Laurent Bigot, dont la chronique a fâché Niamey, se rappelle aux bons souvenirs de M. Bazoum, ministre de l’intérieur du Niger, qui l’accusait de ne pas connaître son pays.
Monsieur le Ministre,
J’ai lu avec intérêt votre réponse à ma chronique sur le Niger et je l’ai même publiée sur ma page Facebook par souci d’équité. Toutefois, il y a des affirmations inexactes sur lesquelles je souhaite revenir pouréclairer les lecteurs. Je ne vous cache pas que j’ai un peu de mal à vous vouvoyer alors qu’habituellement nous nous tutoyons, mais je ne voudrais pas apparaître incorrect et encore moins paternaliste (puisque c’est ce que vous sous-entendez dans votre réponse). Aussi m’en tiendrai-je au « vous ».
Lire aussi : « Non M. Bigot, la France n’est pas le démiurge de l’Afrique »
Cela fait plus de quinze ans que nous nous connaissons, Monsieur le Ministre. J’ai fait votre connaissance au début des années 2000 alors que j’étais premier secrétaire à l’ambassade de France à Niamey et que vous étiez dans une opposition active au président Tandja. Puis nous nous sommes retrouvés après l’élection du président Issoufou, en 2011, lors de vos déplacements à Paris, car, à l’époque, vous étiez ministre des affaires étrangères.
Lire aussi : Au Niger, l’armée affaiblie par la paranoïa de son président
Je reste toutefois étonné que vous ayez pris la peine de répondre à ma chronique, car, à la lecture de votre réponse, je ne suis qu’un fieffé incompétent, paternaliste et frustré. Vous avez même déclaré sur les ondes de RFI que « Monsieur Bigot ne comprenait rien ». Dans ces conditions, Monsieur Bigot mérite-t-il qu’un ministre s’abaisse à son niveau ? Peu de journalistes nigériens ont eu le droit à cet honneur alors, permettez-moi d’y voir une marque de considération, à moins que ma chronique ait touché un point vraiment sensible.
Vous martelez tout au long de votre réponse que j’ignore tout du Niger et de sa situation sécuritaire (vous ne m’avez pas toujours dit ça en privé). Mais surtout, vous suggérez que je serais frappé d’un complexe de supériorité comme certains Français le sont à propos de l’Afrique. Vous allez même jusqu’à rappeler que la France ne serait pas « le démiurge de l’Afrique ». Non seulement je n’ai jamais prétendu une telle chose mais, en plus, je fais partie de ceux qui pensent que les peuples africains ont leur destin en main et que le fantasme de la France qui détiendrait les cartes du pouvoir en Afrique est ridicule. Je passe, dans votre réponse, sur une forme d’obsession que vous avez de l’opposition nigérienne, car cela nous renverrait au titre de la chronique qui a provoqué votre courroux.
Lire aussi : Quatre raisons de s’inquiéter pour le Sahel, et de douter de l’aide au développement
En revanche, je souhaite m’arrêter sur le dernier paragraphe de votre texte car, visiblement, inspiré par Cyrano de Bergerac, vous souhaitiez toucher à la fin de l’envoi. Soit. Mais pour cela, il faut être précis et vous avez pris quelques libertés avec les faits. Revenons donc à la fin de l’année 2013, nous sommes en novembre exactement. Areva vient en effet de me confier une mission d’assistance dans le cadre des négociations avec le gouvernement nigérien pour le renouvellement des conventions minières. J’ai alors sollicité une audience avec le président Issoufou. Au-delà du fait que c’était à Paris et non Niamey (à l’hôtel Concorde Lafayette, désormais Hyatt Regency pour être précis), cette audience n’avait pas pour but de vendre mes services de médiation, comme vous l’écrivez, mais de présenter la mission que m’avait confiée AREVA.
La dernière fois que j’avais vu le président Issoufou (*), j’étais encore au Quai d’Orsay, en qualité de sous-directeur pour l’Afrique de l’Ouest. Il me semblait par conséquent nécessaire d’expliquer au président ma nouvelle activité de consultant. J’ai à cette occasion fait remettre une note au président Issoufou présentant mon point de vue sur les enjeux de cette négociation et pourquoi j’avais accepté cette mission. A moins que vous m’y autorisiez, je ne rendrai pas public ce document qui a été remis au directeur de cabinet du président, car c’est effectivement vers lui que le président Issoufou m’avait orienté. J’aimerais cependant en citer un passage et tenir la note à votre disposition si cette dernière n’était pas archivée à la présidence :
« Pour conclure, je voudrais préciser que je ne travaille que pour les causes auxquelles je crois (j’ai refusé des offres qui ne correspondaient pas à mes valeurs), c’est pourquoi ma société s’appelle Gaskiya (vérité en haoussa). »
Lire aussi : Niger : ce que l’on sait de Jeffery Woodke, l’Américain enlevé dans le centre du pays
Oui, je pensais qu’un accord équilibré était possible et c’est du reste ce à quoi la négociation a abouti. J’ai rencontré, par la suite, plusieurs ministres lors de mes missions à Niamey et nous avons même, vous et moi, Monsieur le Ministre, déjeuné ensemble à Paris, place du Trocadéro, pour évoquer ce sujet et bien d’autres. Nous avions, à l’époque, des vues très proches sur les raisons du blocage de la négociation. Soyez rassuré, cette conversation était privée et le restera.
Vous ne répondez plus à mes SMS depuis la parution de ma chronique. Sachez pourtant que c’est avec le plus grand plaisir que je reprendrais avec vous nos conversations sur le Niger et l’Afrique.
Sai an jima (« à bientôt » en haoussa).
(*) Dans des circonstances tragiques, puisque c’était à la levée de corps du directeur du protocole de la présidence du Niger, qui était décédé brutalement à Paris alors que le président et sa délégation se rendaient à New York.