Le débat politique au Niger fait appel aux experts. De plus en plus tout le monde s’improvise juriste ou politologue. Le dernier arrêt de la Cour Constitutionnelle et la convocation du corps électoral avaient suscité un important débat où profanes et politiciens avaient chacun selon sa grille de lecture versé dans la spéculation. Moussa ZAKI est juriste. Dans cette analyse, il donne son point de vue sur notre processus électoral, pomme de discorde présentement entre pouvoir et opposition.
Les juridictions constitutionnelles sont souvent victimes de mauvais procès. Tel est le cas, ces temps-ci, de la Cour constitutionnelle du Niger. L’examen des critiques formulées à son encontre révèle dans bien des cas un télescopage, voire un amalgame entre considérations juridiques et motivations politiques. C’est vrai, il est établi qu’en matière d’élections présidentielle et législatives, le recours au juge est souvent utilisé plus pour tenter d’éliminer un adversaire de la conquête ou de la conservation du pouvoir que pour faire respecter la Constitution ou les lois. Comme l’a souligné récemment un observateur les juridictions constitutionnelles assument ici un rôle des plus ingrats. En 2001, concluant une critique quelque peu sévère consécutive à une décision du Conseil constitutionnel sénégalais, je constatais déjà que la tâche du juge, spécifiquement du juge constitutionnel, n’est pas aisée dans un contexte où les accusations qui lui sont portées et les craintes qu’il suscite oscillent entre « gouvernement des juges » et « juges du Gouvernement » selon que l’on soit de la majorité au pouvoir ou de l’opposition. Hier applaudie lorsqu’elle validait à la surprise d’une bonne partie des observateurs de la vie politique et institutionnelle du Niger les candidatures de personnalités poursuivies par la justice, voire dans les liens de la détention, la Cour constitutionnelle essuie aujourd’hui l’opprobre.
L’arrêt n°009/2016/CC/ME du 7 mars 2016 proclamant les résultats définitifs de l’élection pestilentielle issue des scrutins des 21 et 22 février 2016 suscite encore polémique et controverses. Il est tantôt reproché à la Cour de n’avoir pas respecté les délais constitutionnels, tantôt les délais légaux. Certains spécialistes sont allés jusqu’à relever que, « quels que soient les motifs qui ont présidé à cet arrêt, ils sont juridiquement discutables même si peut-être politiquement justifiés » .Il me semble cependant que l’inversion des termes pourrait être plus conforme à la réalité des situations en présence, c’est-à-dire pour ma part, que l’arrêt de la Cour est juridiquement fondé mais politiquement discutable. Il n’y a de ce fait aucun problème dès lors que la Cour est appelée à statuer en droit.
L’arrêt est juridiquement fondé à un double titre : au regard du respect des délais constitutionnels et de la forme dans laquelle la Cour a notifié son arrêt.
En réalité que reproche-t-on à la Cour ? D’avoir d’une part proclamé les résultats de l’élection présidentielle sans vider les recours introduits par l’opposition politique et d’autre part de n’avoir pas entouré l’arrêt de la solennité « requise » au moment de la proclamation des résultats. Sur ces deux aspects la Cour a, me semble-t-il, parfaitement joué son rôle.
Sur le premier aspect, point n’est besoin de longs développements pour expliquer qu’une Cour constitutionnelle a pour obligation première de respecter et de faire respecter les dispositions constitutionnelles et qu’en cas de conflit entre la Constitution et une norme législative c’est la première qui devrait l’emporter. Or en l’espèce il s’avère, à la lecture de l’article 48 al 5 de la Constitution que si n’est pas remplie la condition de l’élection d’un candidat ayant obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés au premier tour, il « est procédé, au plus tard 21 jours après, à un deuxième tour de scrutin, auquel prennent part les deux candidats arrivés en tête lors du premier tour ». C’est ce délai de 21 jours qui lie principalement la Cour.
Ici une première question reste de savoir si la computation du délai de 21 jours commence à partir de la date du premier tour de scrutin, de la proclamation des résultats provisoires par la CENI ou à partir de la proclamation des résultats définitifs du premier tour. Trois thèses peuvent donc être avancées :
La première consisterait à considérer que le délai de computation commence à partir de la date du premier tour, quel que soit le résultat de l’élection et quels que soient les recours introduits.
La deuxième conduirait à considérer que le délai court à partir de la proclamation des résultats provisoires par la CENI.
La troisième enfin, conduirait à considérer que, pour qu’il y ait un deuxième tour, les résultats définitifs du premier tour devraient être connus et c’est uniquement à partir de ce moment et uniquement sur cette base que serait organisé un second tour de scrutin.
Chaque hypothèse conduit à un délai constitutionnel différent. La première, compte tenu du fait que les élections se sont tenu les 21 et 22 février, conduirait, pour l’organisation du deuxième tour, à la date du 14 mars, la deuxième à celle du 19 mars et la troisième au 28 mars, sachant que le mandat du Président en exercice arrive à échéance le 1er avril. L’une ou l’autre des dates serait sans conséquence sur le respect de l’échéance du mandat présidentiel, si l’on pose comme hypothèse que la CENI puis la Cour constitutionnelle seraient en mesure, dans l’intervalle de 72 heures, de proclamer les résultats d’un second tour de scrutin en principe sans grand suspense, quitte à vider ensuite les éventuels recours.
A première vue, de ces trois hypothèses c’est la troisième qui s’imposerait car un deuxième tour de scrutin ne pourrait réunir que les candidats déclarés définitivement qualifiés, c’est-à-dire ceux arrivés premier et deuxième. Il faudrait donc attendre la proclamation définitive des résultats du premier tour par la Cour constitutionnelle, ce qui suppose que les éventuels contentieux aient au préalable été vidés. C’est cette hypothèse que j’avais personnellement retenue avant de me rendre compte qu’elle ne résiste pas à l’analyse, au regard des délais constitutionnels et de l’article 71 de la loi 2014-01 du 28 mars 2014 portant régime général des élections présidentielle, locales et référendaires (qui reprend l’article 48 de la loi organique 2012-35), même si ce texte me paraît de nature à générer des tensions politiques incalculables. Il dispose en effet que « les candidats proclamés élus demeurent en fonction jusqu’à ce qu’il soit définitivement statué sur les réclamations ». En effet comment concevoir dans notre contexte actuel caractérisé par un faible niveau de développement politique et une passion démesurée lors des joutes électorales, pour les militants d’un parti ou d’une coalition de partis politiques ayant déjà savouré la victoire de leur candidat, que leur « héros » puisse être « descendu » de son piédestal par la décision d’une juridiction, fut-elle constitutionnelle ?
La troisième hypothèse évacuée, il nous reste donc la première et la deuxième. La première ne résiste pas non plus à l’analyse étant donné qu’un deuxième tour ne peut être organisé si ne sont connus les résultats, au moins provisoires, du premier tour. Si l’on rapporte cette assertion aux dispositions de l’article 71 précité, on comprend dès lors que c’est la deuxième hypothèse qui s’impose. C’est-à-dire que la computation du délai commence à partir de la proclamation des résultats provisoires par la CENI et que la Cour constitutionnelle n’est pas tenue par les délais de celle-ci, étant entendu qu’elle dispose d’un délai qui lui est propre pour vider les éventuels contentieux, quitte à créer une situation aux conséquences sociales et politiques incalculables. En effet, aux termes de l’article 37 de la loi organique 2012-35 du 19 juin 2012 déterminant l’organisation, le fonctionnement de la Cour constitutionnelle et la procédure suivie devant elle, la Cour dispose d’un délai de 15 jours à partir de la réception des résultats globaux provisoires pour proclamer les résultats définitifs. Elle ne peut donc, dans ce laps de temps, vider le contentieux électoral avant de proclamer les résultats.
On comprend dès lors que cette hypothèse comporte de sérieux inconvénients et à mon sens il nous faudra revoir nos textes. Imaginons un seul instant que les résultats provisoires soient significativement infléchis par la Cour constitutionnelle et que cela aboutisse à une inversion de l’ordre des candidats arrivés en deuxième, troisième et quatrième positions ou à la disqualification d’un ou de deux candidats, voire à déclarer un candidat élu dès le premier tour alors même que la campagne du deuxième tour bat son plein et que les militants sont chauffés à blanc. Comment résoudre alors cette équation ? C’est une hypothèse d’école mais parfaitement possible dans la réalité.
Une fois le problème du point de départ de la computation du délai réglé, la deuxième question nous ramène encore aux textes : il y a manifestement une incohérence entre les délais légaux et le délai constitutionnel de 21 jours auquel est tenue la Cour, si l’on considère les délais de recours et le temps de l’instruction des dossiers. Les articles 62 à 65 de la loi 2014-01(qui reprend les articles 40, 41 et 42 de la loi organique 2012-35 sur la Cour constitutionnelle) indiquent que tout candidat dispose d’un droit à réclamation sur les résultats des opérations électorales qui le concernent et que cette réclamation doit intervenir au plus tard 15 jours suivant la proclamation et la transmission des résultats provisoires par la CENI (soit le même délai dont dispose la Cour pour proclamer les résultats définitifs du scrutin), pour l’élection présidentielle. L’article 64 dispose que la réclamation est communiquée aux autres candidats qui disposent de 7 jours pour déposer leur mémoire. Aux termes de l’article 65, la Cour statue dans un délai de 15 jours. En additionnant ces délais nous sommes largement au-delà du délai constitutionnel de 21 jours (15+7 ou 15+7+15 suivant la lecture qu’on fera là encore des dispositions de la loi). Ce qui signifie que la période contentieuse est hors de ce délai et que si la Cour devrait d’abord statuer sur les recours et proclamer les résultats définitifs du premier tour avant que ne soit organisé le scrutin du deuxième tour, elle serait en porte-à-faux par rapport à la Constitution. La Cour ne peut donc, tout en respectant le délai constitutionnel de 21 jours, satisfaire aux exigences de la loi sans inverser l’ordre logique, c’est-à-dire proclamer les résultats « définitifs » avant de vider les réclamations, ce qui est certes fondé au regard des textes, mais illogique et juridiquement aberrant. Le problème ici vient des textes et non de la Cour.
Cette « agitation politique » (au sens noble du terme) aura au moins le mérite d’attirer l’attention sur ces incohérences. On pourrait objecter que les mêmes textes sont passés devant la Cour pour contrôle de constitutionnalité (au moins la loi organique 2012-35) et qu’elle aurait pu déceler cela. Ce serait là aussi perdre de vue qu’en matière de contrôle de constitutionnalité le premier souci du juge est de savoir si le texte qui lui est déféré porte atteinte à un droit que la Constitution garantit ou viole une règle de procédure formellement établie par la loi fondamentale. Une situation identique s’est produite en France notamment où, confronté à la réalité, il a fallu corriger le règlement intérieur de l’Assemblée nationale (qui a pourtant fait l’objet d’un contrôle de constitutionnalité) qui ne prenait pas en compte une spécificité induite par l’article 40 de la Constitution, au sujet de la procédure d’adoption des lois de finances. En tout état de cause on fera, à la suite de Jürgen HABERMAS, le constat que « toute Constitution est un projet qui n’acquiert de persistance que sur le mode d’une interprétation permanente continuellement menée à tous les niveaux de l’instauration du Droit ». L’effervescence démocratique contribue chaque jour davantage à consolider la nôtre.
Sur le deuxième aspect, ceux qui gonflent la polémique n’ont pas suffisamment lu le texte qu’ils invoquent. Car il n’est mentionné nulle part que la Cour a l’obligation de se réunir en audience solennelle pour prononcer un arrêt. L’article 17 de la loi organique déterminant son organisation, son fonctionnement et la procédure suivie devant elle indique clairement que celle-ci « se réunit en audience solennelle ou en audience ordinaire », ce qui lui laisse une marge de manœuvre, surtout lorsqu’elle vide un dossier très tard la nuit, ce qui est le cas de l’arrêt critiqué !
Par ailleurs, il est également fait grief à la Cour de s’immiscer dans la vie politique. C’est oublier que si sa fonction essentielle est de dire le droit, une juridiction constitutionnelle joue également un rôle de régulation politique. La Cour constitutionnelle du Niger l’a prouvé tout au long de son histoire, la dernière fois sans doute lors de l’examen des candidatures à la présente élection présidentielle et cela mérite d’être salué. Il est bien établi qu’à défaut de gouverner, le juge est bien un acteur de la vie politique dont l’influence « est plus immédiate et plus visible (…) lorsque, confronté à des problèmes politiques précis qui requièrent une solution au plan contentieux, il est contraint de prendre position et arbitrer entre les thèses en présence ». Ses décisions sont alors loin de faire l’unanimité dans un domaine où légitimité et légalité parfois s’opposent : une décision parfaitement fondée sur le plan de la légalité peut être critiquée, voire contestée sur le terrain de la légitimité, et inversement. Jouant ce rôle de régulation politique, le juge est parfois amené à privilégier la légitimité au détriment de la légalité, notamment lorsqu’il est en présence d’une situation que le dispositif normatif n’a pas ou a mal réglée. Un célèbre auteur n’a-t-il pas commenté, s’agissant des entorses qui pourraient être faites au principe de légalité, qu’en certaines circonstances, « autant périsse un principe que l’Etat » ?
Enfin, je souhaiterais attirer l’attention sur un autre aspect de nos textes : le décret qui ouvre la campagne du second tour doit être pris dès que la Cour constitutionnelle proclame les résultats « définitifs » du premier tour alors qu’après cette proclamation un candidat qui souhaite désister a 72h pour le faire. En principe dès l’ouverture de la campagne du deuxième tour, le dispositif constitutionnel qui consiste à remplacer un candidat qualifié par celui qui le suit dans l’ordre des résultats ne pourrait plus être actionné. Il est dès lors souhaitable que ce décret intervienne à la fin du délai de 72h pour être sûr d’avoir LE tableau des candidats au second tour.
Moussa ZAKI
Université Gaston BERGER
Saint-Louis, Sénégal