Le Républicain avait souhaité interroger Monsieur Inoussa Ousseini, ambassadeur actuel du Niger auprès de l’Unesco et ancien ministre de la culture, sur la « Renaissance culturelle » voulue par le Président Mahamadou Issoufou. Depuis plus d’un an, nous avons entendu Monsieur Inoussa Ousseini s’exprimer de nombreuses fois sur le développement culturel comme vecteur du développement économique du Niger et nous nous sommes demandé si ses idées étaient en accord avec celles du Président de la République. Comme on pourra le constater, l’ancien ministre de la culture, ne semble pas manquer de propositions à faire au gouvernement, ni de prudence pour les dévoiler…
Le Président Mahamadou Issoufou a présenté la « Renaissance culturelle »comme axe principal du programme de son prochain mandat. Commentjugez-vous cette idée ? Est-ce un concept ? Un programme ? Un slogan politique ? Un vœu pieu ?
Inoussa Ousseini : Vous ne croyez pas si bien dire ! Le développement culturel est mon credo. Il faut d’abord avoir la foi pour agir ! Mais, blague à part, quand on est hors du gouvernement et de l’agitation politique, comme je le suis,il est facile de répondre : la renaissance culturelle relève de toutes ces facettes : elle les combine pour que chacun de nous puisse lui donner une définition et la nourrir par un jeu de réflexion. La Renaissance culturelle est une belle et stimulante formule qui me fait irrésistiblement penser à la « Renaissance africaine » de Cheik Anta Diop ou de Kwame Nkrumah – une bataille déterminante du siècle passé à laquelle s’était joint, à sa manière, Boubou Hama.Je suis convaincu que le Président a cette référence en tête tout en voulant inventer quelque chose de neuf. La renaissance culturelle, à mon avis, devrait être une expression et une promotion de l’identité nationale. Pour l’heure, lePrésident n’a pas éclairé sa vision politique par des propositions, ou une méthode, mais il lui a donné un cadre en livrant le bilan actuel du développement du pays et en attribuant à la Renaissance culturelle un ministère à part entière. Je vois beaucoup de subtilité dans les différents discours qu’il a prononcés depuis le lancement de sa campagne. Une subtilité stratégique et d’essence démocratique. Le Président a forcément un certain nombre de propositions précises à nous faire mais il attend probablement pour les exprimer de jauger la nature de la réaction des nigériens.En tant que citoyen et homme de culture, je prends sa formule comme un appel et un défi. Je considère donc de mon devoir de lui donner autant de réponses que possiblesà la hauteur de l’enjeu de société tel qu’il l’a exprimé dans son discours d’investiture.
Qu’avez-vous retenu d’essentiel de ce discours ?
M. Inoussa Ousseini :Un symbole de taille d’abord : le Président a pris le risque devant l’histoire de lier sa prochaine mandature à une ambition qui dépasse largement le cadre politique. Il ne lui suffit plus désormais d’être un bon gestionnaire de la chose publique, le chef des armées assurant la sécurité du Niger et un diplomate offensif, il engage le pays dans une bataille d’idées, un défi qui est sans modèle. Monsieur Mahamadou Issoufou est élu par le suffrage universel Président de tous les nigériens, cela veut dire que son défi devient le nôtre, qu’il revient à chacun de le relever, de le partager et de l’enrichir. Ensuite, le Président a sorti la culture de son abstraction en indiquant qu’elle devait servir de vecteur à la modernisation sociale. Laquelle s’impose d’elle-même comme le meilleur rempart que nous puissions opposer au « sectarisme » et à « l’obscurantisme » des menées extrémistes. Or, qu’est-ce que la modernisation sociale si ce n’est d’abord l’accès à l’éducation pour tous et, conséquemment, l’accès à la culture pour tous – toutes les facettes de la culture ?La renaissance culturelle du Niger, je la vois comme une façon de revenir à un idéal qui a forgé les fondements de l’indépendance : un retour vers cette « naissance », c’est-à-dire une réappropriation de la culture et de la dignité africaines. C’est pourquoi vous m’entendez régulièrement défendre l’absolue priorité, dans le domaine de la culture, que nous devrions donner à l’étude de notre histoire et à l’exploitation de notre première richesse, c’est-à-dire à notre patrimoine traditionnel. Nous ne pouvons pas définir notre avenir sans entretenir notre mémoire collective.
La renaissance culturelle serait donc pour vous davantage un retour aux sources nigériennes qu’une volonté de s’ouvrir aux autres cultures ?
M. Inoussa Ousseini : Bien-sûr que non, mais c’est un préalable. Notre patrimoine culturel est notre socle identitaire, nous devons l’entretenir, le renforcer, en renouveler la vision, le transposer dans les langages d’aujourd’hui. Les nouvelles technologies de la communication, par exemple, devraient permettre aux nouvelles générations d’éteindre l’incendie qui, depuis Hampaté Bâ, menace de se propager encore plus vite. Ce n’est même plus notre « mémoire ancestrale » qui risque l’effacement mais le capital d’idées que nous avons fertilisé depuis l’indépendance et dont ma génération a été le témoin et le gardien. Je ne cesse de ramener à notre mémoire des figures historiques qui sont pour moi les emblèmes de notre singularité culturelle. Je pense que la Renaissance culturelle devrait d’abord défendre cette cause, en faire un objectif national. En restaurant notre fierté nous serons plus à même de trouver notre place dans la culture que nous impose la globalisation du monde. Tout ça demande un énorme travail, savez-vous ? Cela veut dire une multiplication dans tout le territoire, commeà l’extérieur, de conférences, d’expositions, de débats, d’exercices de communication, de travaux de synthèse et de plateformes d’échanges, c’est à dire un travail de production à l’échelle locale et internationale.
Il me semble que nous sommes loin de la « modernisation sociale » qui semble quand même être le sens donné à la « Renaissance culturelle » par le Président dans son discours d’investiture.
M. Inoussa Ousseini : Je ne crois pas. Tout est lié. Si le président a évoqué une « libération de l’individu du poids du tribalisme », de son « affranchissement » des tutelles coutumières et régionalistes, c’est pour esquisser une nouvelle citoyenneté définie par le seul principe démocratique, soit la restauration de l’autorité première de l’Etat issu du suffrage universel, sans pouvoirs intermédiaires, sans assujettissements locaux. Une cohésion sociale autour du renforcement des institutions de la République, telle était le premier axe de la Renaissance 1. La renaissance 2, c’est-à-dire la renaissance culturelle,devrait, à l’entendre, mettre l’accent sur la responsabilité individuelle. La cohésion sociale commencerait par l’adhésion patriotique. Le président souhaite probablement une redéfinition « transparente », c’est-à-dire appropriable par chacun, des droits et des devoirs de chacun. Or, pour moi, seule la culture peut permettre ce changement d’état d’esprits, cette « rupture », sur lesquels semble parier le Président de la république. Je l’ai écrit plusieurs fois : cette rupture – la renaissance culturelle – ne peut se décréter. Elle ne peut qu’être progressive, se nourrir de connaissances à partager. C’est la culture et seulement la culture, au sens le plus large du terme, intégrant l’éducation, les traditions et leurs métamorphoses dans le monde d’aujourd’hui, qui peut apporter à chacun l’esprit critique nécessaire à l’intelligence collective et le sens de la responsabilité individuelle au sein de l’espace collectif. C’est la culture qui peut permettre à la démocratie de s’exercer conformément au niveau de développement d’un pays.
Votre propos ne serait-il pas exagérément candide ? A vous entendre, la culture serait le remède à tous nos maux, par exemple celui de la corruption dont le Président entend faire une croisade. Pensez-vous que c’est parce que nous nous sommes détournés de nos valeurs culturelles traditionnelles que la corruption a pris de telles proportions dans notre pays ?
M. Inoussa Ousseini : Je suis content que vous me posiez ces questions mais la dernière est absurde ! L’oubli des valeurs traditionnelles, qui constituent le substrat de la fameuse et bien réelle « sagesse africaine », peut faire partie du diagnostic, mais ne comptez pas sur moi pour vous livrer sur un plateau les nombreuses raisons pour lesquelles notre société est rongée et affaiblie par la corruption !En revanche, je peux affirmer que le développement de la culture et des pratiques culturelles est certainement le meilleur remède contre ce mal dans la mesure où c’est elle qui entraînera tout le reste, toutes les mesures que l’on prendra petit à petit pour corriger un système qui contamine toute la société et dont ne sont pas exclusivement responsables ceux à qui on demande de rendre des comptes publiquement. Vous savez, la fin de la corruption, commel’avènement de la « renaissance culturelle », ne peut se décréter par la seule volonté de l’exécutif. Il n’existe pas de recette magique et on ne réinventera pas de ce seul point de vue l’instruction civique. Développons simplement l’Education nationale. Le combat contre la corruption ne parviendra à ses fins que s’il est compris, et accompagné, par l’ensemble de la société comme une priorité vitale et morale, et, pour cela, je me répète, la culture peut y jouer un rôle considérable. L’écrit, la communication, mais aussi le conte, le théâtre et le cinéma, peuvent non seulement traduire la complexité des responsabilités partagées mais encore porter la volonté générale d’y mettre fin d’une façon plus efficace que des mesures coercitives. Le changement d’état d’esprit collectif – la rupture évoquée par le Président – interpellera naturellement les créateurs, et entrepreneurs culturels. Le défi sociétal est aussi un déficulturel. Le Niger a, de ce point de vue, des atouts considérables : des références, des talents, un capital d’expériences audacieuses. C’est le moment, ou jamais, de s’en servir. Vous savez, ce ne sont pas des incantations mais des possibilités très concrètes. Voilà près d’un an que je travaille avec toute une équipe à la création d’une série TV sur la corruption sous ses aspects les plus ordinaires. La rupture commence là : par la volonté de briser les tabous qui handicapent la vie citoyenne. Notre patrimoine cinématographique nous en donne de très beaux exemples. Je pense à Oumarou Ganda, Moustapha Alassane et Djingagey Maïga qui non seulement ont su tirer de « l’adversité », comme dit le Président Mahamadou Issoufou, des œuvres immortelles mais encore fait avancer la morale collective, le sens de la tolérance et de la liberté. Je pense aussi au jeune cinéaste Sani Magori qui, est allé très loin dans l’engagement social avec son dernier film et qui continue d’ouvrir le chemin avec de jeunes réalisateurs et réalisatrices. Je n’oublierai pas l’audacieuse AICHA MAKI qui a su montrer que l’on peut briser les tabous avec pudeur et respect. Et j’accorde également une immense confiance à nos compagnies théâtrales, nos chanteurs, nos dessinateurs, nos chroniqueurs, nos humoristes, nos créateurs radiophoniques et multimédia, qui sauront, chacun à leur manière, contribuer à cette bataille. Mieux encore : je suis convaincu que si le Président parie sur la renaissance culturelle du Niger c’est parce qu’il partage cette confiance.
Revenons au terrain politique proprement dit. Que vous pensez de ce Ministère de la Renaissance culturelle. Le ministre, Assoumana Malam Issa, vous a-t-il consulté ? Vous a-t-il attribué un rôle dans son équipe ? Pensez-vous que le nouveau libellé de notre vieux ministère de la culture devrait entraîner une augmentation conséquente de son budget ?
M. Inoussa Ousseini : Monsieur Assoumana Malam Issa, m’a fait, en effet, l’honneur de me rendre visite le lendemain de sa nomination. Vous savez, de nombreux membres de ce gouvernement, et le Président de la République lui-même, savent que le développement culturel du Niger est la bataille essentielle de ma vie et que j’y jette actuellement mes dernières forces. J’ai trouvé dans la courtoisie de Monsieur M. Assoumana Malam Issa une forme d’encouragement à persévérer dans mes efforts. Cela fait plus de deux ans que je propose au gouvernement des pistes pour créer un sursaut culturel au Niger et c’est la raison pour laquelle j’ai pu faire, il y a quelques jours, un exposé sur l’idée même de renaissance culturelle. Nombre de mes propositions, modestes ou spectaculaires, peuvent fournir une matière très concrète à la réflexion de ce nouveau ministère. Il était logique que je poursuive mon rôle d’instigateur auprès du nouveau gouvernement mais je le fais également en tant que membre de l’UNESCO. Concernant le changement de dénomination du Ministère, je ne peux qu’approuver car cela signifie porter une ambition extraordinaire pour le Niger et lui assigner un rôle beaucoup plus important que par le passé. Cette ambition me fait penser à la réussite exemplaire et historique du Ministère de la culture en France sous la direction de Jack Lang durant le premier mandat de François Mitterrand. On peut affirmer que ce tandem politique aura réussi une révolution tranquille en transformant le visage et la mentalité collective de ce pays. Je n’oublie pas bien sûr que le budget de ce Ministère avait alors été considérablement augmenté. Je le souligne non pas pour pousser notre gouvernement à en faire autant, les conditions ne nous le permettent évidemment pas, mais pour répéter, comme je ne le cesse de faire, que le Niger ne pourra expérimenter ce sursaut sans recourir à une mobilisation exceptionnelle de ressources extra-budgétaires, par une taxe pour financer cette renaissance culturelle. C’est d’abord sur ce point que le Ministère devra se montrer à la hauteur de sa tâche : en faisant de la création d’un Fonds pour la culture et la jeunesse une bataille nationale.Si la renaissance culturelle est le vecteur de la modernisation sociale, c’est-à-dire d’une amélioration du système démocratique, il me semble que la création d’un système de financement, totalement autonome et transparent, serait alors son emblème et sa véritable amorce.
En admettant que le gouvernement vous suive, pourriez-vous nous dire quelles seraient vos priorités concrètes et, pour conclure, si vous pensez que la culture puisse être un véritable vecteur de développement économique pour notre pays ?
M. Inoussa Ousseini : J’en suis totalement convaincu. Nombre d’exemples partout dans le monde, et notamment en Afrique de l’Ouest, nous prouvent que le développement culturel est un puissant levier. Nous n’avons pas la place ici de nous étendre sur ces exemples pour les comparer à ce qu’il nous est possible de faire d’autant que chaque pays doit suivre son propre chemin. Celui que nous emprunterons ne ressemblera pas aux autres. Il m’est de même impossible de m’étendre sur les différentes pistes de réflexion que j’ai déjà proposées parce que de toutes nouvelles pourraient voir le jour si les artistes, les créateurs, les entrepreneurs, les éducateurs se concertaient par catégories à travers des ateliers successifs , comme je l’espère pour la suite, pour donner rapidement un contenu concret à cette renaissance culturelle.Je compte cependant faire de mon mieux pour mobiliser le gouvernement, et le ministère de la Renaissance culturelle en particulier, comme l’ensemble des nigériens, sur une action majeure à entreprendre avec les huit régions du Niger pour leur donner un rôle moteur dans la transformation du pays sur la base d’une complémentarité dynamique entre développement culturel et développement régional durable . Je ne peux pas vous en dire plus car j’y travaille en ce moment même Je voudrais simplement dire que ce travail, cette orientation possible de la renaissance culturelle m’a amené à inventer un slogan qui vaut déjà pour un programme et une réponse aux vœux du Président de la République. La voici : La renaissance culturelle sera démocratique et populaire, urbaine et rurale, ou ne sera pas.J’espère pouvoir, dans un prochain entretien, vous en livrer tous les détails.
Propos recueillis par Gorel Harouna (Le Républicain no 2074 du 28 Avril 2016)