INVITÉ AFRIQUE Mohamed Bazoum: contre Boko Haram, «nous attendons que le Nigeria soit efficace»

C’est au Niger que le nouveau président nigérian Muhammadu Buhari a décidé de se rendre pour sa première visite officielle. Niamey est engagé comme ses voisins dans la lutte contre Boko Haram. Qu’attendent les Nigériens des nouvelles autorités nigérianes ? Quelles conséquences la menace Boko Haram fait-elle peser sur le climat politique au Niger, où une présidentielle est prévue en 2016 ? Qu’est-ce que le pouvoir répond à ceux qui s’inquiètent d’une possible dérive autoritaire au nom de la lutte contre le terrorisme ? Pour répondre à ces questions, Florence Morice reçoit le ministre d’Etat du Niger Mohamed Bazoum.

RFI : Avec la venue du président Buhari au Niger, quelques jours après son investiture, est-ce que vous vous dites que l’on est entré dans une nouvelle ère dans la lutte contre Boko Haram ?

Mohamed Bazoum : Certainement. C’est plus qu’un symbole ce que vient de faire le président Buhari de visiter le Niger et le Tchad. Ça en dit long sur sa volonté de prendre en charge de façon rigoureuse le problème de Boko Haram.

Qu’attendez-vous de sa part aujourd’hui ?

Nous attendons que le Nigeria soit mobilisé, que le Nigeria soit efficace. Il a une armée nombreuse, il a une armée en principe compétente. Il lui faut insuffler la volonté qu’il faut, ainsi que la détermination à même de rendre la victoire possible et même facile, certainement.

Le président nigérian a souhaité que d’ici quatre semaines son armée prenne la relève du Niger et du Tchad dans la sécurisation des villes du Nord-Est qui ont été reprises récemment à Boko Haram. Qu’est-ce que ça signifie concrètement une reprise en main ?

Ça signifie que l’armée du Nigeria vient se substituer aux armées du Tchad et du Niger dans les villes frontalières avec le Niger. Quatre semaines, c’est très raisonnable. A l’époque, on s’attendait à ce que ça se fasse au lendemain seulement de la libération de cette ville. Qu’il prenne quatre semaines, ça veut dire qu’il a l’intention de faire les choses de façon vraiment rigoureuse.

Fin avril, une attaque de Boko Haram sur les îles du lac Tchad a coûté la vie à des dizaines de soldats nigériens. Est-ce que cet épisode n’a pas révélé les fragilités de la défense nigérienne ?

Cette position était exposée en effet et nous savions que notre élément qui se trouvait sur cette île de Karamga était vulnérable. Le débat était en cours quand malheureusement les évènements ont eu lieu.

Les incursions de Boko Haram ont provoqué le déplacement de dizaines de milliers de personnes dans des conditions critiquées, y compris par votre Premier ministre qui s’est rendu sur place. Comment expliquer alors que lorsqu’un leader de la société civile, Moussa Tchangari, lui aussi publie un rapport critique sur ces transferts de déplacés, il soit arrêté ?

Moussa Tchangari est leader de la société civile, c’est vrai, mais il est le numéro deux d’un parti politique de l’opposition. L’opposition au Niger n’a jamais eu un seul mot de condamnation de ce que fait Boko Haram, bien au contraire, à chaque fois que nous avons été agressés par Boko Haram, c’est le président Issoufou que l’opposition a accablé en disant que c’est sa posture belliciste qui attire la guerre au Niger. Mais subitement, certains éléments qu’elle utilise sous le label de la société civile se sont faits force de dire des choses excessives, mensongères et tendancieuses quand nous gérons une situation qui en soi, est extrêmement difficile. Nous n’avons rien fait de délibéré qui ait consisté en des exactions telles qu’elles sont décrites par ce rapport.

Moussa Tchangari a été arrêté pour complicité avec une entreprise terroriste, complice de Boko Haram. Ça vous semble crédible ?

Moi, je n’en sais rien. Je ne suis pas l’autorité qui a pu faire ces qualifications. Mais ce que je sais, c’est que les rapines qui ont été organisées par Boko Haram, les exactions qui ont été commises par cette organisation n’ont jamais suscité le moindre petit rapport de l’organisation de monsieur Tchangari, encore moins de l’opposition politique à laquelle il appartient. Nous ne permettrons pas qu’on banalise les questions dangereuses de ce genre parce que la première des libertés, c’est d’abord la stabilité de nos Etats. C’est de les protéger contre les facteurs de leur vulnérabilité qui sont bien connus. Et aucun de nos Etats n’est à l’abri de situations comme celles qui sont vécues au Mali. Et ça, ce sont les situations les pires qui existent aujourd’hui.

Moussa Tchangari n’est pas un cas isolé. Certains voient dans ces évènements le signe que le pouvoir utilise la lutte contre Boko Haram pour museler la société civile à des fins électoralistes ?

Quelle relation il y a entre les élections et ce phénomène-là ? En quoi d’avoir interpellé une ou deux personnes, qui se disent acteurs de la société civile, a une relation avec les élections ?

Vous êtes également président du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS). A ce titre, votre mission majeure est de préparer la présidentielle. Ces derniers temps, la société civile vous a reproché la mauvaise gestion de la méningite, les nombreux délestages, une réduction des libertés politiques. Ce climat ne semble pas très propice à une réélection du chef de l’Etat ?

Lorsqu’eux étaient au pouvoir, en 2000, il y a eu presque 10 000 cas de méningite avec 2 000 décès à peu près. Cette année, nous avons eu 7 000 cas de méningite avec 400 décès. C’est terminé. Nous pensons qu’on ne peut pas nous accabler sur ce thème-là. Il n’y a que des gens qui ont tendance à faire feu de tout bois pour penser qu’ils ont là un argument vraiment politique. Qu’il y ait des difficultés au Nigeria pendant trois jours et qu’il y ait un peu plus de délestage au Niger que d’habitude, ça ne fait pas que nous soyons désormais dans une situation désespérée où nous aurions perdu l’électorat. Les libertés, je rigole parce que j’entends les gens nous faire ce procès-là. Nous aurons des élections libres et transparentes. Et si parce que nous n’avons pas été performants, nous devions perdre, ce ne sera pas un drame pour nous.

Florence Morice RFI