Faire accuser de «complicité de supposition d’enfants» un des leaders de l’opposition, est-ce un moyen de l’écarter de la scène politique?
Hassoumi Massaoudou. Si vous croyez ce que vous raconte monsieur Amadou cela peut y ressembler. Mais il dit beaucoup de mensonges et l’affaire est judiciaire.
A presque un an des élections, cela vous arrange bien tout de même…
Pas du tout. Cette affaire, nous n’en avons pas voulu! Quand elle a commencé, le Premier ministre et moi-même -j’assurais alors l’intérim au ministère de la Justice- étions au contraire très gênés. Nous avons cherché à convaincre le Procureur d’y mettre un frein. Cela, Hama Amadou ne le sait pas. C’était en avril 2014. Le procureur a réagi de manière violente et nous avons fait marche arrière. C’est donc tout le contraire que ce que Hama Amadou pense. Ce n’est pas le gouvernement, comme il le dit, qui a lancé l’affaire, mais la justice.
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Comment s’est déclenchée cette affaire de «supposition d’enfants»?
Tout le monde sait qu’il existe au Nigéria des usines à bébés. Ce sont des camps où des femmes sont séquestrées et engrossées. Leurs bébés sont mis en vente et avec la complicité d’hôpitaux des faux papiers sont délivrés aux «clients» leur permettant d’en revendiquer la paternité. L’histoire est connue depuis longtemps. Ce qui est nouveau, c’est que des membres de la bourgeoisie du Niger se payent ce genre de service. C’est criminalisé dans notre pays. La presse en a fait état et la justice s’est autosaisie de l’affaire. Contrairement à ce que raconte monsieur Amadou, aucun juge n’a été limogé. Un seul juge l’instruit depuis le début et quand il a demandé à la police d’arrêter le Président de l’assemblée, j’étais là, je peux vous garantir qu’il était déterminé.
« LES FAITS SONT ÉTABLIS »
Sur quel fondement a-t-il motivé ces arrestations?
Un intermédiaire nigérien a été arrêté. Sur la base de ses déclarations, dix-sept «clients» ont été arrêtés au mois d’août. Parmi lesquels un ministre de notre famille politique et son épouse.
Pourquoi la demande d’arrestation de Hama Amadou a-t-elle fait l’objet d’un conseil des ministres extraordinaire?
Parce qu’il est président de l’Assemblée, sa demande d’arrestation doit être validée en conseil des ministres. Lorsque le juge a formulé sa demande, le Président était en vacances. En son absence, il faut un décret pour habiliter le Premier ministre à présider un conseil de ministre extraordinaire. C’est la procédure.
Avouez qu’en plein mois d’août, réunir un conseil des ministres pour une affaire de «supposition d’enfants», cela paraît surprenant.
Ce n’est pas comme en France, les ministres ne sont pas en vacances à ce moment. Il est fréquent que le Premier ministre préside un conseil des ministres extraordinaire. En août, nous en avons eu plusieurs. Cela n’a rien d’exceptionnel.
Pourquoi l’enquête au Nigéria a-t-elle débuté seulement après la vague d’arrestations?
C’est sur la base des déclarations des personnes arrêtées que le juge a pu demander une commission rogatoire pour envoyer des enquêteurs dans cette usine de bébé au Nigeria où un camp a pu être démantelé. La clinique au Bénin a été fermée et son directeur emprisonné. Les faits sont établis.
La semaine dernière, presque toutes les personnes arrêtées ont placées en libérées provisoire, sauf la femme du président de l’Assemblée. Les faits dont on l’accuse ne sont pourtant pas différents des autres ; pourquoi ce «traitement de faveur»?
Elle devrait elle aussi obtenir une libération provisoire en suivant la même procédure. Ces personnes devront de toutes façons toutes se présenter au moment du procès.
Que se passera-t-il si Hama Amadou ne se présente pas?
Si à l’issu du procès Hama Amadou est condamné, alors il devra se livrer à la justice nigérienne sans quoi nous formulerons une demande d’extradition car il existe des accords entre la France et notre pays. Autrement, nous le ferons inscrire sur la notice rouge d’Interpol.
« NOUS AVONS ENCORE 70 DÉPUTÉS SUR 113 AVEC NOUS »
N’est-ce pas gênant, à un an des élections, de lancer un mandat d’arrêt contre un Leader de l’opposition?
Hama Amadou n’est pas «LE» Leader de l’opposition. Son parti a obtenu 18% des voix aux élections législatives de 2011. Depuis, il a perdu beaucoup de soutiens. Lorsque en août 2013, monsieur Issouffou a décidé de nommer un gouvernement d’union nationale, de nombreux cadres du parti de Hama Amadou et du MNSD de Seyni Omarou ont décidé de nous soutenir.
Hama Amadou reproche à Mahamadou Issoufou d’avoir constitué ce gouvernement d’union nationale sans le prévenir.
C’est faux.
Il l’accuse de vouloir émietter les partis.
Hama Amadou espérait renverser la majorité en septembre 2013 à la faveur d’une alliance avec Seyni Oumarou. Ils n’y sont pas parvenus, car leurs troupes ne les ont pas suivis. Aujourd’hui, nous avons encore 70 députés sur 113 avec nous. Le président nigérien n’est donc pas à la tête d’une «coalition minoritaire» comme vous l’a dit Hama Amadou. Ensuite, après cet échec, Hama Amadou qui, je le rappelle a été le directeur de cabinet des deux généraux qui ont régné de manière brutale à l’époque de la dictature militaire, a essayé de créer un mouvement insurrectionnel. Cela, les Nigériens n’ont pas apprécié du tout. Amadou pensait que l’armée allait suivre, mais cela n’a pas été le cas.
Vos policiers ont mis son fils en prison en l’accusant de «terrorisme».
Son fils a été arrêté avec une bande de personnes qui brûlaient des pneus et cherchaient à faire dégénérer une manifestation. Il fallait rétablir l’ordre public. Il n’a jamais été placé à la cellule anti-terroriste, mais quelques jours en détention la PJ.
Amadou prétend que le commissaire Doula de la cellule anti-terroriste a refusé de monter un dossier contre son fils et a été limogé.
C’est faux, le commissaire Doula à l’époque était chargé de l’anti-terrorisme, or monsieur Amadou était à la PJ. Monsieur Doula est aujourd’hui chef de l’anti-drogue.
Cette procédure judiciaire vient aux termes d’une année de lutte sans merci entre le président Issouffou et son président de l’Assemblée. Cela arrange vos affaires?
Cette affaire nous gêne car elle donne à Hama Amadou la possibilité de se «victimiser» en proclamant que le pouvoir utilise une histoire sordide pour l’abattre. En réalité, il était déjà politiquement en perte de vitesse.
Le sénateur Legendre parle de crise politique «sérieuse» au Niger, ce n’est pas le cas?
Pas du tout. Il y a une presse libre, elle est même outrancière, mais le pays est stable. Les gens ne sont pas dans la rue. Beaucoup critiquent le pouvoir, surtout les anciens dignitaires. Car ces gens-là ne supportent pas être dans l’opposition. Sur le plan politique, institutionnel, c’est une démocratie qui fonctionne. D’ailleurs je me permets de vous dire que le classement «The Economist» que vous avez cité et qui qualifie le Niger de «démocratie hybride» date de plusieurs années. Depuis, il y a eu beaucoup de changements. Je ne pense pas que le Niger soit encore aujourd’hui un «régime hybride», mais une démocratie.
Parismatch