La polémique ne désenfle pas sur les propos tenus par le Premier ministre, Ali Lamine Zeine, lors des travaux des assises régionales d’Agadez. Des propos qu’il a balancés sur un ton d’agacement. Le Premier ministre avait le regard courroucé et dur, presque menaçant.
« Nous savons qu’il y a des gens qui font le tour du pays. De quel droit ils vont vous réunir pour vous dire des choses ? S’ils arrivent, c’est au Gouverneur de décider s’ils doivent rencontrer X ou Y. On ne doit pas vous tirer de vos occupations quotidiennes. Vous êtes trop chers. Il faudra qu’on rompe avec cette habitude de réunir les gens. Tout celui qui vient, on vous réunit, on réunit les gens, on vous raconte des histoires ». Tels sont les propos tenus par le Premier ministre de la transition devant un public d’acteurs de la société civile, des cadres administratifs de la région et où l’on enregistrait la présence des autorités régionales et aussi certains membres du gouvernement et du CNSP.
Des applaudissements de circonstance, mais dans l’ensemble, la salle était sidérée. Pourquoi un tel propos ? A qui le Premier ministre Ali Lamine Zeine faisait-il allusion ?
Même s’il ne l’a pas dit de façon très explicite, beaucoup ont vite compris que le Premier ministre de la transition visait un collectif d’organisations de la société civile, organisées au sein d’une plateforme dénommée « Dynamique citoyenne pour une transition réussite (DCTR) ». Les animateurs de ce collectif qui sont des responsables des structures syndicales et des organisations associatives bien connus du grand public entendaient apporter leur contribution au débat citoyen pour la mobilisation de la population, surtout de l’intérieur du pays, dans le seul but afin d’accompagner les autorités de la transition. Une dynamique citoyenne qui a eu un accueil très favorable auprès des populations lors de ses différentes sorties à Dosso, Tillabery, Maradi, Zinder et Diffa.
Victime des liaisons dangereuses
Faut-il encourager un partenaire qui apporte une plus-value ou le congédier? Contre toute attente, Lamine Zeine a fait le choix de la seconde alternative. Il est apparu hostile, voire courroucé par la mission à l’intérieur du pays des acteurs de la société civile, réunis au sein de la DCTR. « Nous savons qu’il y a des gens qui font le tour du pays… », c’est tout juste si le Premier ministre ne demandait pas aux autorités administratives régionales de les chasser. C’est une première, un évènement singulier dans l’histoire du pays où faire des caravanes à l’intérieur du pays pour aller vers les populations, échanger avec les différentes couches de l’intérieur du pays, tout cela devenait un grave délit. Les gouverneurs de régions se retrouveront complètement infantilisés dans des mesures qui n’ont aucun fondement.
Voilà une organisation qui fait un travail social de toute première importance, parce qu’elle donne la parole aux populations de l’intérieur du pays dans cette étape de la vie de la nation où l’on parle de « Zancen kassa » ou encore « labu sanni ». Et dans le même temps, le Premier ministre affiche ses intentions de saborder le débat national inclusif suscité par le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP). Comment en est-il arrivé là? Comment un Premier ministre peut-il sombrer dans pareille misère? Sans doute du fait de ses relations politiques qui apparaissent aujourd’hui comme des liaisons dangereuses. Quelques jours avant l’intervention de Lamine Zeine, c’est un de ses conseillers, dont les accointances politiques avec le Lumana n’ont jamais fait mystère, qui est parti à la curée contre la tournée de la DCTR.
Dans un post paru sur sa page Facebook, ledit conseiller les qualifiait de « dynamite » pour marquer son aversion et son rejet de cette structure dont il qualifiait les membres de proches du PNDS-Tarayya de l’ancien Président Issoufou Mahamadou. Dans cette appréciation, il rejoignait aussi d’autres activistes de la société civile du même bord politique que lui.
Parmi eux, l’un faisait partie des responsables de la campagne électorale du parti Lumana aux dernières législatives de 2020 au titre de la région de Niamey. Et c’est parce qu’à travers leur structure leur structure, ils ont fait le choix de camper le débat national à la seule région de Niamey, qu’ils n’ont pas du tout apprécié les succès obtenus par la DCTR qui elle, a fait l’option d’impliquer les autres régions du Niger, de donner la parole au Niger profond pour élargir les bases et donner plus de sens au concept « zancen kassa ou labu sanni ». Lamine Zeine n’est pas aussi d’accord avec cette approche du débat inclusif et le lundi 1er janvier dernier, il l’a exprimé à Agadez. Un désastre qui est une conséquence directe de la liaison dangereuse entre Zeine et son entourage.
Un choix compromis
L’option des autorités de la transition militaire est en train d’échouer, mais pas par faute de bonne volonté. Dès les premières heures de la transition, le CNSP a pris la sage décision de suspendre les activités des partis politiques de tous les bords. C’était pour placer le pays hors de portée des discours partisans et favoriser une participation inclusive de tous les citoyens. Ensuite, le CNSP a fait le choix de placer Lamine Zeine à la tête du gouvernement, parce qu’il jouissait d’une bonne appréciation de départ. Pour beaucoup d’observateurs, l’ancien ministre des finances du gouvernement Tandja faisait plutôt figure de technocrate. Même lorsqu’il a eu les faveurs du patron du MNSD de l’époque, feu Tandja Mamadou, Lamine Zeine n’a jamais été aperçu à un congrès du parti, encore moins à une activité politique du parti Nassara.
Jusqu’à son départ du Niger après le coup d’État de Djibo Salou en 2010, Zeine ne s’est jamais mêlé dans les joutes politiques. Aussi bien que lorsque le général Tiani a fait appel à lui pour diriger le gouvernement. Et de manière presque unanime, les nigériens ont bien accueilli un tel choix. Les nigériens ont vu en Zeine, un cadre très rangé, avec beaucoup de retenue et qui va pouvoir insuffler une bonne dynamique à l’action gouvernementale. L’option du général Tiani et les autres membres du CNSP était de donner les gages d’un processus citoyen patriotique dans touteS les actions de la transition en cours et les programmes de la transition. Aujourd’hui, c’est tout ce capital social qui s’est érodé. La compromission de Zeine dans ses liaisons politiques a tout foutu en l’air. Non seulement il n’a pas pu produire assez de résultats, mais en plus, il a hypothéqué les chances de réussite de la transition avec cette polémique qu’il a déclenchée. En témoigne cette avalanche de réactions suscitées par ses propos tenus aux assises d’Agadez.
» Le PM manque de respect à nos autorités administratives et coutumières de la région d’Agadez » ; « la prestation du PM à Agadez laisse le commun des mortels sans mot. Les activités politiques sont en stand-by monsieur Zeine, le CNSP reste national » ou encore « seul un technocrate apolitique est légitime pour occuper le poste de PM dans une transition militaire. Pas un politicien comme Zeine ». Des réactions somme toute qui indiquent tout l’échec porté par Lamine Zeine pour la transition qui, manifestement n’a pas eu la même chance que les autres transitions, que ses aînées. Depuis 1974 jusqu’à la transition de Salou Djibo, les transitions militaires au Niger ont eu des technocrates comme Premiers ministres, des personnalités très conscientes de leur mission, qui même quand ils ont eu leurs partis politiques ont su faire preuve d’une grande neutralité pour être des vrais hommes d’État. ET c’est là où Zeine a échoué.
Ibrahim Elhadji dit Hima