Les grands défis de la transition : Lamine Zeine est-il le bon ?

Un an déjà que les autorités militaires sont à la tête du Niger après avoir évincer le régime politique de Mohamed Bazoum, le 26 juillet 2023. Une année qui n’a pas du tout été repos pour le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), dirigé par le Général Abdourahamane Tiani qui a été sur tous les fronts pour sauver le pays des assauts des amis de l’ancien président renversé et qui ont multiplié des annonces sur leur volonté à vouloir rétablir Bazoum Mohamed dans ses fonctions.

Sorti péniblement victorieux de ses assauts, le pouvoir militaire du CNSP entend impulser à présent le programme de relance du pays. Le Chef de l’Etat, le Général Abdourahamane Tiani a récemment annoncé les grandes orientations de ce que vont être les axes majeurs de la transition. Quatre axes ont notamment été retenus. Il s’agit de : « le renforcement de la sécurité et de la cohésion sociale (Axe 1) » ; « la promotion de la bonne gouvernance (Axe 2) » ; « le développement des bases productives pour la souveraineté économique (Axe 3) ; « l’accélération des réformes sociales (Axe 4) ».

Cette vision du programme du président du CNSP peut être schématisée en trois grandes préoccupations, à savoir : « ramener la paix dans les contrées du pays », « ressouder la cohésion nationale » et « donner à manger à la population ». La question de l’insécurité constitue également une demande forte pour permettre à la population de participer effectivement aux tâches de production de la richesse nationale par l’agriculture, l’élevage sur l’ensemble des espaces du pâturage, envoyer les enfants à l’école et accéder partout aux services des soins de santé.

La cohésion nationale est un impératif majeur pour un pays unitaire. Cela a toujours été le point fort de la société nigérienne. Cette intégration communautaire est une identité du Niger à la différence des contrées voisines qui connaissent des clivages très marqués.

Avec la production nationale, donner à manger aux nigériens, c’est développer une diplomatie active, une diplomatie d’échanges avec l’extérieur pour fluidifier l’entrée et la sortie des biens et services. Et pour cela, le Niger a besoin de normaliser ses relations avec le monde extérieur. C’est dans cette lourde dynamique que la population attend beaucoup le CNSP. Et avec les orientations clairement affichées dans son document de Programme, tout indique que le CNSP est sur une voie très ascendante. Les autorités militaires de la transition sont sur un bon réglage.

Le gouvernement qui est la machine de mise en œuvre des actions pour accompagner efficacement la volonté affichée du CNSP doit pour sa part s’appuyer sur un Premier ministre robuste. Et c’est là toute la grande inconnue de la transition nigérienne. Le challenge fort qui repose sur le gouvernement, l’actuel Premier ministre Ali Lamine Zeine a-t-il tous les atouts pour le réussir ? Est-ce que Zeine a la carrure de la mission ? Est-ce que Zeine peut faire le Job ? Autant de questions que se posent les nigériens au sujet d’un Premier ministre fortement décrié par une frange importante de l’opinion nationale qui souligne son incompétence notoire à mener à bon port les grandes actions du gouvernement.

Très critiqué pour son immobilisme et son absence de résultats, c’est son proche ami, Hama Hammadou qui est venu à sa rescousse, le mercredi 24 juillet dernier, à travers une tribune publiée sur les réseaux sociaux.

L’ancien Directeur général des impôts du temps de Tandja Mamadou évoque son témoignage sur son ami Lamine Zeine : « j’ai toujours retenu de lui une personne discrète, voire introvertie, foncièrement intègre et pieuse, détachée de l’argent et des questions matérielles (…) ». Un témoignage qui conforte justement toutes les accusations formulées au niveau de l’opinion. Ce que Hama Hammadou a souligné sont en effet toutes les qualités d’un bon comptable public, mais tout le contraire de ce que l’on attend d’un Premier ministre qui ne doit jamais rester silencieux et discret, encore moins introverti. Alors qu’on attend un Premier ministre extraverti, qui est sur tous les fronts, qui explique, qui défend et qui porte l’offensive à l’international, notamment un Premier ministre remuant, qui communique. Un Premier ministre costaud qui fait bouger les lignes.

Les grandes difficultés de Lamine Zeine

Il ne porte pas les douze péchés d’Israël, mais l’actuel Premier ministre porte de grosses difficultés qui ne sont pas pour lui faciliter la tâche. Ali Lamine Zeine est en effet l’auteur du fameux appel d’Agadez.

Depuis la cité de l’Aïr, le Premier ministre qui présidait les premières assises consultatives régionales, en début du mois de janvier 2024, a lancé un retentissant appel en direction des autorités déconcentrées pour leur demander de ne plus recevoir une catégorie d’organisations des citoyens. Cette maladresse dans le discours, ce clivage de la société nationale, cette position conflictuelle est en contradiction avec la vision du Chef de l’État, le Général Abdourahamane Tiani qui, lors de son dernier message à la nation du 25 juillet dernier, disait: « l’œuvre de reconstruction ne peut se faire qu’avec le concours de tous ».

L’autre élément de difficulté qui plombe son action, c’est par rapport à sa virginité avec les « affaires ». Là non plus, le Premier ministre actuel n’est pas dans une bonne option. En 2010, sous la transition du Général Salou Djibo, c’est la Commission de lutte contre la délinquance économique, financière et fiscale (CLDEFF) d’Abdoul Karim Mossi qui va l’épingler pour des irrégularités financières, alors qu’il était Directeur de cabinet de l’ancien président de la République, Tandja Mamadou. Face aux enquêteurs de la Police judiciaire (PJ), il a dû s’expliquer en son temps, sur les mêmes types d’infractions que la transition du Général Abdourahamane Tiani est en train de combattre aujourd’hui.

Aussi curieux que cela puisse paraître, Ali Lamine Zeine ne goutte pas trop à la tasse de la souveraineté nationale qui est pourtant en culture dans le cadre de la présente transition. Lorsqu’on parle « souveraineté nationale », lorsqu’on parle de « promotion des acteurs nationaux d’abord et en priorité », le Premier ministre Zeine reste encore en retard par rapport à cette vision, à l’image de ces dispositions sur le marché de travaux avec la société française Satom. Cette dernière a eu un marché de voirie de la ville de Niamey, estimé à une quarantaine de milliards de francs CFA. Mais les travaux prenaient du retard et jusqu’en début 2024, la Satom traînait les pieds et ne voulait pas commencer les travaux, malgré les urgences.

Et compte tenu de la mauvaise qualité des travaux d’un précédent marché de voirie (Boulevard Tanimoune), le CNSP aurait décidé du retrait de ce marché. Mais la question est très loin d’être tranchée. Le Premier ministre Zeine semble plus privilégier l’option du maintien de Satom pour la réalisation des travaux. Comme s’il n’y avait aucun consortium d’entreprises, capables de faire le travail. Lamine Zeine fait à peu près la même chose que le Président béninois, Patrice Talon qui a déclaré officiellement que « le Bénin est un désert de compétence ». Et qui depuis lors, il fait systématiquement appel aux cadres et entreprises français pour administrer le Bénin.

Mais la plus grande faiblesse du gouvernement de cette transition, c’est surtout sur le plan diplomatique. Le Niger souffre d’une diplomatie introvertie et amorphe. Et dans une large mesure, cet état de fait pouvait être tributaire de la carrure du Premier ministre qui n’a pas beaucoup de connaissances en matière de relations internationales et qui n’a aucune expérience dans la gestion des dossiers gouvernementaux dans un contexte de crise politique.

Toutes ces difficultés mises bout à bout constituent à coup sûr, des réels handicaps pour donner à Ali Lamine Zeine, toutes les allures de l’oiseau rare, c’est-à-dire un véritable Premier ministre de mission pour une transition à forts enjeux comme celle-là. Jamais au Niger, transition politique n’a revêtu autant d’intérêts et autant d’enjeux majeurs. Et jamais l’oiseau rare n’a été aussi en difficulté comme l’actuel Premier ministre Ali Lamine Zeine.

 

 Ibrahim Elhadji dit Hima