Starlink : Quel impact pour l’économie et la fracture numérique ?

Après plusieurs mois de flottement, voire d’hésitation, l’État du Niger a signé, le mardi 29 octobre 2024, à Niamey, un accord de partenariat autorisant la société Starlink à offrir ses services d’Internet haut débit sur l’ensemble du territoire pour mieux répondre aux enjeux de la transformation numérique, à travers notamment l’amélioration de la connectivité haut débit, qui est, par ailleurs, un outil essentiel pour accéder, entre autres, à la communication, à l’information, aux services publics en ligne et aux ressources culturelles.

Une hésitation qui serait imputable, d’une part, au lobbying des opérateurs locaux qui ont réalisé au titre de l’année 2023, un chiffre d’affaires de 307 437 144 172 FCFA, selon l’ARCEP et qui voient d’un mauvais œil l’arrivée de Starlink, car pouvant constituer une nouvelle menace pour leur modèle économique, déjà fragilisé par la concurrence de WhatsApp qui affectent négativement leurs recettes. D’autre part, la crainte de l’utilisation de cet outil à des fins malveillantes, notamment par les groupes terroristes qui opèrent dans la région.

Maintenant que les autorités ont estimé que les bénéfices sont supérieurs aux risques pour le pays, à travers le feu vert donné à Starlink, et après avoir rappelé le contexte de la connectivité au Niger, nous nous intéresseront aux impacts potentiels que pourrait avoir le déploiement du haut débit pour l’économie et la fracture numérique au Niger.

Ce qu’il faut savoir sur les opérateurs de téléphonie et l’accès Internet au Niger

Selon l’ARCEP, « le marché nigérien des communications électroniques est partagé entre quatre opérateurs détenant une licence d’établissement et d’exploitation de réseaux de téléphonie ouverts au public, dont deux possèdent des licences globales ». Il s’agit notamment de Celtel Niger SA, connue sous la marque Airtel, Moov Africa Niger SA, Niger Telecoms SA et ZamaniCom Sas. On dénombre également un opérateur d’infrastructures (American Towers Company), cinq Fournisseurs d’Accès Internet (AFR-IX TELECOM, Comsates, Global Data Services, Liptinfor, Ninetec) et un opérateur mobile virtuel (MVNO), en l’occurrence SHAP MOBILE, mais qui jusqu’au 31 décembre 2023 n’a pas démarré ses activités commerciales.

Au 31 décembre 2023, le parc d’abonnés Internet, qui est composé de l’Internet fixe haut débit (accès ADSL/fibre optique), de l’Internet mobile à partir des clés Internet et de l’Internet mobile qui concerne la connexion via un terminal mobile (2G/3G/4G) des quatre opérateurs totalise 8 487 206 abonnés, avec une baisse de 810 146 abonnés, soit 8,71% par rapport à 2022.

Le taux de pénétration Internet mobile enregistré est de 32% pour l’année 2023 contre 37% pour 2022. A titre de comparaison, le taux de pénétration mobile enregistré est de 65% pour la même période contre 63% un an plutôt. La baisse de 5% du taux de pénétration d’Internet pourrait s’expliquer, entre autres, par « le faible niveau d’investissement dédié à l’extension et à la densification de couverture réseau mobile ou la baisse du parc d’abonnés Internet enregistrée au niveau de Niger Télécom et Zamani Télécom ».

Aux origines de la dégradation de la qualité de la connexion, l’enclavement du pays et des investissements en baisse

Selon l’ARCEP, « on observe depuis quelques années, une tendance à la baisse des investissements globaux. Ils sont passés de 52,1 milliards de FCFA en 2018 à 38,4 milliards de FCFA en 2023 ». Cette baisse serait imputable à plusieurs facteurs, notamment l’enclavement du pays, des conditions économiques défavorables ou des changements dans les stratégies d’investissement des entreprises. Il convient de souligner que les investissements varient considérablement d’un opérateur à l’autre. A titre d’illustration et selon les données disponibles, Celtel Niger SA occupe la première place en termes d’investissements, avec 19 729 327 235 FCFA en 2023. Elle est suivie par Zamani Com SA (10 005 397 195 FCFA) etMoov Africa Niger SA (7 293 141 707FCFA). Niger Telecoms SA, quant à lui, ferme la marche avec 1 345 812 076 FCFA.

En dépit de ces investissements dans les infrastructures de télécommunications, qui sont, par ailleurs, importants et essentiels pour améliorer la connectivité et soutenir le développement économique du Niger, la qualité de la connexion Internet reste souvent à désirer. Et cela n’est pas sans conséquence pour le quotidien de la population et plus globalement pour l’économie du pays : niveaux préoccupants de la fracture numérique, qui est un concept complexe qui englobe les inégalités liées à l’accès, à l’utilisation et à l’impact des technologies de l’information et de la communication (TIC) et de la productivité dans les entreprises publiques et privées, entre autres. Dans ces conditions, des efforts soutenus seront nécessaires pour inverser la tendance et parvenir à une connectivité universelle et efficace au Niger dans un horizon proche. Or, au regard des niveaux d’investissements dans le pays, il est difficile d’être optimiste.

L’arrivée de Starlink comme une délivrance 

Face aux difficultés évoquées précédemment, l’autorisation de Starlink semble être une évidence pour un gouvernement qui tient à mieux répondre aux enjeux de la transformation numérique en vue de favoriser l’innovation et la compétitivité.

En guise de rappel, Starlink est un fournisseur d’accès à Internet par satellite de la société SpaceX. Il s’appuie sur une constellation de satellites comportant des milliers de satellites de télécommunications placés sur une orbite terrestre basse. Starlink est le premier fournisseur d’Internet par satellite à choisir cette orbite plutôt que l’orbite géostationnaire, car elle permet de diminuer la latence (le temps de réponse) en la faisant passer de 600 ms à environ 20 ms.

La constellation est en cours de déploiement depuis 2019 et repose sur environ 6 300 satellites opérationnels mi-septembre 2024. Son déploiement au Niger pourrait constituer un tournant dans la lutte contre la fracture numérique.

Accélérer le rythme pour mettre les avantages du numérique à la portée de tous

Avec Starlink, l’essor de l’économie numérique qui peut se définir comme l’ensemble des activités relatives aux Technologies de l’Information et de la Communication (TIC), à la production et à la vente de produits et services numériques  devrait se poursuivre, voire s’accélérer et contribuer à améliorer les conditions de vie de millions de personnes et entraîner une mutation rapide de la société, car présentant de nombreux avantages : elle accélère la diffusion des informations, rapproche les citoyens, crée des emplois et rend les sociétés plus efficientes.

Trois domaines en particulier pourraient bénéficier du déploiement du haut débit au Niger. D’abord, l’entrepreneuriat qui connait un fort engouement auprès des jeunes et jouant également un rôle crucial dans la création nette d’emplois, la croissance économique inclusive et la réduction de la pauvreté. En effet, l’utilisation accrue des nouvelles technologies, notamment numériques, sera également essentielle, à mesure que le Niger devient de plus en plus connecté grâce à un accès accru au haut débit et au renforcement de l’approvisionnement en électricité, sans oublier la diffusion rapide des smartphones et des tablettes à bas coût. Les entrepreneurs nigériens disposent d’une opportunité sans précédent de produire des applications web innovantes et de nouveaux modèles économiques dynamiques.

Ensuite, l’administration en ligne. Le développement de l’administration en ligne devrait être une priorité pour le gouvernement en raison des avantages à la fois sociaux et économiques qu’elle procure. Parmi ses retombées sociales, l’on peut citer le relèvement des niveaux d’éducation et l’accompagnement des élèves victimes de la crise sécuritaire, un accès plus aisé à l’emploi, un meilleur accès aux soins de santé et une plus grande transparence dans les affaires publiques. Parmi les avantages apportés à l’économie figurent l’accroissement de la productivité grâce à la maîtrise des compétences numériques et à l’amélioration de l’efficacité, et des gains de temps liés au développement de services en ligne (pour le recouvrement des impôts, par exemple).

Enfin, la transformation numérique dans le secteur des services financiers. La transformation numérique de l’activité bancaire notamment offre de nouveaux moyens d’interagir avec les clients et de leur offrir un environnement hautement personnalisé, efficace et intégré. Grâce aux moyens de communication modernes, les nouvelles technologies peuvent réduire le temps de réponse des banques, faciliter les services à la demande et fournir aux clients des informations en temps réel dans un format convivial ; elles s’appuient pour cela sur des modèles de consommation en ligne élaborés grâce à des technologies numériques, dans tous les secteurs.

Façonner un avenir numérique qui favorise la croissance et le bien-être nécessite une approche politique holistique et coordonnée

La transformation numérique affecte les individus, les entreprises et les gouvernements, à travers les pays et les secteurs. Le développement, le déploiement et l’adoption des technologies numériques, y compris l’intelligence artificielle et l’Internet des objets, créent d’immenses opportunités pour la productivité, la découverte scientifique, l’atténuation du changement climatique, la prestation de services publics, les nouveaux modèles d’affaires, ainsi que le travail, l’éducation et les soins de santé à distance. En même temps, et pour récolter les avantages de ces évolutions, que ce soit au niveau individuel ou en tant qu’entreprise, lorsqu’on met des dispositifs technologiques entre les mains de personnes novices, il est impératif de leur offrir un encadrement et une formation adéquats pour favoriser leur progression de manière optimale.

Parallèlement, le pays doit faire face aux risques, notamment en ce qui concerne la vie privée, la sécurité, la sécurité en ligne, les fractures numériques, l’intégrité de l’information et la cohésion sociale, ainsi que les droits humains à l’ère numérique.

En définitive, le numérique est le grand vecteur de transformation de notre temps. Les services essentiels qui soutiennent le développement comme la banque, les hôpitaux, les écoles, l’énergie et l’agriculture dépendent tous de l’Internet et des données. Les infrastructures et les plateformes qui sous-tendent ces connexions doivent être disponibles, abordables et sûres pour permettre aux pays en développement, comme le Niger, de prospérer.

 

Ibrahim Adamou Louché Ibrahim, Economiste

Issaka MamanLourwana, Spécialiste des Tics, Ingénieur Système des Telecoms et fondateur de Digital Niger

Niger inter hebdo – N° 171  du 05 novembre 2024