Il n’a pas posé le pied sur le sol nigérien en homme libre. Soupçonné de trafic d’enfants, le principal opposant au président Mahamadou Issoufou a été arrêté dès son arrivée à Niamey.
«Vous m’attendiez ? » C’est par cette question rhétorique que Hama Amadou a accueilli les forces de l’ordre à l’aéroport de Niamey, le 14 novembre. De retour d’un exil de plus d’un an en France, son « Excellence », comme l’ont appelé les gendarmes chargés de l’appréhender, savait ce qui l’attendait. Soupçonné, comme son épouse, de trafic de bébés entre le Nigeria et le Niger et de supposition d’enfants, un délit consistant à attribuer la maternité d’un nouveau-né à une femme ne l’ayant pas mis au monde, il a été arrêté dès sa descente d’avion.
Amené à la maison d’arrêt de Niamey, il est transféré dans la nuit, sur arrêté du ministère de la Justice, à Filingué, à 180 km au nord-est de la capitale. Une mesure illégale, selon son avocat. « Conformément au mandat émis par le juge d’instruction, il aurait dû être détenu à Niamey. Le pouvoir cherche à le couper de ses contacts », s’indigne Me Boubacar Mossi. « On a voulu l’isoler de ses lieutenants, dont certains sont détenus à l’Académie de police, comme Ibrahim Arami, son ancien collaborateur à l’Assemblée », explique quant à lui Emmanuel Dupuy, l’un de ses conseillers à Paris.
« Nous l’avons transféré pour sa sécurité comme pour l’ordre public », rétorque Marou Amadou, ministre de la Justice, qui rappelle que la maison d’arrêt de la capitale, surpeuplée, compte 1 200 prisonniers. « Aucune personnalité interpellée dans le dossier du trafic de bébés n’a été détenue à Niamey, il ne faut pas faire de Hama un cas particulier », précise-t-il.
Hama Amadou, 65 ans, est pourtant bien à part. Passé à l’opposition en août 2013, il n’a qu’une ambition : « battre à plate couture » Mahamadou Issoufou – qu’il avait largement contribué à faire élire en 2011 – lors de la présidentielle de février 2016. Investi candidat le 13 septembre par le Mouvement démocratique nigérien (Moden), troisième force politique du pays, lors d’un rassemblement de plus de 5 000 militants près de Zinder, il espérait s’offrir la joie d’un bain de foule à son retour au pays.
Las, les autorités, en bouclant la périphérie de l’aéroport ainsi qu’une partie de la capitale, ont scrupuleusement veillé à empêcher le regroupement de ses supporters. « En organisant un soulèvement populaire, il espérait que le pouvoir n’oserait pas l’arrêter », soutient Mohamed Bazoum, président du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (au pouvoir) et ministre d’État à la présidence. Et d’ajouter : « Il ne faut pas oublier qu’à chaque fois qu’il a été dans l’opposition, il y a eu un coup d’État. »
La procédure judiciaire à son encontre va-t-elle se poursuivre rapidement ? « Je n’ai pas l’habitude de commenter une instruction », répond le ministre de la Justice. « Nous attendons, constate quant à lui Me Mossi. Soit le pouvoir passe outre l’instruction et le maintient en détention sans motif, soit il le présente devant le juge, qui pourrait lui accorder la liberté provisoire. » Et – sous-entendu – lui permettre de faire campagne librement.
Quoi qu’il en soit, depuis sa cellule de Filingué, où l’administration tient à sa disposition un groupe électrogène et un frigo, Hama Amadou ne devrait pas disparaître du paysage. Après avoir reçu la visite de ses avocats dès le lendemain de son arrestation, ce vieux routard de la politique, ex-directeur de cabinet de Seyni Kountché, deux fois Premier ministre, sous Mahamane Ousmane et sous Mamadou Tandja, garde le moral. Surtout, l’ancien « faiseur de rois » accueille ses visiteurs dans la cour : ils auraient été 44 dans la seule journée du 16 novembre. Si, depuis, ce chiffre serait tombé à dix par jour, nul doute que « Hama » saura ne pas se faire oublier.
Jeune Afrique