« Nous attendons simplement le respect de l’engagement pris librement par les chefs d’Etat de notre organisation commune », déclare Ibrahim Yacoubou à propos de la présidence de la Commission de l’UEMOA
Le chef de la diplomatie nigérienne M. Ibrahim Yacoubou vient d’effectuer une visite en Russie. Dans cet entretien, il a bien voulu confier à Niger Inter les contours de cette visite. Il a également clairement exprimé la position du Niger sur la présidence de la Commission de l’UEMOA que le Sénégal entend sauvegardée.
Niger Inter : Vous venez d’effectuer une mission en Russie. C’est une première pour le Niger quand on sait qu’une pareille rencontre dans ce grand pays remonterait aux années 60…
Ibrahim Yacoubou: Je dois dire d’abord que cette visite traduit la signification d’un intérêt partagé entre la Fédération de Russie et le Niger de renforcer des relations diplomatiques qui existent depuis un demi-siècle mais qui n’ont pas un contenu satisfaisant du point de vue de nos deux pays. Nous n’avions pas un contenu adapté aux enjeux et à l’importance que nous voudrions accorder à ces relations. C’est pour cela qu’au niveau du Niger le président de la République a considéré qu’il est nécessaire que nous mettions en place un nouveau partenariat dynamique et plus fort avec la Russie. C’est essentiellement cela le but de ma récente visite dans ce pays. Et j’ai été très satisfait de mes échanges avec le ministre Sergueï Lavrov. Ces échanges étaient relatifs aux enjeux sécuritaires, de développement et la situation internationale. Nous sommes convenus de tout faire pour que ce partenariat puisse avoir un contenu concret. La Russie est un acteur mondial majeur, membre permanent du Conseil de sécurité. C’est un acteur qui est impliqué et engagé sur beaucoup de questions et notamment en Afrique en ce qui nous concerne, où ils suivent près la question libyenne. Nous avons également échangé sur d’autres questions internationales. Il y a déjà quelques axes qui sont en place dans notre relation avec la Russie et nous entendons les renforcer. Il y a entre autres, la formation de nos cadres en Russie que nous allons renforcer davantage en nombre et en options offertes. Nous allons renforcer la présence des investisseurs russes dans notre pays. Et nous avons décidé d’engager le processus de signature des deux accords : un accord de protection et de promotion des investissements et un accord pour éviter la double imposition des sociétés russes et nigériennes. En résumé, nous partageons aujourd’hui avec la Russie une forte volonté politique de construire un partenariat stratégique entre nos deux pays.
Niger Inter : La Russie tout en étant un grand pays est considéré par les autres pays alliés comme un anticonformiste. Est-ce notre pays en s’engageant à ce point avec la Russie ne va-t-il pas s’attirer un mauvais œil ?
Ibrahim Yacoubou: la Russie est un membre permanent du Conseil de sécurité donc pratiquement la Russie est forcément associée aux grandes décisions qui engagent le monde. Et puis je ne trouve pas pertinent le fait de considérer que seuls les ‘’grands pays’’ ont la latitude de décider de leurs partenaires. La Russie est un partenaire majeur dans le monde. Que le Niger ait des relations ou non avec ce pays ; cela ne dépendra que de notre seule volonté pas d’un autre pays. Nous considérons que nous avons des intérêts communs avec ce pays. En tout cas, au Niger nous nous interdisons aucune relation diplomatique avec un autre pays en dehors de celle qui compromet nos intérêts ou notre intégrité ou identité. Tous les partenaires qui sont d’accord avec nos objectifs de développement, la lutte contre le terrorisme et qui partagent nos convictions démocratiques et notre vision politique du monde ne sont pas à nos yeux des entités bannies.
Niger Inter : Peut-on s’attendre à une présence militaire russe au Niger ?
Ibrahim Yacoubou: Cela n’a pas été envisagé. Nous avons plutôt discuté de la formation de nos cadres civils et militaires pour partager la grande expérience dans divers domaines stratégiques. Il n’est nullement question d’une base militaire russe au Niger en ce sens que cela ne correspond ni à notre ordre du jour, ni à leur agenda. Mais nous essayons autant que faire se peut de mettre en place le partenariat nécessaire pour préserver le Niger en tant qu’Etat. Les enjeux sécuritaires aujourd’hui nous imposent un partenariat à l’échelle mondiale. Pour faire face au terrorisme, il n’y a pas de frontière.
Niger Inter : S’il y a un domaine où la Russie excelle c’est bien dans les renseignements. Pourrait-on s’attendre à l’appui russe dans ce domaine au Niger ?
Ibrahim Yacoubou: Nous œuvrerons mutuellement, dans tous les domaines avec tous nos partenaires pour faire face à nos défis communs.
Niger Inter : Une autre préoccupation des Nigériens c’est la question de l’UEMOA. Selon nos informations le Sénégal n’entend pas respecter son engament depuis le président Abdoulaye Wade de laisser le Niger présider cette institution au prochain mandat. Avez-vous une réaction à ce sujet ?
Ibrahim Yacoubou: En effet, je confirme effectivement que le Sénégal a écrit au président Alassane Dramane Ouattara pour demander de faire en sorte que l’ancien ministre du budget du Sénégal soit le prochain président de la Commission de l’UEMOA. Mais je dois vous dire qu’immédiatement le Président du Niger a écrit au président Ouattara pour demander de la part des Etats membres le respect des accords et notamment de l’Acte pris par la Conférence des chefs d’Etat de 2011 à travers lequel ils étaient convenus qu’à la fin du mandat de Monsieur Hadjibou Soumaré (président sortant de la Commission) il n’ y aura aucun autre pays en dehors du Niger qui puisse présenter un candidat. Et déjà c’est par cet acte que le sénégalais Soumaré a été élu avec l’engagement par son pays de ne faire qu’un seul et unique mandat et passer le témoin à un nigérien. Et l’article 2 de cet Acte a dit clairement que le seul pays habilité à présenter un candidat à l’issue du mandat de Soumaré c’est bel et bien le Niger. Pour le Niger, il n’y a aucune ambiguïté, nous nous prévalons de notre bon droit. Le respect des principes et engagements, est le minimum qu’on puisse attendre d’une organisation commune comme l’UEMOA. Il va sans dire que les organisations fonctionnent sur la base des textes, la solidarité entre les membres et le principe du respect de chaque pays et nous attendons cet égard de la part de nos frères et amis. Au demeurant nous sommes en droit de postuler à ce poste à partir des fondements de cette organisation qui a adopté dès le départ le principe de la rotation dans sa direction. Nous attendons simplement le respect de l’engagement pris librement par les chefs d’Etat de notre organisation commune. Je fonde l’espoir que la sagesse des chefs d’Etat prévaudra pour permettre au Niger ce qui lui revient clairement.
Niger Inter : Quand on sait que les Etats privilégient leurs intérêts ne craignez-vous pas que la cause du Sénégal soit entendue au regard du maintien du statu quo prôné par ce pays dont la Côte d’Ivoire et le Bénin pourraient être sensibles ?
Ibrahim Yacoubou: Moi je vous ai rappelé les faits à savoir la demande du Sénégal de garder la présidence de l’UEMOA et de celle du Niger du respect de l’engagement des chefs d’Etat. Ce n’est pas ma responsabilité de spéculer sur les intentions des uns et des autres. Je sais que les pays ont des intérêts mais ils ont également l’obligation de respecter les bases qui fondent leurs organisations. Je dois dire que c’est assez gênant qu’on ait cet épisode là au regard de cet engagement dont je viens de vous décrire les contours. Encore une fois la position du Niger c’est de demander aux autres pays frères et amis de respecter leur engagement. Nous tenons scrupuleusement au respect de l’acte de l’UEMOA qui dispose cette fois que c’est au tour du Niger d’assumer la place du Président de la Commission. Il doit en être ainsi in sha Allah.
Niger Inter : Au cas où cet engagement n’est pas respecté le Niger pourrait-il aller jusqu’à quitter l’UEMOA comme certains citoyens nigériens le suggèrent sur les réseaux sociaux ?
Ibrahim Yacoubou : Le Niger est un membre fondateur de l’UEMOA et le Niger a des responsabilités au sein de cette institution dont nous apprécions la pertinence pour notre sous-région, l’intégration économique et des liens de solidarité entre les Etats membres, je n’envisage pas du tout cette perspective dans la mesure où il nous parait évident que les chefs d’Etat ne peuvent passer outre leur engagement écrit. Je suis absolument confiant que le prochain président de la Commission de l’UEMOA sera un nigérien in sha Allah. Ce serait simplement la traduction en acte la volonté et l’engagement des chefs d’Etat.
Propos recueillis par Elh. Mahamadou Souleymane et Abdoul Aziz Moussa