INTERVIEW: Mohamed Bazoum président du PNDS-Tarayya

Monsieur le président, après quatre ans à la tête de la diplomatie nigérienne, quelles sont les actions saillantes (positives ou négatives) que vous retenez aujourd’hui ?

Ce que je retiens, c’est qu’avec le président Issoufou, nous avons agi de façon à montrer clairement que notre pays a sa propre personnalité internationale. Nous avons des positions qui sont claires et qui sont clairement exprimées, et souvent elles sont mêmes tranchées. Ce n’est pas évident pour un pays faible. Sur le Mali, tout le monde connaît la position du Niger.  Elle est une référence, on peut être d’accord avec notre posture ou ne pas être d’accord. Mais elle existe. Sur la Libye également, nous avons une position qui est bien connue et qui n’a pas été souvent en phase avec les Grands pays. Mais nous l’avons exprimé de façon très claire et nous l’avons assumé. Sur BokoHaram également, nous avons notre position. Nous avons pris des initiatives, nous avons accéléré la mobilisation de la communauté internationale. Nous avons à cet égard joué un grand rôle. Voilà pour ce qui est des dossiers qui nous intéressent au premier chef. Pour le reste, nous restons un pays faible dont la voix internationale n’est pas toujours audible, et s’exprime même rarement sur ce genre de dossiers.

A la suite de votre accession à la présidence du PNDS-Tarayya, avez-vous précisément délimité votre champ d’action de président d’un parti politique et celui de ministre des Affaires Etrangères ? Si oui, comment ?

En n’assumant pas totalement mes charges de président de parti, j’ai délégué presque tous mes pouvoirs au camarade AlkassoumIndatou qui a eu la charge de gérer le parti au quotidien. J’étais resté totalement à m’occuper des affaires internationales et de ma mission de ministre des Affaires Etrangères. Je ne suis intervenu dans la gestion du parti qu’à l’occasion de quelques grands événements où mon rôle a consisté à écrire et à lire des discours.

L’atmosphère politique de notre pays semble quelque peu tendue. Logiquement, personne n’a intérêt à faire le lit d’une crise postélectorale majeure. Que pouvez-vous faire de votre côté, vous et vos alliés, pour réduire la tension, et que pouvez-vous espérer de l’Opposition pour que des convergences minimales apparaissent ?

Ce que j’espère de l’Opposition, c’est qu’elle fasse comme elle a fait hier (mercredi) à la réunion du CNDP. Les élections sont organisées par des cadres qui sont totalement autonomes de l’Administration. Au comité chargé du fichier électoral, toutes les forces politiques sont représentées. Il va fonctionner de façon autonome, et nous devons, nous les partis politiques, nous mobiliser pour faire en sorte que son travail se fasse bien. Les élections seront organisées par la CENI. Son bureau vient d’être nommé. Les magistrats ont élu celui qui va les représenter, et qui sera probablement le président de la CENI. Les associations de la société civile viennent d’élire le rapporteur et le rapporteur adjoint. Le président de la République va désigner le vice-président de la CENI. Nous avons comme ça un bureau qui ne répondra pas aux ordres de quelque pouvoir que ce soit et qui aura en charge d’organiser les élections. Nous devons nous mobiliser également pour faire en sorte que, le moment venu, ces élections se déroulent dans de bonnes conditions ainsi que nous l’avons fait depuis toujours. Voilà pour ce qui est des élections.

S’agissant de l’atmosphère politique, il faut travailler à la détendre considérablement en faisant, chacun d’entre nous, ce que nous avons à faire. Pour ce qui concerne la majorité, nous nous y efforcerons parce que c’est notre intérêt. Et c’est l’intérêt de notre pays à faire en sorte que tout ce qui peut être aplani comme divergences entre nous le soit par le dialogue, par la concertation. Ce sera ça notre ligne de conduite, et ça l’a toujours été.

Monsieur le président, les Nigériens vous reconnaissent votre franc-parler, et de cet fait s’attendent à une version non édulcorée de votre départ précipité du ministère des Affaires Etrangères. Qu’en est-il réellement ? Et ces dossiers dans lesquels votre nom a été cité, ont-ils un fondement ?

C’était au cours de l’année 2011 que j’ai fait délivrer un passeport diplomatique sur instructions du président de la République à Monsieur Béchir Salah. Cela date de quatre ans, ça ne peut pas être à la base de mon départ du ministère des Affaires Etrangères. Je suis convenu avec le président Issoufou qu’à un an des élections, je me retire du gouvernement pour me donner assez de temps à m’occuper de mon parti. Si certains pensent que ce départ est précipité et qu’il aurait anguille sous roche, je trouve cela tout à fait pathétique. Et si ça peut les soulager, je leur concède que j’ai été débarqué. Ils peuvent en jouir. Mais, de toute façon, je n’ai pas d’explications à leur donner, à eux.

Selon toute apparence, le mandat du président Issoufou Mahamadou sera renouvelé. A tout prix ? Quelle est la ligne rouge ?

C’est dans la mesure où les Nigériens lui accorderont leurs suffrages dans le cadre d’une élection libre, transparente et sincère. Si, ainsi que le prétend l’Opposition, Issoufou Mahamadou ne devrait pas bénéficier du suffrage majoritaire du peuple, il ne sera pas le prochain président de la République. Nous n’avons pas de ligne imaginaire à nous tracer. Nous nous mobilisons pour ce deuxième mandat. La preuve, je viens de quitter mes fonctions de ministre des Affaires Etrangères pour principalement m’occuper du parti présidentiel afin que nous récoltions le maximum de suffrages au profit du président Issoufou. Nous faisons le pari que c’est possible qu’il gagne les élections dans des conditions de transparence. D’ailleurs, nous aurons beaucoup d’observateurs pour surveiller l’organisation du vote lui-même. Et nous sommes convaincus que si nous devons gagner, c’est parce que nous aurons pu mobiliser les suffrages nécessaires à cet effet. Et si nous devons perdre ces élections, c’est parce qu’en face les adversaires ont pu faire mieux que nous.

Les partenaires techniques et financiers (PTF) ont un regard perçant sur la gouvernance de notre pays. Au stade actuel, diriez-vous que tout est au beau fixe ? Pourquoi ?

Moi, je considère que nous avons une excellente relation avec tous nos partenaires qui nous tiennent en grande estime. La preuve, c’est le niveau de leur engagement à nos côtés. Nous sommes le pays qui bénéficie, par tête d’habitant, de plus d’aide de l’Union européenne dans le cadre du 11ème FED. Ce n’est pas un hasard, nous avons une coopération qui s’est considérablement accrue avec le gouvernement des Etats-Unis, notamment avec le programme du MCC. Nous avons également une coopération militaire dense avec nos alliés comme jamais nous n’en avons eu du fait des menaces terroristes auxquelles nous sommes soumis. Nos relations avec les organismes du système des NU sont excellentes, et nous sommes dans un dialogue constant institutionnel avec l’ensemble de ces partenaires où nous traitons de toutes les questions, y compris politiques. Par conséquent, je voudrais dire que jamais gouvernement au Niger n’a été tenu en si haute estime de la part de ses partenaires.

Un dernier mot, monsieur le président ?

Le mot de la fin, c’est à l’intention de votre journal qui, lorsqu’il parle du président Issoufou, dit qu’au mieux c’est un despote, sinon un tyran pour utiliser le mot consacré à cet effet par l’Opposition. Votre journal relaye toutes les récriminations de l’ARDR, qui sont radicales et qui sont sans rapport avec la réalité. Mais je voudrais vous faire observer que si la presse du Niger avait les qualités professionnelles de la presse du Burkina ou du Sénégal, le Niger ne serait pas le 7ème pays dans l’ordre du classement de Reporters sans frontières (RSF) mais aurait occupé un rang encore meilleur, parce que les moins-values que nous avons dans ce classement sont imputées à la qualité du journalisme qui est pratiqué. Vous, votre journal est de bonne facture. Il n’y a pas de doute, ce n’est pas à cause de vous que nous avons ces moins-values, mais relisez vos autres confrères et vous comprendrez.

L’Opposition dit que nous sommes un régime hyper corrompu, le plus corrompu qui existe. Or, en dépit des difficultés réelles que nous avons à nous battre convenablement contre les pratiques de corruption et l’impunité, nous avons amélioré le rang de notre pays par rapport au point où il en était lorsqu’eux étaient aux affaires. Nous l’avons amélioré de 36 points. Il y a donc un mieux. Toutefois, je le dis, c’est insuffisant. La pierre que l’Opposition nous jette est totalement illégitime.

Réalisée par Mahamadou Harouna

L’ENQUETEUR