« Il faudrait donc renforcer notre dispositif juridique pour qu’il soit beaucoup plus sévère car jusque-là en dehors du détournement des deniers publics, la corruption est considérée au Niger comme un simple délit », déclare M. Wada Maman
Wada Maman est Secrétaire général de l’Association Nigérienne de Lutte contre la Corruption, Section Transparency International au Niger (ANLC/TI). Il y a quelques mois, juste avant le lancement de l’opération dite ‘’Maiboula’’, il a été reçu avec le président de la HALCIA par le président de la République. Dans cet entretien à bâtons rompu, il décrypte le dernier rapport de perception de la corruption de Transparency International et les enjeux de la lutte contre corruption au Niger.
Niger Inter : L’ANLC est communément présentée comme une section de Transparency International. Quel rapport précisément y-a-t-il entre Transparency et votre Association ?
Wada Maman : L’ANLC a été créée en 2001. En 2002, elle était Section contact de Transparency International. En 2003, elle a commencé à devenir Section informations et en 2005 nous avons été acceptés comme Section pleine avec droit de vote c’est-à-dire avec la possibilité de participer à toutes les activités de Transparency International donc l’ANLC est membre de Transparency International qui est une ONG qui lutte contre la corruption dans le monde. Elle a 100 Sections dans le monde : en Europe, en Afrique, en Asie et en Amérique. Nous sommes soumis à la charte de Transparency International en tant que membre de ce mouvement. Elle dispose des outils de mesure de la corruption dans le monde. Il y a l’indice de perception de la corruption (IPC), il y a le baromètre qui est un sondage, il y a l’indice des pays exportateurs et le rapport mondial qui est thématique où chaque année Transparency cible un domaine bien précis pour faire l’état des lieux de la corruption des pays à travers le monde. Nous contribuons à l’élaboration de ces outils exceptés l’indice de perception de la corruption et l’indice des pays exportateurs et le baromètre. Sinon nous constatons comme tout le monde la publication du rapport sur l’indice de perception de la corruption. Ce n’est pas l’ANLC qui dit que le Niger a avancé ou reculé. C’est plutôt Transparency International qui choisit en toute souveraineté ses critères qui se basent sur au moins trois études. Cette année le Niger a été classé sur la base de cinq (5) études. Il s’agit des études organismes, des organismes indépendants tels que la Banque Mondiale, la Banque Africaine de Développement etc. C’est sur la base de ces études que le Niger est classé de 99ème à 101ème et passé en note de 34 points à 35.
Niger Inter : quel commentaire vous suscite le rang du Niger dans ce dernier classement de Transparency International ?
Wada Maman : Justement Transparency Internatioanl vient de rendre public l’IPC (l’indice de perception de la corruption). L’analyse que cela suscite à notre niveau et même au niveau de Transparency International c’est que d’abord le constat est établi : les pays qui disposent des institutions solides, crédibles sont moins corrompus que les pays dont les institutions sont fragiles. Dans l’ensemble ce sont les pays en voie de développement qui trainent dans la lutte contre la corruption. Je dirais que pour les pays africains, il y a quelques pays qui ont la tête hors de l’eau. C’est entre autres le Botswana, le Cap Vert, le Rwanda, le Sénégal, le Burkina Faso et l’Ile Maurice. Ce sont ces pays-là qui ont fait beaucoup d’efforts dans la lutte contre la corruption. A notre avis le Niger doit fournir beaucoup plus d’efforts pour que la corruption recule. En fait, ce qu’il faut préciser c’est que cette année il y a huit (8) pays qui n’étaient pas classés l’an passé qui ont été ajoutés dans le classement. Ce qu’il faut savoir également c’est que le rang est fonction du nombre des pays classés. Mais le plus important c’est la note attribuée à un pays. De ce point de vue, le Niger a avancé d’un point de 34 à 35 comme note. Ça peut ne pas plaire à ceux qui veulent le contraire mais c’est un fait, le Niger avance. Et c’est Transparency International Berlin qui le fait sans consulter aucune de ses Sections. Notre rôle se réduit à diffuser l’information quand ça vient.
Niger Inter : Le Niger dispose désormais d’un arsenal de lutte contre la corruption. Est-ce qu’à votre à avis le Niger répond aujourd’hui aux normes internationales de lutte contre la corruption ?
Wada Maman: Certes le Niger a fait une avancée dans la mise en place d’institutions de lutte contre la corruption. Qu’il y ait un corps judiciaire spécialisé dans la lutte contre les crimes économiques je dirais que c’est une avancée pour affronter le phénomène avec beaucoup plus d’efficacité, beaucoup plus d’engagement. Qu’il y ait une institution comme la Haute Autorité de Lutte contre la corruption et infractions assimilées ( HALCIA) créée par décret et disposant d’une loi aujourd’hui c’est un progrès. Il y a également la ligne verte qui se limite dans les milieux judiciaires. Il reste que de point de vue de la loi que les choses puissent être améliorées. Il faut noter que le Niger a ratifié la Conventions des Nations-Unies et celle de l’Union Africaine de lutte contre la corruption. Et selon ces conventions, la corruption ce n’est pas un délit, c’est un crime. Il faudrait donc renforcer notre dispositif juridique pour qu’il soit beaucoup plus sévère car jusque-là en dehors du détournement des deniers publics, la corruption est considérée au Niger comme un simple délit. C’est ainsi que nous serons en phase avec les Conventions internationales. La Corruption c’est un phénomène mondial mais pour réussir dans ce domaine il y a les lois mais il y a également la volonté politique clairement affichée qui contribue à l’efficacité de la lutte contre le phénomène de la corruption.
Niger Inter : Il y a quelques mois vous avez été reçu avec le président de la Halcia par le président de la République, aujourd’hui l’opération dite Maiboulala a atteint un tournant. En tant qu’acteur dans la lutte contre la corruption êtes-vous rassuré de ce qui se passe présentement au niveau de la justice à savoir les arrestations en cascade des indélicats ?
Wada Maman: Quand nous avons rencontré le président de la République nous lui avions notifié justement qu’il faudrait une volonté politique affichée pour affronter le phénomène de la corruption et doter le pays des outils de lutte contre la corruption. Il a dit dans son message d’investiture qu’il va lutter farouchement contre la corruption. Il a pris des engagements dont des inspections tous les six (6) mois au niveau des services de l’Etat et ces rapports seront transmis à la justice. Je pense que c’est ce qui est en train de se passer, c’est ce qui est en train d’être mis en œuvre. Et j’espère que ça va se poursuivre et en ce moment on n’aura pas beaucoup à redire par rapport à l’engagement politique pour la lutte contre la corruption. Le deuxième aspect de notre rencontre c’était par rapport à la loi. Nous avons considéré que la Halcia ne peut lutter efficacement contre la corruption avec son statut d’institution créée par décret car vous savez que les conventions que le Niger a ratifié disposent que chaque Etat partie prenne des dispositions pour créer un ou deux organes indépendants de lutte contre la corruption jouissant d’une autonomie financière pour lutter contre la corruption. Quand la Halcia a été créée, elle avait un niveau opérationnel très limité. A cette occasion le président a pris l’engagement de doter la Halcia d’une loi pour faire les investigations nécessaires pour luttter contre les pratiques corruptives et aujourd’hui c’est chose faite. La balle est dans le camp de la Halcia.
Niger Inter : il n’en demeure pas moins que le clientélisme politique constitue également un autre défi pour la lutte contre la corruption au Niger du moment où la majorité au pouvoir est issue des alliés politiques. Est-ce qu’il n’y a pas risque de harakiri pour le chef de l’Etat s’il devait aller jusqu’au bout de sa logique pour combattre les pratiques corruptives au Niger ?
Wada Maman: Vous savez au premier mandat nous avons fait le constat avec des acteurs de la société civile sur la nécessité d’avoir un engagement politique fort du moment où les partis politiques ont tendance à vouloir protéger leurs militants. Une fois qu’un militant est en cause son parti politique menace de quitter l’alliance ce qui est de nature à fragiliser la majorité au pouvoir. Cette situation a été un véritable handicap mais aujourd’hui nous constatons que cet obstacle est surmonté à partir du moment où les dossiers qui sont devant les tribunaux aujourd’hui concernent tous les bords politiques. Pour le reste c’est l’égalité des citoyens devant la loi qu’il faut promouvoir. Il faudrait considérer que personne ne soit au-dessus de la loi. Si tous le citoyens sont égaux devant la loi, un principe du reste constitutionnel, alors qu’on soit du parti du président de la République, allié ou opposant vous ferez face à la loi. C’est qu’à partir de ce moment plus personne ne pourra échapper. C’est ce qu’il faut encourager au Niger.
Niger Inter : Il y a des dossiers relatifs aux concours d’entrée à la fonction publique fraudés. Que dites-vous du laxisme qui caractérise le traitement de ces dossiers ?
Wada Maman: Nous n’avons pas de commentaire à faire sur le comportement de la justice. Si certains dossiers ne sont pas parvenus à la justice nous espérons que cela soit fait. En tant qu’acteurs de la société civile nous avons en son temps dénoncer les concours truqués organisés par la fonction publique au profit des ministères de la santé et des finances. Aujourd’hui nous sentons une volonté réelle à partir du moment où tous les dossiers sont en train d’être dirigés vers la justice.
Niger Inter : on a tendance à ne considérer que la corruption des gouvernants alors qu’il y a des complicités voire des instigations au niveau social. Quel commentaire faites-vous sur la petite corruption ?
- Wada Maman: Justement la petite corruption, la corruption de survie qui se pratique dans les écoles, les formations sanitaires, les services publics fatigue beaucoup le peuple. Les populations vivent cruellement cette forme de corruption. C’est elle qui a gangréné même la société de sorte qu’on a tendance à inverser les valeurs. Vous êtes un Directeur nommé, aussitôt, vos parents ne comprendront pas que vous ne disposiez pas d’un véhicule, d’une villa etc. Autrement on va vous traiter de quelqu’un qui n’a rien compris de la vie voire même quelqu’un qui ne sait pas ce qu’il veut. Les valeurs de justice, d’intégrité, d’honnêteté, de mérite sont inversées tant les malhonnêtes, les prévaricateurs sont plus appréciés que les honnêtes gens. Je pense qu’il y a lieu de diffuser ces valeurs morales sinon nous allons à la dérive.
Niger Inter : Ailleurs face à un scandale ou une affaire de corruption les responsables ont tendance à aller par eux-mêmes vers la justice pour se laver. Mais chez nous on a tendance à se dérober de la justice même quand on prétend à des hautes fonctions publiques. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
Wada Maman: En principe les personnes publiques ont obligation de garantir la bonne gouvernance, d’être des modèles. La charte des partis politiques tout comme la loi fondamentale font injonction à tous et chacun de respecter le bien public qui est sacré. Très malheureusement, nous observons que les pratiques corruptives sont tribalisées. En effet, au lieu de s’assumer beaucoup d’indélicats essaient de se cacher derrière des considérations négatives telles que l’ethnie, le parti, la région etc. Ils évoquent la chasse aux sorcières alors que les sorcières sont coupables de leurs mauvaises pratiques. C’est tout cela qui explique une sorte d’omerta, de silence face à certaines situations de corruption. Alors que la règle voudrait que le citoyen présumé coupable aille se défendre devant le juge.
Niger Inter : comment les citoyens peuvent recourir aux services de l’ANLC ?
Wada Maman: Je rappelle à ceux qui pensent que nous avons pris la place du procureur que l’ANLC est une simple Association de la société civile qui contribue modestement à l’amélioration de la gouvernance dans notre pays. Nous ne sommes pas la justice, nous ne sommes pas la police ni la gendarmerie. Mais nous avons un centre d’assistance juridique et de l’action civique qui donne des conseils ou des avis à des citoyens témoins ou victimes des abus ou des pratiques corruptives. Ce centre aide les citoyens à défendre leurs droits par des mécanismes républicains donc de la loi. Il faut le dire, beaucoup de citoyens ne savent pas les procédures à suivre auprès de la justice ou autres services ordinaires. A ce jour nous avons environ 868 dossiers de plainte que nous avons enregistrés. Nous orientons les gens vers le procureur, vers les services, vers les ONG ou les institutions compétentes ou spécialisées où il y a des services assez étoffés d’investigation comme la Halcia ou la ligne verte. Le citoyen qui voudrait nous saisir parce qu’il est victime des pratiques corruptives ou témoin de ces travers, il peut venir au siège de l’ANLC sis au Rond Grand Hôtel. Il peut appeler notre ligne verte au 33 33 ou nous écrire via les compagnies de transport voyageurs. Et nous organisons des séances foraines pour sensibiliser les populations sur le terrain. Nous sommes présents dans 260 communes sur les 266 que compte le Niger. Ces structures déconcentrées reçoivent égalent des dossiers qu’elles transmettent à Niamey si c’est nécessaire. Nous avons l’information en temps réel. Pour nous l’essentiel de faire changer les choses, de faire bouger les lignes pas simplement de faire du vacarme. Il s’agit simplement que les choses changent positivement. Que ça change du point de vue législatif, du point de vue juridique et même du point de vue comportemental. Nous avons bien entendu des partenaires techniques et financiers, ce qui nous permet d’agir sur le terrain. Aujourd’hui à cause de ces interventions les choses avancent dans le bon sens. C’est ce que nous faisons et nous y mettons le prix.
Réalisée par Elh. Mahamadou Souleymane