À six mois de la présidentielle, la tension est montée d’un cran cette semaine au Niger, avec les déclarations de l’opposition et de la société civile qui mettent en doute le processus électoral. Réactions du ministre de l’Intérieur, Hassoumi Massaoudou.
Contestation de la Cour constitutionnelle, du fichier électoral, remise en cause de l’augmentation du nombre de députés… La semaine politique a été chargée au Niger alors que l’opposition et la société civile ont toutes deux publié une déclaration, lundi 17 et mercredi 19 août, réclamant, entre autres, des élections transparentes, libres et inclusives.
Le ministre de l’Intérieur, Hassoumi Massaoudou, réagi à cette actualité pour Jeune Afrique, qu’il a reçu dans les locaux de son ministère, à Niamey. Il évoque également la situation à l’ouest du pays et la lutte contre Boko Haram.
L’opposition et la société civile ont, à deux jours d’intervalle, publié des déclarations violentes à l’égard du pouvoir. Quelle réaction vous inspirent-elles ?
La déclaration de l’opposition n’est pas nouvelle. Certes, ils ont changé de nom. Certes, ils ont intégré quelques organisations de la société civile qui ont toujours été du côté des opposants mais qui ont peur du suffrage universel parce que, politiquement, ils ne représentent rien. Mais le discours est le même : « le pays va dans le mur, le régime est autoritaire, totalitaire, etc »… Cela fait trois ans que, selon eux, nous sommes au bord du précipice. Et pourtant, nous n’y sommes pas encore tombés… Ils nous font un procès en illégitimité depuis que nous sommes au pouvoir, alors que, quand ils y étaient, ils n’ont rien fait.
L’opposition a récusé, une nouvelle fois, la Cour constitutionnelle…
C’est invraisemblable ! La Cour constitutionnelle est indépendante au Niger : elle compte un membre désigné par le président de la République, un autre par le président de l’Assemblée nationale – qui était, à l’époque de la formation de la Cour, Hama Amadou -, ainsi que deux magistrats élus par leurs pairs, un professeur de droit élus par le collège des enseignants juridiques, un diplômé en droit public élu par les associations des droits de l’homme et un avocat élu par le barreau de Niamey. De plus, elle ne peut pas être dissoute. Ni par le président, ni par l’Assemblée nationale. Demander sa dissolution, c’est une revendication putschiste.
L’opposition et la société civile mettent également en doute la fiabilité du fichier électoral.
Contester le fichier, c’est simple et efficace en termes de communication. Mais les délégués de l’opposition sont encore présents dans le comité chargé de la construction du fichier. Toutes les opérations, y compris de recensement, se sont faites et continuent de se faire avec eux. De plus, le coordonnateur-adjoint, qui est pour ainsi dire le père du fichier, est un de leurs représentants.
La société civile a déclaré que le nombre d’électeurs est supérieur à celui des habitants dans certaines zones. Comment l’expliquer ?
Avant l’établissement du fichier, le comité avait fait des estimations par rapport au dernier recensement dans le pays, qui datait de 2012. Mais, il ne s’agissait que de prévisions et les résultats après le référendum sont en train d’être ajustés. De plus, les zones dans lesquelles cet écart a été constaté ne sont pas tous des fiefs de la majorité présidentielle. Toutes ces critiques sont purement politiciennes.Ils nous ont assez retardés comme ça. Il faut avancer.
Un audit du fichier électoral est-il envisageable ?
Non. Cela prend trop de temps et notre Constitution est très claire : il faut que les législatives et la présidentielle soient organisées entre le 16 et le 27 février. Ce fichier a été fait au vu et au su de tout le monde et il est bien meilleur que le précédent. Il a d’ailleurs été construit sur la base d’un audit de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) du fichier de la présidentielle précédente. Nous ne voulons pas rentrer dans une dynamique qui nous amènerait à une vacance du pouvoir.
Les élections locales peuvent-elles être organisées avant la présidentielle ?
Cela ne nous dérangerait pas, mais ce serait illégal. Le mandat des élus locaux ne peut pas être abrégé. De plus, nous n’aurons pas le temps de les organiser. Le fichier électoral ne sera rendu que fin octobre et les scrutins locales sont plus lourds à mettre en place que l’élection présidentielle.
Le gouvernement va-t-il faire marche arrière sur l’augmentation du nombre de députés de 113 à 171, comme le réclame la société civile ?
Non. C’est un principe qui est appliqué depuis 1992, avec un député pour 100 000 habitants. En 2004, alors que nous étions dans l’opposition, le nombre était passé à 113, car le recensement avait donné un peu plus de 11 millions d’habitants. Aujourd’hui, nous appliquons la même règle sur la base du recensement de 2012, qui a dénombré plus de 17 millions de Nigériens. Comme d’habitude, ces quelques personnalités de la société civile s’attaquent à la démocratie à travers le parlement. Nous, nous pensons que, plus le peuple est représenté, mieux c’est.
Autre critique : l’insuffisance de la lutte anti-corruption. Le gouvernement en a-t-il fait assez ?
Nous avons déjà gagné au moins vingt places dans le classement de Transparency International. Mais, bien sûr, ce n’est pas suffisant car la corruption était systémique lorsque nous sommes arrivés au pouvoir. Nous devons notamment nous pencher sur le secteur de la justice et sur l’utilisation de la liberté provisoire. Il est encore trop difficile aujourd’hui de mettre quelqu’un en prison pour corruption. Si la majorité présidentielle l’emporte aux élections, ce sera un thème important du second mandat.
Sur le plan sécuritaire, où en est la lutte contre Boko Haram ?
La situation a beaucoup changé depuis quelques mois. Il y a une accalmie et, surtout, nous avons gagné en expérience. Nos forces sont devenues plus mobiles et plus efficaces pour traquer les terroristes. Nous faisons beaucoup de victimes dans leurs rangs et nous arrêtons également beaucoup de leurs membres, le plus souvent des émirs.
La région de Diffa est toujours en état de guerre. Comment est la situation sur place ?
Depuis les deux attentats de début 2015, la police y a démantelé beaucoup de cellules terroristes. Cela nous a évité des d’attaques. Il y avait une infiltration importante au sein de la population, que nous avons combattue grâce à l’état d’urgence, qui nous permet de perquisitionner les domiciles sans l’accord préalable du procureur. Aujourd’hui, nous avons environ 1 100 détenus nigérians et nigériens dans nos cellules, arrêtés pendant les combats ou dénoncés par la population. Tous les jours, il y a des dénonciations, malgré les risques de représailles. La stratégie de terreur a échoué, en partie parce que nous avons prouvé que nous pouvions protéger les habitants. Même si c’est imparfait, nous avons notamment mis plus de 30 milliards de francs CFA sur fonds propres pour prendre en charge les réfugiés.
La zone du lac Tchad est-elle toujours militarisée ?
Oui. Il y a encore des cellules actives autour du lac. Ce sont les derniers sanctuaires de Boko Haram. La dernière phase de l’offensive contre Boko Haram, que nous sommes en train de préparer avec le Tchad, se jouera dans les îles.
Après les attentats-suicides à N’Djamena puis au Cameroun, avez-vous renforcé la sécurité à Niamey ?
Nous ne baissons pas la garde. Les patrouilles mixtes de la gendarmerie et de la garde sont en place, tout comme les forces de police. Mais il n’y a pas de nouvelles mesures. Pour Niamey, le danger vient davantage du Nord, d’Aqmi ou d’Al-Mourabitoune, que de Boko Haram. Les mesures sont en place depuis le déclenchement de la guerre au Mali.
Vous évoquez Al-Mourabitoune. Comment avez-vous vécu l’incertitude autour de la mort de Mokhtar Belmokhtar ?
Il n’y avait pas vraiment d’incertitude. Dès le premier jour, les Américains nous ont dit qu’ils pensaient ne pas l’avoir touché, qu’ils avaient abattu des hommes de son groupe mais que lui s’en était sorti. D’ailleurs, il a donné signe de vie depuis.