Débat sur la démocratie : Les intellectuels absents !

L’ordre naturel des choses n’a donc jamais été démenti. C’est bien l’intelligence de la société qui protège de la folie des humeurs. Loin des vacarmes des manifestations bruyantes, dans la sérénité propice à la réflexion, les intellectuels doivent reprendre à la volée, ce débat qui fait rage entre partisans et adversaires de la démocratie. Opportunisme, réalisme ou tout simplement esprit de règlement de compte personnel, à la faveur du coup d’État du 26 juillet 2023, des acteurs, y compris paradoxalement de la société civile, prennent position contre le retour à la démocratie, appelant l’armée à rester longtemps au pouvoir. Cela dans le même temps où le CNSP, organe militaire de la transition, annonce qu’il n’a d’autre vocation que de remettre l’ordre et de conduire les réformes nécessaires pour consolider les institutions de l’État avant de passer la main.

 Il est utile que les intellectuels se fassent entendre pour donner leur éclairage sur cette matière en grande controverse après chaque coup d’État militaire. Cela aura au moins l’avantage de faire tomber beaucoup d’idées reçues.

D’abord, il faut dire que contrairement à une idée largement répandue, la démocratie n’est pas française, elle n’est même pas occidentale. La démocratie est une valeur universelle, c’est un patrimoine de toutes les cultures mais qui peut prendre des variantes, ou des déclinaisons en fonction des traditions et des cultures des communautés.

Le modèle de démocratie qui est en vigueur au Niger avec tous ses soubresauts est un modèle français, c’est indéniable. Il a été calqué sur le système français, avec un jeu politique entre deux entités fortement opposées, à savoir la majorité qui exerce le pouvoir et l’opposition qui s’oppose.

C’est encore le système de vote français issu de la cinquième République française qui a été le plus largement copié au Niger, le scrutin majoritaire à deux tours pour le choix du président de la République ou le scrutin proportionnel pour l’élection au parlement. Un peu plus au Niger, on allait se doter d’une deuxième chambre parlementaire, le sénat, pour que le mimétisme sur la France soit complet.

Mais est-ce que ce mode d’exercice correspond aux habitudes et réalités cultuelles du Niger ? Au Japon, en Inde, en Russie ou en Chine, on pratique la démocratie, mais est-ce qu’elle est organisée partout de la même manière ? Au Niger avant la démocratie de la Baule et avant les indépendances, on pratiquait la démocratie pour désigner parmi plusieurs héritiers, pour pourvoir à la succession à la tête des chefferies traditionnelles.

Mais quand les notables se réunissaient, ils font un scrutin majoritaire à un tour mais pas de scrutin à deux tours. Ensuite, après ce tour unique qui désigne le nouveau chef, les autres héritiers ne forment pas un groupe à part pour jouer l’opposition, mais se mettent autour du chef élu pour administrer les affaires du canton ou du sultanat. Mais il n’y a jamais la majorité avec le sultan élu d’un côté et l’opposition de l’autre. On peut dire sans risques de se tromper que ce type d’organisation est la déclinaison de la démocratie dans sa variante nigérienne, c’est-à-dire en phase avec les mœurs et les coutumes nigériennes.

 Le temps des hommes n’est pas celui de Dieu. Un pouvoir harmonieux est celui qui dispose des mécanismes souples de sa succession.

Un régime ou une forme d’organisation politique, quelque soit son efficacité ou sa pertinence, a une limite. C’est la limite que le pouvoir s’est lui-même imposé par la pratique des mandats qui ont une durée déterminée, ou c’est une limite qui s’impose au régime par la mort des acteurs qui l’animent. Il y a deux notions clés que doit revêtir tout régime: la stabilité durable qu’il peut avoir et la souplesse dans la transmission ou la succession. Un régime peut être stable, efficace et porteur de grands progrès. Mais s’il ne prévoit pas de mode de succession, il peut être surpris par un renversement du pouvoir par un coup d’État ou par une insurrection populaire. C’est le cas de la majorité des régimes militaires despotiques qui n’ont prévu aucun mécanisme d’élection ou qui, s’ils pratiquent des élections, ne font que des parodies d’élections. Ces régimes, quand le despote meurt ou quand il est renversé, sombrent très souvent dans une tragique crise qui va annihiler tous les gains de croissance enregistrée des décennies durant. Cas du Soudan de El Béchir, cas du Zaïre après Mobutu, de la Libye après Khadafi, et plus près du Burkina Faso qui ne s’est jamais relevé depuis l’insurrection qui a chassé le despote Blaise Compaoré. Les grandes vertus sur lesquelles les nigériens doivent réfléchir, notamment sa classe d’intellectuels, c’est prioritairement la stabilité et la souplesse dans les mécanismes de succession, car lorsqu’un régime ne prévoit plus d’élection,  c’est le coup d’État qui est la norme de succession, ce qui compromet tous les succès de la stabilité.

Or, la stabilité est la condition essentielle du progrès et du développement. C’est dans la durée, dans la constance que l’édifice du développement se construit brique par brique, sans écroulement, sans aucune remise en cause.

L’école chinoise du développement

À ce titre, une grande réflexion doit être faite sur l’exemple chinois. Le développement de la Chine a été plus le résultat de la stabilité que celui d’une idéologie quelconque. Certains observateurs estiment que si la Chine a atteint un tel niveau de développement faisant d’elle la première économie du monde, c’est parce qu’elle a su combiner deux systèmes économiques, le communisme et l’économie de marché. Mais en vrai, la Chine doit surtout son essor à la grande stabilité qu’elle a retrouvée, une stabilité qui est dans les termes de son système politique. La Chine pratique la démocratie, mais une démocratie trempée dans la culture chinoise. À côté du parti communisme chinois le PCC, le plus connu, existe aussi d’autres partis politiques mais dans un nombre réduit, pas les 150 ou 200 partis du Niger. Il existe des partis politiques qui, selon les régions ou les religions, expriment les particularismes culturels où religieux des minorités. La particularité de la Chine, c’est qu’elle ne connait pas l’opposition comme à l’occidentale. Le Président de la République est élu en Chine suivant un scrutin majoritaire à un seul tour. Et les autres partis accompagnent la gestion. Au prorata de leurs résultats électoraux, ils sont associés dans la mise en œuvre des grands plans de développement qui s’échelonnent sur plusieurs années. Ils forment ce qu’on appelle les partis de participation au lieu de partis de l’opposition.

Il est ici nécessaire de relever qu’au Niger aussi, l’existence de ce qu’on appelle opposition a fait l’objet d’une controverse, beaucoup ont fait observer que le terme opposition ou « Adawa » en Haoussa n’est pas conforme à la culture du Niger et ne cadre point avec les habitudes, s’opposer au pouvoir n’est pas dans les bonnes mœurs du Niger. Il y a à ce sujet un trait d’identité entre la version chinoise de la démocratie et les réalités cultuelles du Niger.

Même si dans l’implantation de la démocratie, le Niger sous la pression de la Baule est vite parti avec le schéma français, adoptant un système porteur d’une opposition dont les soubresauts violents ont toujours été à la base de l’instabilité politique, débouchant assez souvent sur l’irruption de la l’armée pour remettre les pendules à l’heure.

Ce sont aujourd’hui tous ces débats que les nigériens doivent reprendre pour imprimer une marque totalement nigérienne à un processus qui est universel, à savoir la démocratie. Plus d’un an après l’avènement de la transition, aucun débat n’est encore amorcé dans le sens de la refondation des institutions.

 Ibrahim Elhadji dit Hima