Contribution citoyenne au trilogue au sein du CNDP : Quel système électoral pour le Niger ? (suite et fin)

Dans la précédente publication, deux forces et deux faiblesses du régime électoral nigérien ont été analysées. Suivant la même démarche méthodologique, la présente contribution passe en revue deux autres forces à consolider (justice électorale, fair-play politique) et deux faiblesses à corriger (éducation politique et civique, critères d’éligibilité).

Justice électorale

Une date est gravée à jamais dans les annales de la justice électorale nigérienne : vendredi 12 juin 2009. En effet, ce jour-là, la Cour Constitutionnelle a annulé le décret convoquant le corps électoral, dans le cadre du projet de référendum prévu le 04 août 2009. La finalité de ce référendum est de rallonger de trois ans, le 2ème mandat finissant du Président Mamadou TANDJA, afin de lui « permettre de parachever ses grands chantiers. »  Le Tazartché ou continuité a été, légalement, mis en échec par cet arrêt historique. L’indépendance dont avait fait preuve la Cour Constitutionnelle du Niger a été saluée partout dans le monde.

La même année, la Cour Constitutionnelle de Colombie a fait également parler d’elle en qualifiant de « démolition démocratique », le projet de référendum visant à sauter la limitation des mandats. Comme au Niger, l’argument officiel était de permettre au Président Alvaro URIBE de parachever la lutte contre la guérilla des Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC).

Les arrêts des hautes juridictions du Niger et de Colombie sont devenus des cas d’école, dans toutes les rencontres qui traitent de la justice électorale. Quel aurait été l’avenir de ces pays, si les juges électoraux n’ont pas été indépendants et intègres? Personne ne peut le dire avec certitude ! En revanche, leur indépendance et leur sens de l’intérêt général ont permis aux processus démocratiques de poursuivre leurs trajectoires.

De manière générale, hormis l’épisode du  hold-up électoral de 1996, l’écosystème juridique nigérien a connu, de l’avis de plusieurs observateurs, de « bons juges » électoraux. Il appartient aux spécialistes en la matière de formuler des propositions pour consolider cette force.

Fair-play politique

Dans un système électoral, toutes les règles ne sont pas formellement codifiées dans les textes. Certaines relèvent de l’éthique, de la tradition électorale. Il en est ainsi du fair-play. Forgé par William SHAKESPEARE en 1589, le fair-play, dans le milieu sportif, « recouvre à la fois le respect de l’adversaire, des règles, des décisions de l’arbitre, du public et de l’esprit du jeu, mais aussi la loyauté, la maitrise de soi et la dignité dans la victoire comme dans la défaite. » Sébastien NADOT ajoute que « le fair-play est né de deux mondes a priori antagonistes : celui de la guerre et celui de la courtoisie, deux arts pratiqués par les chevaliers médiévaux.»

Dans l’arène électorale nigérienne, il faut rendre à César ce qui lui appartient. Mamadou TANDJA a inauguré le bal du fair-play, en reconnaissant sa défaite au 2ème tour de la présidentielle de 1993, face à Mahamane OUSMANE, le candidat de l’Alliance des Forces du Changement (AFC). En 1995, à la suite de l’éclatement de l’AFC, Mahamane Ousmane a fait également preuve d’un fair-play remarquable. En tant que Président de la République en exercice, il a mis en place la première CENI pour organiser les élections législatives anticipées, puis a reconnu la défaite de son camp.

A la présidentielle de 1999, Issoufou MAHAMADOU a perpétué cette tradition de fair-play, en admettant sa défaite, au 2ème tour, face à Mamadou TANDJA. En 2004, il a reconnu, de nouveau, son échec face au même candidat. Mieux, Issoufou MAHAMADOU s’est déplacé pour féliciter son challenger à domicile.

La tradition de fair-play s’est poursuivie avec Seyni OUMAROU, qui a aussi admis sa défaite face à Issoufou Mahamadou, au 2ème tour de l’élection présidentielle de 2011. Un détail mérite d’être souligné. Le jour du scrutin, sur le perron de l’hôtel de ville de Niamey, Issoufou MAHAMADOU apostropha son challenger en ces termes : « j’espère que tu vas voter pour moi ! » La riposte de Seyni OUMAROU fut instantanée et cinglante : « j’espère que tu as déjà voté pour moi ! » Au-delà de l’art de l’invective qui fait partie du charme de la politique, quel bel exemple de fair-play électoral !

De 1993 à 2011, « la maitrise de soi et la dignité dans la victoire comme dans la défaite » ont caractérisé le système électoral nigérien. Cette force doit être cristallisée dans les consciences des candidats et des électeurs, à travers l’éducation politique et civique.

Education politique et civique

La Charte des partis politiques leur fait obligation « d’assurer la sensibilisation et la formation de leurs adhérents et de contribuer à la formation de l’opinion. » La même Charte précise que « tout parti politique doit par ses objectifs, son programme et ses pratiques, contribuer à la formation civique et à l’éducation politique de ses militants. »

D’origine guerrière, le mot militant désigne « celui qui lutte, qui défend une cause, une idéologie. » En démocratie républicaine, le militant n’est pas seulement un guerrier, un combattant, un défenseur. Le militant est aussi un citoyen, défini comme « celui qui participe de son plein gré à la vie de la cité. » Pour participer pleinement à la vie de la cité, le militant-citoyen doit être formé et éduqué. D’abord, pour comprendre les jeux et les enjeux de la vie politique. Ensuite, pour apprendre « à respecter et à faire respecter les lois et les règles en vigueur, mais aussi à avoir conscience de ses droits et devoirs envers la société. »

La responsabilité de former et d’éduquer les citoyens incombe principalement à l’Etat et aux partis politiques ; subsidiairement aux organisations de la société civile.  Hormis quelques conclaves ponctuels, combien de partis politiques, d’administrations étatiques et d’organisations de la société civile assurent, sur la durée, l’éducation politique et civique des militants-citoyens ? Très peu ! Dans ce contexte, doit-on s’étonner que les valeurs fondamentales de la citoyenneté – le civisme, la civilité et la solidarité – ne soient pas suffisamment ancrées dans la vie publique ? Pire, doit-on continuer à se stupéfier face à la montée de l’intolérance et de l’extrémisme dans les mœurs politiques nigériennes ?

Sur ce volet, plusieurs liens familiaux et amicaux ont été affectés – pour utiliser un euphémisme – par l’ascension fulgurante du sectarisme partisan. Dans l’antiquité déjà, Aristote disait que « la société politique est composée de familles.» Au 21ème siècle, la formation et l’éducation des militant-citoyens sont le ciment pour raffermir les liens entre les différentes familles de la société politique. Ce maillon faible de la chaine électorale nigérienne doit être remplacé.

Critères d’éligibilité

Selon certaines indiscrétions, le trilogue au sein du Comité achoppe sur l’article 8 de la loi organique No 2017 – 64, dont l’un des alinéas dispose : « Ne peuvent être inscrits sur la liste électorale, les individus condamnés définitivement pour délit à une peine d’emprisonnement ferme égale ou supérieure à un (1) an et non réhabilités »

Pour les représentants de l’opposition, cette disposition serait une manœuvre du pouvoir en place, pour mettre hors course Hama AMADOU, l’actuel chef de file de l’opposition, aux élections de 2021. Ce dernier, en exil en France, a été condamné à un an de prison ferme dans une affaire de supposition d’enfant.

Selon toujours les mêmes échos, au sein du Comité, les représentants de la majorité défendraient mordicus le maintien de cette disposition, tandis que ceux de l’opposition et des partis non-affiliés souhaiteraient l’allongement de la condamnation à deux ou trois ans. Ce qui permettrait, selon leurs calculs, à Hama AMADOU d’être dans les startingblocks de l’élection présidentielle en 2021.

Indépendamment des supputations sur le cas Hama AMADOU, deux conclusions peuvent être tirées du maintien ou de l’allongement de la durée de la condamnation prévue par l’article 8. Primo, tous les acteurs politiques sont unanimes qu’un ex-délinquant, au sens judiciaire du terme, soit candidat à la plus haute fonction de l’Etat. Secundo, ce qui les distingue et les oppose, c’est le degré de la délinquance. Peu importe la nature ! Suivant cette logique, la course à la Présidence de la République est, désormais, ouverte aux ex-délinquants de tout acabit. Quelle meilleure façon de banaliser l’institution et la fonction présidentielle, par ceux qui se battent, corps et âmes, pour y accéder !

Dans le cadre de la révision de l’article 8, la question devrait normalement être formulée ainsi : de quel Président les Nigériens ont ou auront besoin ? Au vu de l’importance de la question, même un référendum ne serait pas de trop  pour trouver la réponse adéquate. A défaut, la prise en compte des avis des citoyens est impérative par le canal d’une enquête d’opinion voire par le biais d’une catharsis collective. Dans tous les cas, l’élection du Président de la République est si complexe, qu’on ne saurait la simplifier comme le choix d’une boisson sucrée dans une soirée de gala américaine : Coca-Cola ou Pepsi-Cola !

De mon point de vue, les critères d’éligibilité doivent être revus à toutes les élections. Aux législatives, le niveau d’instruction pour tous les candidats doit être relevé, afin de ne plus avoir, en fin de course, un Parlement dont les séances plénières ne sont guère différentes des Assemblées Générales de la Chambre de Commerce. Le niveau d’instruction et la moralité des candidats aux élections locales doivent, aussi, être qualitativement revus. Les électeurs sont dégouttés d’assister impuissants à la destitution, à mi-mandat, des Présidents de Conseil de ville pour violations répétitives des textes. Ils le sont également, au vu du nombre de Conseils municipaux dissouts pour dysfonctionnement, et des maires élus révoqués pour mauvaise gestion.

Le diagnostic du système électoral nigérien sera intégral, si d’autres contributions citoyennes abordent des aspects non moins importants, tels que les modes de scrutin, les alliances électorales, la transhumance des élus, l’absence des sondages et des débats électoraux.

En effet, après un quart de siècle de démocratisation, le système électoral nigérien a besoin d’un nouveau souffle. A travers lequel, il va consolider ses forces et corriger ses faiblesses, en capitalisant les expériences passées, en tirant les leçons nécessaires et surtout en s’inspirant des bonnes pratiques d’ailleurs.

ABDOURAHAMANE OUSMANE

Consultant en Communication, Médias et Elections