où la Cour a statué « ultra petita », les arrêts dans lesquels la cour a outrepassé ses compétences et le déni de justice à l’égard de l’opposition.

Dans un souci de cohérence, nous allons nous en tenir à trois points étant donné que les deux points visent l’excès de pouvoir du juge constitutionnel, nous les regrouperons en un point.
L’opposition invoque le revirement jurisprudentiel de la Cour constitutionnelle en dépit de l’arrêt de principe n°007/11/CCT/MC du Conseil Constitutionnel de Transition du 04 mai 2011 rendu à l’occasion de l’élection du premier Bureau de l’Assemblée Nationale de la 7eme République. Voici sommairement les faits d’espèce. Au cours de l’élection du bureau de l’assemblée nationale de 2011, le poste de deuxième questeur était pourvu par un député de la majorité parlementaire. C’est ainsi qu’un groupe de députés de l’opposition a introduit une requête aux fins d’annulation du Bureau de l’Assemblée nationale pour violation de l’article 89 de la Constitution qui dispose « L’Assemblée nationale est dirigée par un président assisté d’un Bureau. La composition du Bureau doit refléter la configuration politique de l’Assemblée nationale.

Le président est élu pour la durée de la législature et les autres membres du Bureau le sont chaque année, conformément au règlement intérieur de l’Assemblée nationale ». Dans son arrêt, la Cour a, dans un considérant, explicitement fait remarquer que « la composition du Bureau de l’Assemblée nationale ne reflète pas la configuration politique de celle-ci ; qu’en effet en s’octroyant le poste de deuxième questeur la majorité viole les dispositions constitutionnelles sus rapportées ». Ce qui a amené l’assemblée nationale à reprendre l’élection des membres du bureau. En 2014, soit un an après l’installation de la nouvelle cour constitutionnelle, le même problème s’est posé au cours de l’élection du bureau de l’assemblée nationale. Cette fois-ci, des éléments nouveaux sont apparus.

En l’espèce, à la suite d’une rupture d’alliance entre les principaux partis de la majorité, des dissidences se sont créées dans les différentes formations politiques de l’opposition, certains parlementaires de l’opposition ont exprimé leurs vœux de soutenir les actions de la majorité. C’est ainsi qu’au cours du renouvellement annuel du bureau de l’assemblée nationale, certains dissidents ont émis le vœu de présenter leur candidature à leurs différents groupes parlementaires d’origine conformément à l’article 13 du règlement intérieur de l’assemblée nationale qui prévoit le dépôt de candidature par les présidents des différents groupes parlementaires.

Ces derniers avaient refusé de recevoir les candidatures, arguant que les députés dissidents ne faisaient plus parti de leurs groupes parlementaires puisqu’étant déjà de la majorité. Mais les résultats des élections n’ont pas permis de satisfaire à l’alinéa 1 de l’article 89 de la Constitution qui dispose «… La composition du Bureau doit refléter la configuration politique de l’Assemblée nationale ». En effet, la majorité parlementaire avait refusé de voter les deux (2) candidats de l’opposition autres que les dissidents dont les candidatures ont été refusées par leurs groupes aux postes de 2e et 3e vice-président.

Ce qui a créé une situation d’impasse, puisque le bureau de l’assemblée était incomplet et ne reflétait guerre la configuration politique de l’assemblée nationale. Saisie d’une requête, la cour, dans un arrêt n°004/14/CC du 2 mai 2014 a rappelé sa jurisprudence constante de 2011 en affirmant qu’ « en application de l’article 89 alinéa 1 de la constitution, le Bureau composé de onze (11) membres élus sur treize (13) prévus ne reflète pas la configuration politique de l’Assemblée.» enjoignant en même temps à l’assemblée nationale de pourvoir impérativement aux postes vacants.

Sur le deuxième point soulevé, c’est-à-dire le refus de recevoir les candidatures des députés dissidents par leurs groupes parlementaires, la cour, se fondant sur le pacte international relatif aux droits civils et politiques(PIDCP) visé au préambule de la constitution et qui fait partie intégrante de la celle-ci, reconnait au député, même dissident, la liberté de candidature à un poste affecté à son groupe parlementaire, en vertu de l’article 25 du PIDCP qui reconnait à tout citoyen « le droit à la direction des affaires publiques…, » « le droit et la possibilité… de voter et d’être élu ». Devant le blocage persistant de l’élection effective du bureau de l’assemblée, la cour a été saisie d’une requête en interprétation de son arrêt du 004/14/CC du 2 mai 2014. A la suite de cette interprétation, la Cour a affirmé que le refus des présidents des différents groupes parlementaires de déposer des candidatures autres que ceux des candidats non élus, pourrait s’interpréter comme une renonciation à leur droit d’occuper les postes qui leur reviennent conformément à l’article 89 de la constitution.

En effet, même si par une interprétation large des article 120 et 126 de la Constitution, la Cour semblait s’octroyer des pouvoirs qu’elle ne tire pas de la constitution, en l’espèce le rôle de régulation du fonctionnement des institutions et des services publics, il n’en demeure pas moins que cette décision a permis de créer un précédent jurisprudentiel tiré de l’expérience étrangère comparée, notamment la Cour constitutionnelle béninoise dans sa décision DCC 03-078 du 12 mai 2003. A l’évidence cet arrêt de la Cour est tout à fait discutable et instaure une sorte de « gouvernement de juges » puisqu’à la différence de la Cour constitutionnelle du Bénin qui tire la légitimité de sa décision de l’article 114 de la constitution du 11 décembre 1990 qui dispose « la Cour constitutionnelle…….l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics.», au Niger, l’article 46 de la constitution du 25 novembre 2010 qui attribue cette prérogative au Président de la République dispose « Le Président de la République……assure le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et la continuité de l’Etat.».

Par son interprétation large, la Cour semble « voler la vedette » au Président de la République. C’est d’ailleurs ce que semble lui reprocher l’opposition politique, qui estime que toute cette « élasticité interprétative » procède d’une démarche de la Cour pour faire allégeance à la majorité. Or, il est tout à fait courant, dans sa mission d’interprète de la constitution, que le juge constitutionnel s’octroie une certaine liberté, parfois créatrice de normes jurisprudentielles, comme c’est fut le cas récemment au Bénin où la Cour constitutionnelle, malgré les dispositions de l’article 44 de la Constitution qui fixait l’âge minimum à l’élection présidentielle à quarante (40) ans, est passée outre pour validée la candidature d’un citoyen Béninois âgé de moins de quarante (40) ans.

Même si on peut regretter parfois le caractère libérale du juge constitutionnel, on ne saurait refuser de reconnaitre ses décisions puisque celles-ci sont réputées définitives, non susceptibles de recours et s’imposer à tous. Cela fait désormais partie de la pratique juridictionnelle des juridictions constitutionnelles, dans leur mission d’interprétation de la Constitution, même si certains n’admettent pas cette démarche. Il appartient donc à tous les citoyens de respecter la Constitution pour ne pas permettre à la Cour une large marge d’interprétation, car chaque fois que la Constitution est mise à mal, il y va du devoir du juge constitutionnel, d’en rétablir l’ordre, au risque parfois de se dédire, c’est-à-dire parfois au prix d’un revirement jurisprudentiel. Et l’une des taches essentielles d’une Cour constitutionnelle est de trancher en termes juridiques des conflits d’ordre politique qui peuvent opposer les diverses branches du pouvoir .

II. Vers une réforme de la justice constitutionnelle au Niger ?

Si l’impartialité est une vertu et que le juge est présumé l’être jusqu’à preuve de contraire, il n’en demeure pas moins que ce dernier, peut aussi, comme toute personne, avoir une idéologique politique. Mais si les juges peuvent avoir une sensibilité politique, toutefois, celle-ci doit être maitrisée et tempérée, par la rigueur de la discipline du droit. En effet l’impartialité permet de conclure que la récusation est conçue devant toutes les juridictions comme une défense des parties contre le soupçon avéré de partialité, alors que l’abstention relève de la déontologie du juge, à visée préventive .

Cette crise de confiance entre acteurs politiques et juge constitutionnel, met en lumière la nature des rapports entre ces deux acteurs clés de la démocratie. Cette situation, suscite de notre point de vue quelques interrogations : S’achemine-t-on vers une remise en cause de l’exception nigérienne du mode de désignation du juge constitutionnel ? L’institution d’une procédure de récusation du juge constitutionnel au Niger, ne risquerait-elle pas d’être source d’instabilité politique ?

A. La procédure de récusation du juge constitutionnel, source d’instabilité politique

L’impartialité subjective ou objective du juge est toujours présumée, et il appartient à la partie intéressée de rapporter la preuve des éléments objectifs qui lui permettent de suspecter légitimement le juge.
Les caractéristiques de la récusation se présentent comme un mécanisme « à double tranchant ». Si d’une part il semble garantir l’impartialité de la juridiction constitutionnelle, d’autre part il menace sa légitimité. Une utilisation répétée et abusive de cet instrument pourrait en effet conduire à un certain discrédit de l’institution. Cette crainte doit toutefois être nuancée. En effet, les causes de récusation doivent toujours être prouvées par les parties, puisque l’impartialité du juge est présumée.

De ce fait, une utilisation abusive de la récusation portera atteinte aussi bien à la crédibilité des parties (généralement la majorité ou l’opposition) qu’à la légitimité de la Cour constitutionnelle. En conclusion, un organe juridictionnel qui est capable d’admettre la partialité de l’un de ses juges dans une affaire donnée ne ressort pas affaibli de cette procédure, mais renforcé. Aux yeux des citoyens, il garantit en effet l’impartialité de l’exercice de la fonction juridictionnelle, au-delà de tout intérêt de protection corporative . Telle semble être la philosophie prônée par la procédure de récusation en tant que garantie d’impartialité du juge, condition d’un procès équitable.

On peut s’interroger sur le rôle que le juge constitutionnel africain est appelé à jouer dans le fonctionnement démocratique des institutions. En effet, après la transition démocratique, une autre phase commence, notamment celle de la consolidation des institutions ou des acquis démocratiques. Elle suppose, évidemment, que les pratiques politiques se transforment durablement dans le sens de la démocratie, car au cours de cette phase, un retour à la dictature ou à l’autoritarisme reste possible .

Les crises institutionnelles et politiques prospèrent lorsque le juge en charge de leur régulation et de leur résolution est soit absent soit faiblement présent. Or, la plupart des démocraties contemporaines ont fait le choix de la résolution juridictionnelle des conflits politiques qui pourraient naitre de l’exercice démocratique, lorsqu’elle risque de remettre en cause les institutions. Il n’est pas dans l’essence de la démocratie d’empêcher les conflits politiques. En revanche, il incombe à tout système démocratique d’intégrer dans ses modalités des mécanismes permettant d’appréhender ces conflits, quels que soit leurs fondements et de les résoudre. C’est la raison d’être du juge constitutionnel dont relève essentiellement cette fonction .

Mais celui-ci, doit pour la réussite de sa mission, faire preuve d’ingéniosité et de courage. C’est pourquoi, connaissant l’état d’esprit qui caractérise la plupart des hommes politiques nigériens, il n’est pas dans l’intérêt de la démocratie, qu’une procédure de récusation du juge constitutionnel soit instituée, car l’utilisation abusive de celle-ci conduirait à une décrédibilisassions de cette institution jusque-là noble et dont les décisions sont imposables à tous. Lorsqu’elle est instituée, la récusation peut non seulement viser un membre de la formation de jugement, titulaire ou remplaçant, mais aussi son président.

Personne ne conteste en effet la complexité des rapports entre juges et politiques, partout dans le monde. Mais la situation de la justice notamment de la justice politique apparaît paradoxale au Niger, tant sur le plan des institutions que des symboles. Comment expliquez en effet, une telle crise de confiance ? « Ne pouvant trouver le juste, écrit Pascal, on a trouvé le fort ». Cette pensée, au réalisme mordant, suscite une double réflexion. Il augure d’abord l’imperfection radicale de la justice pour laquelle on n’a pas manqué de choisir la balance comme symbole . Ensuite ce sont les liens de cette justice avec la subjectivité, l’appréciation individuelle, la diversité sociale qui s’imposent à l’esprit : « Plaisante justice qu’une rivière borne ».

La recherche permanente du rétablissement de l’équilibre social menacé par le conflit social et son cortège de violences mettant en contradiction l’antagonisme des hommes, est la mission principale de la justice. Partant, on peut être tenté de croire que la mission de la justice constitutionnelle est de rétablir l’équilibre social menacé par le conflit politique et en Afrique, avec son cortège de violences. C’est pourquoi l’institution de la justice se doit d’être efficace dans des situations conflictuelles. Malheureusement, en Afrique, c’est précisément dans ces situations que la justice s’avère impuissante à entrainer la conviction et que le recours à la vindicte, et même à la violence, se trouve, pour ainsi dire, « justifié ». Mais comment parvenir à cette justice ? Cette justice fondée sur la force du droit et acceptée de tous et par tous ?

Il faudrait créer les conditions d’une justice impartiale, une justice dépolitisée et consacrer la séparation du pouvoir judiciaire de tout pouvoir politique. Pour ce faire, il eut fallu réfléchir au mode de désignation des juges notamment du juge constitutionnel.

B. Vers la fin d’une exception nigérienne ?

Le système nigérien de justice constitutionnelle présente un particularisme et est présenté comme offrant une garantie d’impartialité depuis plus d’une décennie. A ce titre, il est un cas isolé en Afrique. Contrairement aux autres pays du continent où le choix des membres de la juridiction constitutionnelle est dévolu au pouvoir politique, au Niger, cinq (5) des sept (7) membres composant la Cour sont élus. La juridiction est composée conformément à l’article 121 de la Constitution de 2010 de, « … deux (2) magistrats élus par leurs pairs dont un (1) du premier grade et un (1) du deuxième ; un (1) avocat ayant au moins dix (10) années d’exercice, élu par ses pairs ; un (1) enseignant-chercheur titulaire d’un doctorat en droit public, élu par ses pairs ; un (1) représentant des associations de défense des droits humains et de promotion de la démocratie, titulaire au moins d’un diplôme de 3ème cycle en droit public, élu par le ou les collectifs de ces associations ». Les deux (2) autres membres sont des personnalités proposées pour leur intégrité par le Président de la République et par le bureau de l’assemblée nationale. Par ce mécanisme, la Cour constitutionnelle présente l’avantage d’être composée par des professionnels du droit et par sa diversité, offrait jusqu’à présent, plus de garantie d’impartialité.

Mais les accusations de l’opposition sur cette cour, pose la problématique de l’efficacité de ce mécanisme de désignation de ses membres. Dans son livre blanc, l’ARDR remet en cause la légitimité même de la Cour et notamment de sa Président. L’opposition soutient ainsi que « on relève que Mme Abdoulaye Diori, née Kadidiatou Ly, a été désignée par le Président de la République comme sa représentante et l’a faite élire Présidente de la Cour. » Pourtant, le texte de la Constitution définit clairement le processus électoral interne à la Cour. A ce titre, l’article 123 de la Constitution dispose « Le président de la Cour constitutionnelle est élu par ses pairs pour une durée de trois (3) ans renouvelable. » l’article 6 de la Loi organique de 2012 sur l’organisation, le fonctionnement de la Cour ainsi que la procédure suivie devant elle ajoute « L’élection a lieu au scrutin secret à la majorité absolue des sept (7) membres de la Cour constitutionnelle.

Le Président de la Cour constitutionnelle est secondé d’un Vice-président élu dans les mêmes conditions et pour un mandat de deux (2) ans renouvelable. » A priori, toutes les garanties sont offertes pour l’élection à la présidence de la Cour. Mais la déclaration de l’opposition témoigne de la nature des relations entre le pouvoir politique et le pouvoir juridique. On peut, sans risque de se tromper, conclure sur l’existence d’une immixtion du politique dans la sphère juridique. Cette idée est confortée par ce paragraphe consacré à la nature des rapports entre les membres de la Cour constitutionnelle et les hauts fonctionnaires de l’Etat, dans le livre blanc de l’ARDR : « Il n’est un secret pour personne que dans le cadre de ces élections, le pouvoir en place ainsi que la Présidente de la Cour Constitutionnelle elle-même se sont immiscés dans le processus et ont influencé l’élection de certains des membres élus comme Monsieur Narey Oumarou, qui est le beau-frère de la Présidente et dont on sait les démarches qu’elle a entreprise pour son élection, tout comme l’a fait cet ancien membre du cabinet du Président de la République.

C’est animé du même souci que la Présidente de la Cour a suscité et soutenu la candidature de Lirwana Ibrahim bien qu’il ne remplisse pas les conditions exigées par l’article 121 de la constitution, l’intéressé n’étant pas titulaire d’un diplôme de 3eme cycle en droit public.

Cette élection s’est faite en violation des dispositions constitutionnelles et légales au détriment de la candidature de Maina Kartey BOUKAR et à cette occasion aussi on a noté l’intervention de certaines personnalités bien connues, tapies dans le Cabinet du Président de la République qui ont fait montre d’une largesse exceptionnelle pour la circonstance. ». Mais il faut nuancer ces déclarations tout de même discutables en plusieurs points notamment lorsque l’ARDR déclare « au regard des affinités et des liens avérés de cinq (5) membres de la Cour avec le Président de la République et son clan politique, la Cour Constitutionnelle, telle qu’elle est constituée, malgré le serment confessionnel de ses membres ne peut être ni indépendante ni impartiale dans ses décisions. En fait, elle a perdu son rôle de régulateur et d’arbitre des conflits institutionnels et juridiques pour devenir acteur politique et partisan des conflits majeurs qui ébranlent actuellement l’échiquier politique national, notamment les rapports majorité/opposition. ».

L’argument de l’opposition ne saurait en effet résister à la rigueur du droit. L’intégrité exigée pour les membres de la cour est « intuitu personae » et ne saurait être élargie à leurs familles encore moins leur être opposable. En affirmant que certains membres de la famille de la présidente de la Cour constitutionnelle bénéficient des largesses du pouvoir, l’opposition veut imposer un principe de neutralité aux familles des membres de la Cour. En outre, conformément aux alinéas 1 et 2 de l’article 18 de la loi organique de 2012, « Les arrêts et avis de la Cour constitutionnelle sont rendus par cinq (5) membres au moins.

Les décisions sont prises à la majorité absolue des membres de la Cour constitutionnelle. » Ce qui constitue une réelle garantie d’impartialité dès lors que cette procédure présente l’avantage d’être sécrète et met les membres de la Cour à l’abri de toute influence.

Mais la difficulté subsiste lorsque l’opposition argue le lien familial qui exister entre la présidente de la Cour et un autre membre de ladite cour, en l’occurrence monsieur Narey Oumarou, qui serait, selon l’ARDR, le beau-frère de la présidente de l’institution. Il est clair que, sur ce point, les deux juges encourent la récusation face à une affaire à eux soumise et pour laquelle une partie souhaiterait leur récusation. C’est là un motif légitime de récusation, car il y a un risque évident de partialité, une suspicion légitime du juge. Or, une des conditions de la requête pour cause de suspicion légitime, suppose que le demandeur doit démontrer que des éléments objectifs sont de nature à faire naître un doute sur l’impartialité d’une juridiction dans son ensemble. Mais dans ces genres de situation, la logique juridique recommande au juge de se récuser lui-même avant toute demande d’une partie au procès. Le juge qui suppose en sa personne une cause de récusation ou estime en conscience devoir s’abstenir, peut et doit prendre l’initiative de se récuser. À sa demande, il est remplacé par un autre juge.

C’est pourquoi, à notre avis, il semble opportun d’instituer une procédure d’abstention au lieu de la procédure de récusation qui risquerait de menacer la stabilité démocratique, les parties (généralement les acteurs politiques) étant connues pour être des adeptes du dilatoire. En illustre la demande de récusation de l’ARDR portant sur cinq (5) des sept (7) membres composant la Cour constitutionnelle. Or, même dans les systèmes où cette procédure existe, lorsqu’une demande de récusation est formulée, elle doit obéir à un certain nombre de critères. La jurisprudence constante affirme que le nombre de personnes récusées ne doit pas être tel qu’il interdise le fonctionnement normal de la juridiction et le jugement de l’affaire.

Et comme l’a si bien souligné le doyen Favoreu, « dans chaque circonstances, les forces politiques se manifestent au titre de la majorité ou de l’opposition, et il appartient aux juges constitutionnels d’arbitrer, comme cela s’est produit dans plusieurs pays du monde… Ces juges sont tenus de faire appel certes à leurs compétences techniques, en matière juridique, mais aussi souvent à leur expérience politique et sociale. Ils ne réagissent pas de la même manière que les autres juges, leur sensibilité n’est pas la même. » C’est pourquoi, explique le doyen, « ils sont plus exposés aux représailles et pressions possibles de ceux qu’ils contrôlent », c’est-à-dire le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, donc le pouvoir politique.

En conséquence, du point de vue qui nous intéresse et uniquement de ce point de vue là, le modèle nigérien de désignation des membres de la Cour constitutionnelle, offre beaucoup plus de garanties par rapport aux autres pays africains, il convient dès lors, de le préserver, ou au mieux, l’améliorer, en rendant exigible l’élection de tous ses membres. En effet, la Cour constitutionnelle est de plus en plus amenée à interpréter les dispositions de la Constitution à la lumière des normes universelles relatives à toute société démocratique. Apportant de la sorte sa modeste contribution à l’instauration d’un cadre démocratique vivant.

En tout état de cause, en ouvrant sa jurisprudence de plus en plus largement, la Cour n’occulte pas aux différentes forces politiques, leur droit à un procès équitable. Il convient dès lors de se rendre à l’évidence que la Cour constitutionnelle a besoin d’être soutenue et accompagnée, nonobstant les critiques parfois virulentes dont elle peut faire l’objet ; il y va de la survie de notre jeune et prématurée démocratie. La prise en compte de ses décisions est un impératif démocratique. En effet, grâce à l’autorité qui s’attache à ses arrêts, la cour constitutionnelle est en mesure de dégager des décisions acceptées comme telles par l’ensemble des parties.

M. AMADOU ADAMOU Bachir, Doctorant en droit public
Attaché de recherche au Centre de droit et politique comparés CDPC-J.C ESCARRAS
Faculté de droit de Toulon
Membre de l’association nigérienne des constitutionalistes
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